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La possibilité rationnelle de se rapprocher de la vérité

Section 1 Le lien de causalité, une explication causale

B) La recherche rationnelle de l’inaccessible certitude causale

2) La possibilité rationnelle de se rapprocher de la vérité

126 K. Popper, op. cit.., p. 89. 127 K. Popper, op. cit., p. 47. 128 K. Popper, op. cit., p. 60.

105. En dégageant un principe de recherche scientifique, Popper donne une rationalité à la recherche des lois prédictives applicable à l’inférence causale129. Il

explique que la répétition d’une expérience à laquelle nous nous attendions n’est pas qu’une ratification des autres expériences passées. Elle est aussi l’absence de « falsification » -l’absence de preuve de la fausseté – de notre hypothèse comme la preuve que d’autres hypothèses sont fausses ou, si elles avaient été faites, l’auraient été. Popper parle d’ « asymétrie entre la vérification et la falsification par l’expérience [qui] conduit à la distinction purement logique entre les hypothèses qui ont été réfutées, et celles qui ne l’ont pas été »130. L’auteur considère donc que toute nouvelle expérience est l’occasion de « tester » à nouveau la validité de la théorie ou de la méthode et explique que la répétition a une « valeur confirmative » mais que la falsification a une valeur scientifique plus grande car elle est définitive.

106. Le philosophe Willard Van Quine explique très bien l’asymétrie de la vérification et de la falsification chez Popper. Quine écrit que « un énoncé catégorique d’observation est mis à l’épreuve par des couples d’observations. Il n’est pas vérifié de façon concluante par des observations s’accordant avec lui, mais il est réfuté par un couple d’observations dont l’une est affirmative et l’autre négative […] l’énoncé catégorique d’observations libres « Quand le soleil se lève les oiseaux chantent » est réfuté en observant le soleil se lever parmi les oiseaux silencieux. » A son tour, la mise à l’épreuve par l’observation des hypothèses scientifiques, et à vrai dire de façon générale, revient à mettre à l’épreuve les énoncés catégoriques d’observation qu’ils impliquent. Ici à nouveau, comme dans le

129 La logique de Popper applicable à la recherche scientifique est, écrit-il lui-même, la mieux à même de résoudre le problème de la causalité. « On pourrait prétendre que, si l’on pouvait résoudre le problème de la causalité de manière positive – si on pouvait montrer l’existence d’un lien nécessaire entre la cause et l’effet-, on pourrait également résoudre le problème de l’induction, et de manière positive. Donc, pourrait-on dire, le problème de la causalité est le problème le plus profond. Je raisonne de la manière inverse ; le problème de l’induction est résolu négativement : nous ne pouvons jamais justifier la vérité d’une croyance en une régularité. Mais nous nous servons constamment des régularités, comme conjectures, comme hypothèses ; et nous avons parfois de bonnes raisons de préférer certaines conjectures à certaines de leurs concurrentes. En tout cas, à la lumière d’une conjecture, nous pouvons non seulement expliquer la cause et l’effet beaucoup mieux que Hume ne l’a jamais fait, mais nous pouvons même dire en quoi consiste le « lien de nécessité causale » Etant donné une certaine régularité que nous conjecturons et certaines conditions initiales qui nous permettent de déduire des prédictions de notre conjecture, nous pouvons appeler les conditions la cause (conjecturée) et l’événement prédit l’effet (conjecture). Et la conjecture qui les lie tous les deux par une nécessité logique, c’est le lien nécessaire (conjectural) recherché depuis si longtemps entre l’effet et la cause.» (p. 159).

cas d’énoncé catégorique d’observation lui-même, seule la réfutation, et non la vérification, est concluante. […] L’épistémologie traditionnelle, écrit Quine, cherchait dans l’expérience sensorielle un fondement capable d’impliquer nos théories sur le monde, ou au moins de les doter d’un surcroît de probabilité. Sir Karl Popper a longuement souligné, au contraire, que l’observation sert seulement à réfuter les théories et non à les étayer. »131

107. Karl Popper écrit ainsi que Hume a tort d’ « abandonner le rationalisme et [de] regarder l’homme non comme un être doué de raison, mais comme le produit de l’habitude aveugle »132 car, explique-t-il, « nos actes ne reposent pas sur la répétition ou « l’habitude », mais sur les mieux testées de nos théories ».133

108. Cette épistémologie n’est pas applicable qu’à la recherche « consciente » de la vérité. L’inférence causale humienne, la répétition des expériences devenues coutume, trouve une explication rationnelle dans l’analyse de Popper. Le fait que le soleil se soit toujours levé, pour reprendre l’exemple de Quine, nous permet d’organiser nos journées. Nous inférons de nos expériences répétées que le soleil se lèvera demain et que notre journée se déroulera donc de telle ou telle façon, elle-même probablement répétitive. Le nombre des répétitions n’apporte au mieux qu’un affermissement insensible mais permanent de notre croyance. Mais, si le soleil venait à ne pas se lever demain (falsification de notre croyance), nous serions très fortement impressionnés par cette falsification, conformément à l’asymétrie vérification - falsification qu’explique Popper. Une seule expérience contraire à notre idée - consciente ou inconsciente - aurait une valeur infiniment plus grande en récusant « avec certitude notre idée de certitude ». Nous ne serions ainsi plus certains que le soleil se lèvera demain mais certains que le soleil peut ne pas se lever un matin, donc certains que l’idée que le soleil se lève toujours est fausse. Nous nous rapprocherions ainsi d’une vérité « plus vraie » quoique toujours incertaine.

131 W.V. Quine, La poursuite de la vérité, (Harvard University Press 1990), éd. française aux éd. du Seuil, coll. l’ordre philosophique (trad. M. Clavelin), Paris 1993, pp. 34-35.

132 K. Popper, op. cit., p. 164. 133 K. Popper, op. cit., loc. cit.

109. Bien sûr, si la logique de l’inférence causale est en ce point conforme à celle de la recherche scientifique, il n’en demeure pas moins que nos passions occupent une place à la fois plus grande et plus essentielle dans la première que dans la seconde. Nous pouvons parfaitement maintenir nos jugements dont l’expérience a récusé la validité par une motivation passionnelle au risque de « périr »134 avec. Ceci achève d’ajouter de la fantaisie à l’incertitude.135

110. Nous pouvons le comprendre d’ores et déjà, le problème de la causalité a des implications infinies. Bien heureusement, le problème du lien de causalité, ainsi qu’il se présente au juge, ne remue pas ces implications, il ne concerne que la question plus précise, plus limitée et en réalité plus modeste de l’explication causale.

Sous-section 2 L’explication causale ex post facto, la modestie du lien de causalité

111. On doit au philosophe américain Donald Davidson d’avoir démontré en quoi l’explication causale des faits passés pouvait à la fois être valide sans être nécessairement fondée, a priori, sur des lois causales générales (A) et être valide sans qu’il soit nécessaire d’en déduire, a posteriori, de quelconques lois prédictives (B). De ce point de vue, Davidson démythifie et isole l’explication causale par rapport à la très inaccessible causalité humienne.

A) L’explication causale valide sans le soutien de lois causales