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L’inanité de la lecture de la notion de lien de causalité en termes de notion

Section 2 Les outils conceptuels d’analyse du lien de causalité juridique

B) Le lien de causalité comme notion fonctionnelle ? Les enseignements de la

2) L’inanité de la lecture de la notion de lien de causalité en termes de notion

227. Cette inanité résulte deux éléments liés qui vident, pour nous, la lecture du lien de causalité en termes de notion fonctionnelle de sa pertinence. En premier lieu, et il s’agit là du même constat –qui n’est pas une critique en soi- que nous faisions dans l’étude du standard : au mieux le concept de notion fonctionnelle

289 G. Tusseau, préc., pt. 20.

290 M. Tusseau souligne d’ailleurs que « les autres tentatives de renouvellement de l’appareil intellectuel des juristes, qui ont pu emprunter la voie des standards, des notions à contenu variable, des notions souples, des notions-cadres, etc. peuvent, mutatis, mutandis, se voir appliquer l’analyse dont font ici l’objet les notions fonctionnelles. ». G. Tusseau, préc., pt. 5.

291 M. Tusseau explique l’usage de cette notion, « la construction de l’antagonisme entre la classe des notions qui sont fonctionnelles et la classe des notions qui ne le sont pas se situe à un niveau métalinguistique vis-à-vis des discours juridiques dans lesquels sont effectivement utilisées ces notions fonctionnelles et non fonctionnelles. Aussi peut-on parler, dans la mesure où les diverses notions fonctionnelles se trouvent ainsi regroupées sous une catégorie unitaire, de « métanotion » fonctionnelle et, corrélativement, de « métanotion » non fonctionnelle. » G. Tusseau, préc., pt. 11. 292 G. Tusseau, préc., pt. 21.

pourrait-il servir, « à peu de frais » , de point de départ à une recherche empirique. Car, en soi, le fait de considérer la notion de lien de causalité comme une notion fonctionnelle ne nous apprend rien de ses manifestations pratiques et des logiques de ces manifestations.

228. Mais, au pire, et c’est le second élément qui est lié au premier, ranger le lien de causalité dans la catégorie des notions fonctionnelles risquerait de nous aveugler en créant une forme a priori de rationalité minimale : le lien de causalité obéit à une logique fonctionnelle et non à une logique conceptuelle –contrairement à des notions qui seraient véritablement conceptuelles, ce qui nous permet de comprendre que la jurisprudence puisse être, elle-même, « vague, contradictoire et sans unité »294. Or, rien ne nous indique qu’une telle notion dite fonctionnelle n’obéisse à des logiques précises qu’il nous faut tenter de comprendre et, nous- mêmes, de conceptualiser.

229. On touche ici à un point que rappelle précisément M. Tusseau qui concerne la distinction des niveaux de langage (à laquelle nous nous trouvons tenus en tant qu’observateur de la jurisprudence). L’auteur souligne, sous l’intitulé « langage versus métalangage »295, que « la dogmatique ou la science du droit

prennent le droit objectif pour objet. Elles se situent donc vis-à-vis de lui à un niveau supérieur, c'est-à-dire dans un méta-langage vis-à-vis du langage-objet qu’est le droit positif. »296 Or, en expliquant qu’une notion est fonctionnelle parce qu’elle varie en

droit positif et que le contenu d’une notion varie en droit positif parce qu’elle est fonctionnelle, on demeure soumis à ce droit positif sans passer à un niveau de langage scientifique qui permettrait de dégager des concepts expliquant, de façon intangible, les raisons de la variation.

230. M. Tusseau explique en citant l’étude de M. Bienvenu, « Le droit administratif : une crise sans catastrophe »297 : « on ne peut […] tirer de catégories à

vocation fonctionnelle des conclusions à prétention scientifique. » De ce point de vue,

293 G. Tusseau, préc., pt. 25.

294 G. Vedel, « De l’arrêt Septfonds à l’arrêt Barinstein. (La légalité des actes administratifs devant les Tribunaux judiciaires) », préc., pt. 11.

295 G. Tusseau, préc., p. 654. 296 G. Tusseau, préc., pt. 48.

écrit à la suite M. Tusseau, la distinction entre notions conceptuelles et notions fonctionnelles se trouve, […] au cœur de confusions importantes. Mouvantes et incertaines, les notions fonctionnelles relèvent du langage du droit. Elles restent stables ou fluctuent – i.e des termes déterminés se voient attribuer des significations identiques ou changeantes- notamment en raison de ce que l’on peut comprendre comme des stratégies de pouvoir des acteurs juridiques. Au contraire, les notions de la science du droit, que l’on peut comprendre comme des métanotions vis-à-vis du langage-objet, doivent pour leur part se conformer à des exigences de rigueur, de précision et d’univocité. »

231. En ce sens, la critique de la notion fonctionnelle est précieuse mais non comme un discours sur la notion mais comme un discours sur la méthode pour étudier cette notion. Le lien de causalité peut varier dans la jurisprudence (la cause pertinente est parfois le fait de la chose, parfois le fait du gardien, parfois le fait d’un enfant, parfois celui d’une personne publique ; parfois une simple présomption de lien de causalité peut suffire, parfois, au contraire, la preuve est rigoureusement appréciée ; etc.), mais les raisons de ces variations ne varient pas en revanche et ce sont ces raisons qu’il nous incombe de distinguer. Ainsi, par exemple, le juge administratif peut très facilement considérer que la victime d’un dommage a concouru à la réalisation de son propre dommage, il établit donc facilement un lien de causalité entre le comportement de la victime et la réalisation de son dommage. Pour expliquer les raisons de cette appréciation du lien de causalité, nous ne dirons pas que « la fonction du lien de causalité est de permettre cette jurisprudence » mais qu’une politique jurisprudentielle de sévérité à l’encontre de la victime coauteur de son propre dommage est constatable dans l’établissement souple d’un lien de causalité entre le comportement de la victime et son dommage. C’est dans cette sévérité que se trouve invariablement la raison de cette liaison causale mais il nous faut l’expliquer en recourant à l’idée, extérieur au langage du droit, de « sévérité » du juge administratif.

Conclusion du chapitre 1

232. Le lien de causalité est dans un entre-deux. Il comporte une part d’indétermination inhérente à cette notion et à sa qualification juridique mais ne constitue pas un massif inaccessible comme la causalité. Le lien de causalité ne doit pas être appréhendé comme une notion impénétrable au prétexte qu’elle trouverait ses racines dans un questionnement sur la causalité car elle n’est pas plus obscure que d’autres notions juridiques indéterminées. Mais il ne faut pas non plus considérer le lien de causalité comme une notion objective, dont les manifestations se constateraient matériellement sans autre forme de réflexion. L’explication causale est un jugement sur les faits, une sélection des faits pertinents. Nous pouvons d’ores et déjà en tirer un enseignement en abandonnant une idée sur le lien de causalité : l’idée que le lien de causalité juridique puisse être déterminable en dehors d’une étude empirique de la jurisprudence administrative. Ceci n’est possible ni par un recours à la causalité philosophique qui ne nous servira jamais pour savoir, ontologiquement, ce qu’il faut entendre par cause d’un dommage ni par une explication fondée sur les théories juridiques de la causalité que nous voyons plus, à ce stade, comme des obstacles à l’étude du lien de causalité.

233. Cet enseignement nous invite maintenant à étudier la jurisprudence administrative en commençant par déterminer la façon dont le juge administratif appréhende le lien de causalité.

Chapitre 2 : Le lien de causalité : entre appréciation factuelle et