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L’égalitarisme des opportunités et la responsabilité individuelle : les apports de Roemer,

Chapitre 1 : Inégalités et éducation : les apports de la Justice sociale

2. Les différentes théories de la justice sociale applicables à l’éducation: une revue de littérature

2.3 L’égalitarisme des opportunités et la responsabilité individuelle : les apports de Roemer,

A côté des théories égalitaristes libérales plutôt « ressourcites », il existe un courant caractérisé par une revendication égalitariste dans l’espace des opportunités avec une certaine éthique de la responsabilité. Ces théories se focalisent notamment sur la différence qu’il existe dans les situations perçues comme injustes entre choix et circonstances. La décision délibérée résulte d’un choix de la part des individus, leurs conséquences doivent donc être assumées, les individus en deviennent donc responsables. En revanche, les circonstances s’apparentent au hasard et ne doivent pas induire de responsabilités individuelles. Dans ce courant, une allocation juste des ressources doit différencier les talents des individus (ce dont ils ne sont pas vraiment responsables), de leurs efforts.

La conséquence est que chaque individu d’une société pourra prétendre à une place particulière en fonction de l’effort et du mérite qu’il consent pour obtenir cette place. Il est donc nécessaire d’égaliser l’opportunité de pouvoir prétendre à chacune des places offertes par la société.

Bien souvent dans cette conception de la justice, nous sommes à mi-chemin entre égalitarisme des ressources et des opportunités. Ainsi Cohen (1989) parle d’égalité de l’accès aux

avantages, dans une analyse se situant entre bien-être, ressources et opportunités (Maguain,

2002). Dans son approche, le concept de responsabilité est crucial et reflète le contrôle que les agents ont sur leurs actions (les choix que les agents ont fait ou peuvent faire). L’idée de justice renvoie au fait que l’on cherche à atténuer autant que possible l’effet de désavantages qui ne reflètent pas le choix des agents (ne mettant donc pas en jeu la responsabilité individuelle).

Ce courant sur l’importance de la responsabilité dans l’évaluation du caractère juste d’une situation a été également développé par Roemer (1993). Cet auteur cherche en fait à déterminer l’effort consenti par les individus pour atteindre les objectifs fixés, à talents égaux. Ainsi dans cette approche, on accepte les inégalités de résultats à partir du moment où la société offre à chaque individu les mêmes chances d’atteindre les buts fixés. Les inégalités de résultats sont alors considérées comme justes dès lors qu’elles dépendent entièrement des

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choix des individus. L’auteur propose donc de séparer ce qui est de l’ordre du contrôle de l’individu (ses efforts, son mérite) de ce qui ne l’est pas (ses circonstances, ses talents). Afin d’évaluer la responsabilité individuelle, sa proposition est de classer les individus en sous- groupe partageant les mêmes circonstances, représentés sous forme vectorielle. Dans cette perspective, les différences de résultats entre les individus de même sous-groupe reposent uniquement sur la responsabilité individuelle.

En cherchant à appliquer cette théorie de l’éducation, Roemer (1993) va alors tenter, en définissant des types d’élèves, de déterminer l’effort consenti par des individus appartenant au même sous-groupe, en comparant le degré de réussite. Les critères exogènes pour définir les sous-groupes sont : le revenu des parents, le niveau d’éducation des parents, l’appartenance ethnique, l’état de santé et l’aptitude individuelle (mesurée par des tests d’intelligence). Cette opération pourrait alors permettre à l’Etat de mettre en œuvre des politiques spécifiques vers des zones où il existerait des circonstances qui semblent défavorables. Grâce au concept de classe « type » il est alors possible, à partir de la position de la personne, de déterminer quel est son degré de responsabilité.

Dans la lignée de ce courant sur la notion de responsabilité individuelle dans le champ de l’éducation, Trannoy (1999) propose une combinaison du principe de compensation (« A effort égal, réalisation égale ») et du principe de récompense naturelle (« A talent égal, ressources égales ») tout au long de la carrière scolaire d’un individu. Le principe de compensation concerne alors l’ensemble des facteurs pour lesquels l’individu ne peut pas être jugé comme responsable. Le principe de récompense naturelle induit que la société doit laisser les facteurs individuels naturels suivre leur cours et ne pas intervenir. Le niveau de revenu de la famille ainsi que le statut socioprofessionnel des parents peuvent être rangés parmi les premiers facteurs (ceux nécessitant un principe de compensation). En revanche, les talents, les mérites, les préférences, le goût pour l’effort sont à classer parmi les facteurs induisant un principe de récompense naturelle. Notons qu’il est possible de considérer que certaines disparités scolaires liées à la décision des parents lors d’une certaine étape puissent relever de facteurs dépendants des individus, dans la mesure où il y a bien expression d’un choix et d’une préférence (même s’il s’agit d’un choix exprimé par les parents). Ces facteurs dépendants impliqueraient alors une certaine responsabilité, il ne faudrait donc pas chercher à en compenser l’impact (Andrada, 2007).

Bien que ces théories apparaissent véritablement novatrices et intéressantes, du fait qu’elles s’interrogent sur les opportunités réelles des individus et du fait de leur opérationnalité, il semble qu’il soit tout de même relativement difficile de séparer ce qui est du ressort de

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l’individu de ce qui ne l’est pas. En effet, dans la pratique, la frontière entre le mérite et les circonstances peut être assez floue, le danger étant d’imputer des résultats scolaires au mérite (et donc à la responsabilité individuelle) alors qu’ils peuvent venir de circonstances inobservées.

Fleurbaey (2005), propose d’assouplir la notion de responsabilité individuelle pour se concentrer sur la responsabilité sociale des institutions. Il refuse alors l’idée que les choix rationnels des individus ne doivent absolument pas appeler d’aides de la part des institutions et qu’ils puisent subir à vie les retombées de leur choix rationnel. Les idées de Fleurbaey (1995a) sont alors assez proches de celles de Sen (1992) : les individus ne sont pas toujours entièrement responsables de leurs préférences, en raison d’un certain nombre de facteurs externes (tels que les talents ou encore les handicaps). Il est donc difficile selon lui de distinguer un choix issu d’une préférence réelle d’une décision prise faute d’autres opportunités possibles20.

Il est alors nécessaire de responsabiliser la société concernant certaines réalisations de base des individus, l’éducation ayant une place de choix dans ces réalisations. Les individus ne deviennent véritablement responsables de leur situation qu’une fois les réalisations primaires assurées par la société. Fleurbaey (1995a) rejoint par ailleurs Rawls dans l’idée d’accorder davantage de ressources pour maximiser le bien-être des défavorisées. Selon Fleurbaey (1998), cette compensation ne devrait concerner que la première partie de la scolarité, tandis que la deuxième partie devrait plutôt obéir au « principe de récompense naturelle » (Fleurbaey, 1998), qui s'énonce « à talent égal, ressource égale ». Cela pose la question du moment de cette deuxième phase, ce qui est une tâche compliquée. Trannoy (1999) propose par exemple le moment où les compétences acquises sont assez importantes pour annuler l'effet de l'origine sociale ou des aptitudes naturelles, ce qui ne fait que reporter notre questionnement : à partir de quel phase l'effet de l'origine sociale ou des aptitudes naturelles n’existe plus ?

Il est par ailleurs essentiel selon cet auteur de fonder l’évaluation de la justice sur des indicateurs de réalisations objectifs. Les appréciations subjectives telles que la satisfaction n’ont pas à être évaluées. Ce choix est notamment dû à la prise en compte des effets pervers des évaluations trop subjectives évoquées précédemment (préférences adaptatives mais aussi mauvaises informations etc).

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Il prend notamment l’exemple d’un étudiant ayant renoncé à poursuivre ses études au bout d’un an de formation : l’étudiant a-t-il alors eu la possibilité réelle de réussir et d’obtenir son diplôme (Fleurbaey, 2001) ? Selon lui, et nous le concevons facilement, il est très difficile de répondre à cette question.

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Selon Véro (2002), il parait délicat de fonder l’évaluation des situations d’injustices uniquement sur des indicateurs objectifs de réalisations. En effet, parfois les faits objectifs ne peuvent être clairement compris et interprétés qu’à la lumière d’indicateurs subjectifs. On risque fort de tomber dans une forme d’évaluation des situations relativement « paternaliste » ou « ethnocentrique » où les institutions imposent ce qui est bon pour l’individu21.

Notons que bien que généralement classée dans le champ de l’égalitarisme des chances, les concepts de Fleurbaey peuvent être à rapprocher en réalité de l’égalitarisme des résultats dans la mesure où sa conception de la justice se fonde sur la base des résultats. On pourra toutefois parler d’égalité des chances dans les réalisations primaires.

Certaines théories de la justice sociale dans le champ de l’éducation fondent beaucoup plus clairement les critères d’évaluation des inégalités sur les résultats. Nous les développons brièvement dans le paragraphe qui suit.

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