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La causalité comme acte intellectuel d’association de deux faits

Section 1 Le lien de causalité, une explication causale

A) La logique de l’inférence causale

1) La causalité comme acte intellectuel d’association de deux faits

77. La causalité permet de dépasser les données « sensiblement constatables » en associant des faits entre eux. « La causalité est une notion centrale. Nous la voyons à l’œuvre à chaque fois que nous voyons s’entrechoquer des boules de billard, se balancer des corps […] et se lever le soleil. Nous la cherchons lorsque nous cherchons des explications, attribuons une responsabilité et pesons nos décisions. Nous voyons le monde comme une vaste chaîne causale. David Hume parlait de notre concept de causalité comme de l’un des trois principes d’association fondamentaux (avec la ressemblance et la contiguïté), principes qui sont « pour nous le ciment de l’univers ».»87

87 J. Schaffer, « Le trou noir de la causalité » (trad. M. Kistler, Ph. de Bradanter), in Causalité, Revue Philosophie, éd. Les éditions de minuit, n°89 Printemps 2006, p. 40. M. Schaffer cite l’expression de David Hume à propos des principes de ressemblance, de contigüité et de causalité (« they are really to us the cement of the universe »), D. Hume, A treatise of Human Nature, An Abstract of a Book lately Published, entituled, A treatise of Human Nature, and. c. wherein The Chief Argument of that Book is farther Illustrated and Explained, (1740), in A Treatise of Human Nature, 2e éd. Oxford University Press, New-York, 1978, p. 662.

78. Il n’est pas difficile d’accepter abstraitement que tout fait est à la fois la conséquence d’autres faits et la cause d’autres faits en sorte que tout ce qui est s’inscrit dans une chaîne causale dont il dépend. Kant écrit à propos du « principe de succession dans le temps suivant la loi de causalité [que] : Tous les changements arrivent suivant la loi de liaison de la cause et de l’effet. « Principe de production, note-t-il : Tout ce qui arrive (commence d’être) suppose quelque chose à quoi il succède d’après une règle »88, qui est la loi de causalité. C’est, explique-t-il, la

conséquence de la permanence de la substance89.90

79. Hume explique qu’il existe trois principes d’association de l’esprit : « la ressemblance, la contiguïté dans le temps ou dans l’espace et la relation de cause à effet. »91 Nous associons tel objet à un autre soit parce qu’il lui ressemble, soit parce qu’ils sont proches dans le temps ou l’espace soit parce que nous les déterminons cause et effet l’un de l’autre. « Contiguïté et succession temporelle sont deux éléments essentiels à la relation causale, mais ce sont les seuls qui se donnent à voir dans l’expérience. Or, elles ne déterminent pas suffisamment la relation puisque beaucoup de choses sont contiguës et antérieures les unes aux autres sans pour autant être tenues pour les causes ou les effets les unes des autres. Pourtant l’observation ne permet pas d’aller plus loin. »92 Le raisonnement qui conduit à

établir ces différents liens entre des faits (des situations, des objets, etc.) n’est pas identique. La ressemblance et la contiguïté se « reçoivent sensiblement » quand la causalité nécessite un acte d’intellection, d’imagination, dans la mesure où « il n’y a pas d’objet qui implique l’existence d’un autre, si nous considérons ces objets en eux-mêmes et ne regardons pas au-delà des idées que nous en formons »93. Cet acte

88 E. Kant, Critique de la raison pure, (1781), Gallimard, coll. Folio essais (sous dir. F. Alquié, trad. A. J.-L. Delamarre et F. Marty à partir de la traduction de J. Barni), Paris 1980, p. 231 (deuxième analogie de l’expérience, III, 167).

89 Première analogie de l’expérience, III, 162, éd. précitée, p. 224 et s.

90 Sur la distinction de la causalité naturelle et de l’intervention humaine, « causalité naturelle et causalité libre », v. P. Ricoeur, « Le concept de responsabilité, Essai d’analyse sémantique », Revue Esprit 1994, p. 28 et spec. pp. 33 et s.

91 David Hume, Traité de la nature humaine, Livre 1 et appendice, L’entendement, éd. française GF- Flammarion (trad. P. Baranger, P. Saltel), Paris 1995, p. 54 (section IV, De la connexion ou association d’idées).

92 F. Brahami, Introduction au Traité de la nature humaine de David Hume, P.U.F. Quadrige, 2003, p. 83.

de réflexion est nécessaire pour déterminer tant la cause d’un fait que l’on constate que l’effet d’un fait que l’on constate car les termes d’une relation causale ne se donnent pas autrement que par la réflexion et dans la réflexion. Gilles Deleuze pouvait ainsi parler de la causalité comme du raisonnement qui « dépasse le donné. A la lettre, écrit-il, il dépasse ce que l’esprit lui donne : je crois à ce que je n’ai ni vu ni touché. »94 Ce constat est commun à la déduction des faits à venir et à

l’explication des causes passées d’une conséquence présente.

80. « Ce qui nous est donné par l’expérience sensible ou par la conscience immédiate, ce sont les termes de la relation, et jamais la relation de causalité elle- même. »95 Si l’on peut considérer objectivement des faits donnés –et encore, nous les interprétons nécessairement en les contextualisant, parce que nous leur accordons une plus ou moins grande valeur, etc.- en revanche leur relation nécessite un passage par un acte de l’esprit pour conclure que A est la cause de B. « La causalité est seule à produire une connexion de nature à nous assurer, d’après l’existence ou l’action d’un objet, que cette existence ou cette action a été précédée ou suivie par une autre […] s’il est possible ou probable qu’une cause ait opéré de manière à produire le changement des objets et leur ressemblance, et selon ce que nous décidons pour ces causes et ces effets, nous formons notre jugement au sujet de l’identité de l’objet. »96

81. L’association intellectuelle des faits est ce qui nous permet de donner un ordre aux événements, aux faits. Elle détermine en permanence notre comportement de façon plus ou moins consciente.