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Les possibilités avec un niveau d’éducation : approche du Capital humain et apport des

Chapitre 2 : La théorie des Capabilités appliquée à l’éducation

2. De la base d’information du capital humain à celle des capabilités

2.2 Les possibilités avec un niveau d’éducation : approche du Capital humain et apport des

La principale différence, dans l’approche instrumentale de l’éducation, entre capital humain et

capabilités réside sans doute dans le fait que le capital humain limite son champ

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d’investigation aux possibilités d’augmentation des capacités productives des individus. Comme le rappelle Sen (1999): « L'utilisation du concept de capital humain, qui se concentre

seulement sur une partie de l'image (une partie importante, liée à l'élargissement du montant de « ressources productives»), est certainement une opération enrichissante. Mais elle nécessite des analyses complémentaires42.»

L’éducation permet en effet certes un accès plus aisé à l’emploi, mais elle permet d’une manière plus large d’accéder à plus de libertés et de bien-être pour les individus. Le capital humain est en effet surtout centré sur l’analyse de l’éducation en termes de gain salarial et non d’une manière plus globale en terme de possibilités accrues concernant l’accès à un ensemble d’autres fonctionnements de valeurs (Sabadash, 2010). Par ailleurs, au-delà du seul rendement salarial, l’approche de Sen permet de prendre en compte les perspectives de développement professionnel des individus, notamment de développement de carrière mais aussi de manière plus large de bien-être général (Zimmermann, 2011).

Terzi (2004) indique que l'éducation est un besoin de base car elle augmente les possibilités de choix dans le travail ainsi que les possibilités de participation sociale et politique. Elle permet également d'aider les individus à faire des choix, à exprimer plus objectivement des états et des faits de valeurs (donc à devenir plus autonome et à éviter les situations de « préférences adaptatives »). Pour la théorie des capabilités le rôle de l’éducation est ainsi multidimensionnel.

Pour Sabadash, (2010), il est alors essentiel d’élargir la base informationnelle du capital humain aux capabilités. Dans la conclusion d’un papier basé sur une comparaison empirique entre le capital humain et les capabilités l’auteur indique en effet que :

« Une structure d’évaluation étendue [l’approche par les capabilités] fournit beaucoup

d'informations supplémentaires comparées à l'approche capital humain pure. Ces informations doivent être soigneusement évaluées et utilisées lors d’une prochaine étape de recherche, avec l’objectif ambitieux de créer un modèle testable reflétant les aspects quantitatifs et qualitatifs des capabilités des individus à élaborer tous les ingrédients contribuant à leur bien-être personnel 43» (Sabadash, 2010, p.172).

Qui plus est, la théorie du capital humain dans une approche instrumentale de l’éducation ne permet pas de prendre en compte le contexte et la conversion des ressources en possibilités

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Il s’agit d’une traduction de notre part. 43

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réelles d’agir. Or avec un certain niveau d’éducation, il peut exister par exemple des contextes discriminants selon le genre ou l’origine migratoire des personnes (Hannum and Buchmann, 2003). Dans une perspective capital humain, un plus haut niveau d’éducation mène nécessairement à un emploi de meilleur qualité et permet d’améliorer le statut socioéconomique. Néanmoins cette tendance n’est pas toujours vérifiée empiriquement : un contexte discriminant peut limiter l’accès à un emploi par exemple. En prenant l’exemple des inégalités hommes-femmes, Chiappero-Martinetti et Sabadash (2012) indiquent que des normes culturelles (lorsque les femmes ont le quasi-monopole des tâches domestiques par exemple) ainsi que certains dispositifs institutionnels (ou plutôt manque de dispositif tel que l’absence d’un système de garde d’enfants opérationnel) affectent alors la possibilité pour les femmes de transformer des ressources en liberté réelle de choisir leur vie.

Comme le rappelle Unterhalter (2009) à propos de la théorie du capital humain : « Ce cadre

ne prend pas en compte les marchés du travail ségrégés où les personnes, quelque soit leur niveau d'éducation, sont affectées à certains emplois en fonction de leur race, leur genre ou de suppositions concernant leur classe sociale ou leur caste ».

Il faut noter que la théorie du capital humain, telle que initialement développée par Becker (1964) et Mincer (1974), a beaucoup évolué. Dès les années 80, des analyses tendent à prendre en compte les rendements non-marchandes de l’éducation (Haveman et Wolfe, 1984). L’éducation est, par ailleurs, de nos jours appréhendée comme un ensemble de compétences, de connaissances et d’autres attributs ouvrant des possibilités aux individus. Cependant il faut remarquer que cette approche reste centrée sur la transformation d’un niveau d’éducation en résultats obtenus sur le marché du travail, n’étudiant le rôle multidimensionnel de l’éducation que très marginalement (Chiappero-Martinetti et Sabadash, 2012).

Au-delà de l’approche substantielle du capital humain, il est possible de distinguer la théorie des capabilités par rapport à une vision plus « représentationnelle » du capital humain. Cette distinction entre approche fidèlement « substantielle » du capital humain et approche « représentationnelle » a été opérée par Poulain (2002). Comme l’a indiqué Farvaque (2003) « […] l'ensemble théorique rapidement apparu comme une suite d'hypothèses difficilement

réalistes (comportement hyper-rationnel des acteurs) a cédé la place à une vision intuitive du capital humain. C'est le sens commun qui prévaut ici, indiquant l'idée qu'une personne est une somme de compétences acquise ou à acquérir ».

Ainsi : « la version représentationnelle de la théorie du capital humain a fait émerger les

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situations individuelles et des arrangements sociaux en faveur de l'emploi, sur laquelle la plupart des acteurs se retrouvent aujourd'hui » (Farvaque, 2003 p.19-20).

L'individu a tout intérêt à se former et à prendre en charge son employabilité s'il veut qu'un maximum d'options s'offre à lui. Dans la mesure où elles s'intéressent toutes deux à l'autonomie des individus et aux opportunités dont ils peuvent se saisir, cette approche représentationnelle du capital humain semble se rapprocher de la théorie des capabilités. Or cette vision représentationnelle du capital humain et les politiques d’activation actuelle qui en découlent renvoient à un Etat social démocrate davantage soucieux de promouvoir l’individualisme patrimonial (les dotations en termes de formation) que l’individualisme citoyen (« capabilités » de devenir acteur de son destin et de la vie démocratique) (Gautié, 2003). Comme nous l’avons rappelé, en nous basant explicitement sur Bonvin et Farvaque (2007), la principale différence concerne la base informationnelle. Ainsi, bien que celle du capital humain se soucie de l'autonomie des individus, elle est avant tout une base adéquationniste qui a pour objectif de rendre les individus les plus attractifs possibles aux yeux des entreprises. Le principe d'égalité des chances est alors subordonné à un étalon marchand. La base informationnelle des capabilités a pour objectif de rendre compte des procédures permettant la liberté réelle des individus. Cette seconde base se focalise donc sur le renforcement de l'autonomie des individus au sens augmentation des possibilités réelles. Cet objectif d'autonomie concerne autant la formation initiale que la formation continue. En effet pour Saito (2003) le rôle de l’éducation dans une approche par les capabilités est fondamental : rendre les individus plus autonomes. Cet objectif d'autonomie parait essentiel pour la formation initiale comme dans le cadre de la formation continue. La base informationnelle des capabilités tentera alors d'apprécier si une telle formation est envisagée dans le cadre plus général d'un deuxième accès à l'éducation, donc d'une seconde chance pouvant ouvrir de nouvelles opportunités pour l'individu. Les objectifs de l’approche instrumentale de l’éducation sont donc totalement différents : pour le capital humain le but de l’éducation est d’augmenter l’employabilité (dans le but sous-jacent de rendre les individus plus attractifs) tandis que pour la théorie des capabilités il s’agit davantage de permettre aux individus d’accéder à un ensemble de fonctionnements de valeur (possibilité de choisir un certain travail plutôt qu’un autre, possibilité de choisir son temps de travail, avoir la liberté de refuser un emploi, une formation mais aussi d’accéder à un logement, à un certain niveau de bien-être etc.).

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La théorie des capabilités vise ainsi à mettre l’accent sur les libertés individuelles de choisir un certain mode de vie. Cette dimension choix dans les deux approches (capital humain et

capabilités) renvoie alors à une conception particulière de la responsabilité. Du point de vue

des approches de l’activation et de l’employabilité l’individu en exerçant des choix est responsable de son capital humain et de sa situation. Selon l’approche par les capabilités, il ne peut y avoir responsabilité individuelle sans que les politiques publiques aient mis en place un contexte favorisant des opportunités réelles. Une même situation ne sera pas interprétée de la même manière selon l’approche retenue. Alors que pour les politiques d’activation une personne sans emploi ne prend sans doute pas suffisamment en charge son employabilité, dans une perspective capabilités cette personne manque peut-être de possibilités réelles de choisir une autre voie. En matière d’emploi, dans cette dernière approche, la responsabilité collective est nécessaire.

La base informationnelle du capital humain et celle des capabilités ne semblent ainsi pas éclairer les mêmes choses. La vision du rôle de l'éducation n'est pas la même: pour la théorie du capital humain le rôle de l’éducation reste avant tout un rôle instrumental et économique impliquant une responsabilité de la part des individus. D’une manière plus large, l’éducation dans une perspective capabilités est perçue à la fois comme une fin en soi (valeur intrinsèque) mais également comme un moyen (valeur instrumentale) d’accéder à d’autres fonctionnements (l’emploi, le choix, le bien-être etc.). En outre, dans une approche instrumentale de l’éducation, la théorie des capabilités permet la prise en compte du contexte des décisions individuelles et de la liberté de choix réelle (impliquant une responsabilité collective), dans une perspective fondamentalement multidimensionnelle du rôle de l’éducation (l’emploi de qualité mais aussi l’autonomie, la satisfaction de soi, la participation à la vie politique et sociale etc.). Notons que selon certains auteurs, les analyses théoriques et empiriques en économie du travail et de l’éducation gagneraient à combiner les deux approches, la théorie du capital humain pouvant significativement s’enrichir des concepts de Sen (Chiappero-Martinetti et Sabadash 2012).

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