• Aucun résultat trouvé

Appartenance à une trajectoire-type en France : quelles possibilités ? Quels éléments de

Chapitre 5 : Espace des possibles au sein de chaque système éducatif : quels parcours de

3 Appartenance aux trajectoires-types : structures d’opportunités et de contraintes des systèmes

3.1 Appartenance à une trajectoire-type en France : quelles possibilités ? Quels éléments de

Nous tentons d’apprécier les marges de manœuvre des individus au sein du système éducatif français en essayant de déterminer quelles sont les éléments influençant l’appartenance à une trajectoire et dans quelle ampleur ces éléments affectent l’appartenance. Pour le cas français, le modèle latent peut être résumé tel que :

(1)

Y

i



1

X

i



2

S

i



3

E

i



4

C

i



i

Dans cette équation, Y est la variable dépendante c’est-à-dire la trajectoire éducative suivie. S,

E et C représentent les variables d’intérêt. S est un vecteur d’explicatives représentant de la

situation scolaire de l’individu en début de parcours, plus particulièrement sa performance scolaire en 6ème et son passé scolaire (à savoir avoir fait l’objet d’un redoublement au primaire). E prend en compte le niveau d’éducation le plus élevé des parents169. C représente plus globalement un ensemble de variables caractérisant l’environnement socioculturel de l’individu : il comprend les activités culturelles de l’individu (particulièrement ici le fait d’être inscrit dans une bibliothèque, dans un conservatoire ou une école de musique) ainsi que le choix de deux options accessibles au collège : le latin et l’allemand en première langue vivante en 6ème. Ces options renvoient à des éléments de différenciation interne pouvant faire l’objet de stratégies de la part des familles (elles peuvent représenter des proxy d’un environnement culturel plutôt favorisé). Elles constituent pour les familles favorisées un élément de distinction sociale permettant, en outre, l’accès à de « bonnes classes »170

(Duru- Bellat, 2003). Cet ensemble prend également en compte l’origine géographique du père.

169

En trois niveaux, tels que présentés précédemment : inférieur au secondaire II, égal au secondaire II et études supérieures. Soulignons que nous avons fait le choix de nous intéresser au niveau d’éducation des parents (niveau d’éducation le plus haut atteint par au moins un parent) plutôt qu’à leur catégorie socioprofessionnel (CSP) en raison du fait que nous travaillons sur les trajectoires scolaires des jeunes. Autrement dit la CSP ne permet pas selon nous d’estimer au mieux l’environnement culturel des jeunes : les parents peuvent avoir connu soit un déclassement sur le marché du travail par rapport à son niveau d’études, soit au contraire une « promotion ». De ce fait la CSP ne permet pas d’appréhender systématiquement les ressources culturelles de la famille qui peuvent s’avérer déterminantes dans une trajectoire (aide aux devoirs….). Par ailleurs, à la manière de Bauer et Riphahn (2006) ou Wössman (2004), nous nous intéressons particulièrement à la mobilité intergénérationnelle des niveaux d’éducation.

170

179

X représente un ensemble de variables de contrôle (tel que le sexe de l’individu, le nombre de

frères et sœurs171

ou le fait que l’individu ait suivi sa scolarité dans une Zone d’Education Prioritaire. Enfin comme usuellement

est un terme d’erreur.

Comme nous l’avons indiqué, il s’agit d’un modèle logit multinomial dont les détails sont développés dans l’encadré suivant. Pour la France, la trajectoire de référence est la trajectoire 3 (trajectoire professionnelle), nous tentons donc d’analyser la probabilité d’appartenir à une trajectoire Y plutôt qu’à la trajectoire de référence (trajectoire 3).

Encadré 1 : le modèle multinomial

L’objet est d’identifier parmi les caractéristiques individuelles, en particulier celles relatives au niveau d’éducation des parents, à l’environnement culturel de la famille de l’individu et aux performances scolaires, les déterminants de l’appartenance à l’une ou l’autre des cinq trajectoires mises en évidence. On s’intéresse donc aux déterminants de l’appartenance aux parcours types précédemment établis. Dans cette perspective, nous estimons un modèle logit

multinomial (Gouriéroux, 1984) dans lequel la typologie (5 modalités) est la variable à

expliquer et les caractéristiques individuelles constituent les facteurs explicatifs. Il s’agit d’un modèle logit polytomique non ordonné (dont le modèle de base est le logit multinomial). Un tel modèle est structuré de manière telle que l’individu arbitre entre deux choix a et b indépendamment des autres choix qui lui sont offerts. Cela suppose que la proximité de nature qui peut exister entre plusieurs choix offerts à l’individu n’est pas considérée. On parle hypothèse d’indépendance des choix offerts (IIA : Independance from Irrelevant Alternatives). Le modèle s’écrit

:

(1)               

    1,2,3,4 j pour ) exp( 1 1 ) ( 1,2,3,4 j pour ) exp( 1 ) exp( ) ( 1 1 1 1 J h h i i J h h i j i i x x Yj P x x x yj P   

divisant P( yj xi) par P(Yj xi) et en en prenant le logarithme, on obtient :

(2) ln[ P( y x )/ P(Y x )] x , pour j = 1, 2 ,3, 4

La log-vraisemblance est finalement égale à :

   



   n i j i ij P yx y L 1 4 1 ) ( ln ) ( ln  

où, yij1 si l’individu i a choisi j, 0 sinon. C’est la contribution de i à la vraisemblance.

171

Nous comparons le fait que l’individu soit enfant unique ou le fait qu’il ait plus de deux frères et sœurs au fait qu’il ait entre 1 et 2 frères et sœurs.

180

Tableau 8: L’appartenance à une trajectoire en France-modèle logit multinomial (en Rapports des Risques Relatifs)

Trajectoires

Situation scolaire:

Performance scolaire: (ref: moyenne

haute)

Performance faible 0,40 *** 0,32 *** 0,39 *** 0,77

Performance élevée 2,67 *** 7,04 *** 5,24 *** 1,58 ***

Impact de scolarité antérieure:

Redoublement au primaire 0,27 *** 0,09 *** 0,18 *** 0,85

Environnement socioculturel:

Niveau de diplôme le plus élevé des parents: (ref: Moyen)

Faible 0,92 0,68 *** 0,81 1,24

Haut 2,90 *** 8,65 *** 3,96 *** 1,69 **

Pays de naissance du père: (ref :France)

DOM-TOM 2,31 * 3,11 * 1,70 0,90 Etranger 1,65 *** 2,16 *** 1,50 ** 1,01 Environnement culturel: Bibliothèque 1,69 *** 1,92 *** 1,67 *** 1,63 *** Conservatoire 2,09 *** 3,38 *** 2,15 *** 1,27 Option: Latin 2,86 *** 7,46 *** 4,59 *** 1,60 ** Option: Allemand LV1 0,94 1,58 *** 1,35 * 0,91 Sexe: homme 0,83 * 0,63 *** 0,55 *** 0,56 ***

Nombre de frères et sœurs: (ref: entre 1

et 2) Aucun 0,91 1,37 * 1,36 1,23 Plus de 3 0,88 0,91 0,91 1,05 Autres variables: ZEP en 1995 0,98 0,72 * 0,79 0,77 Trajectoire technologique Trajectoire académique Trajectoire générale (études courtes) Trajectoire professionnelle et technolgique

(***) Significatif au seuil de 1%, (**) au seuil de 5% et (*) au seuil de 10%

Note de lecture : les rapports de risques relatifs (Relative Risk Ratios) représentent le rapport entre la probabilité d’appartenance à la trajectoire Y et la probabilité d’appartenance à la trajectoire professionnelle, ils permettent de faciliter l’interprétation.

Source : Panel DEPP EVA (données pondérées)

Au vue des résultats du modèle, nous constatons que les trajectoires françaises semblent bel et bien déterminées par la situation scolaire de l’individu lors de son entrée dans le secondaire I. Du point de vue de la performance scolaire, l’ensemble des trajectoires se distinguent de la trajectoire professionnelle (qui est la trajectoire de référence). Ainsi avoir une bonne performance augmente les chances d’être dans n’importe quelle trajectoire autre que la trajectoire de référence. L’effet est particulièrement marqué pour la trajectoire académique puisqu’une bonne performance multiplie par 7 les chances d’appartenir à cette trajectoire plutôt qu’à la trajectoire professionnelle. Il est aussi significatif de constater que cette variable différencie la trajectoire professionnelle et technologique de la trajectoire professionnelle :

181

une bonne performance à l’âge de 12 ans augmente les risques de 1,6 fois les risques d’être dans une trajectoire professionnelle et technologique plutôt que d’être dans la trajectoire de référence.

En outre, le fait d’avoir redoublé au primaire réduit les chances d’appartenir aux trajectoires académique, générale et technologique plutôt qu’à la trajectoire professionnelle alors que cette variable ne permet pas de distinguer l’appartenance à la trajectoire professionnelle et technologique de l’appartenance à la trajectoire professionnelle (trajectoire de référence). Le niveau d’éducation des parents se révèlent très significatifs dans l’appartenance à une trajectoire, particulièrement lorsqu’il est élevé (plutôt que moyen). En effet, on observe qu’avoir un parent avec un niveau de diplôme très élevé multiplie par plus de 8 les chances d’être dans la trajectoire académique et plus largement les chances d’être dans n’importe quelle trajectoire plutôt que la trajectoire professionnelle (y compris donc la trajectoire professionnelle et technologique, pourtant très proche de la trajectoire professionnelle). En revanche avoir un parent faiblement éduqué ne conduit qu’à diminuer la probabilité d’être dans la trajectoire académique.

Les variables culturelles jouent également un rôle très significatif. Ainsi, être inscrit dans une bibliothèque augmente les chances d’être dans n’importe quelle trajectoire autre que la trajectoire professionnelle. De même, le fait d’être inscrit au conservatoire augmente les probabilités d’appartenance à chacune des trajectoires. Les options au début de collège influencent également d’une manière prononcée l’appartenance à une trajectoire. L’option latin multiplie par 7,5 fois les chances de fréquenter une trajectoire académique plutôt qu’une trajectoire professionnelle. Il est intéressant d’observer qu’elle multiplie également de 1,6 fois les probabilités d’être dans la trajectoire professionnelle et technologique plutôt que d’être dans la trajectoire professionnelle. Opter pour l’allemand en première langue augmente les chances d’être dans les deux trajectoires générales, mais est sans effet sur l’appartenance aux trajectoires technologique et technologique et professionnel.

Enfin, le fait d’avoir un père né à l’étranger augmente les risques d’appartenir aux trajectoires générales plutôt qu’à la trajectoire professionnelle. Bien que ce constat paraisse de prime abord contre-intuitif, il est plutôt en cohérence avec la littérature sur le sujet indiquant qu’en France toutes choses égales par ailleurs (en l’occurrence pour un même niveau de performance et à environnement socioculturel donné) les enfants d’origines immigrées optent davantage pour les filières académiques. Il n’y aurait ainsi pas en France d’effet

182

supplémentaire pénalisant, en plus de l’environnement socioculturel, pour les enfants d’immigrés (Vallet et Caille, 2000).

Ainsi, conformément à nos hypothèses, bien que le système éducatif français n’opère pas de séparation précoce et rigide au secondaire I, nous constatons que la situation scolaire du jeune en 6ème surdétermine sa trajectoire de formation et d’insertion. Nous remarquons que les trajectoires professionnelles constituent plutôt des trajectoires par défaut en France : une mauvaise performance et le fait d’avoir redoublé diminuent très significativement les risques d’être dans les trajectoires générales et technologique plutôt que dans la trajectoire professionnelle. Nous pourrions alors opérer la même hiérarchisation des filières que dans les statistiques descriptives présentées plus haut, en fonction du risque d’appartenance à une trajectoire en ayant une bonne performance scolaire (en prenant en référence appartenir à la trajectoire professionnelle) : trajectoire académique (7 fois plus de risque), trajectoire générale (5,2 fois plus de risque), trajectoire technologique (2,7 fois plus de risque), trajectoire professionnelle et technologique (1,6 fois plus de risque). Cette hiérarchisation des différentes filières et ce poids de la situation scolaire en 6ème ne paraissent pas un contexte propice à l’ouverture des possibilités des personnes et tendent à remettre en cause l’effectivité du tronc commun.

Nous avons par ailleurs constaté que les niveaux d’éducation des parents étaient significatifs pour toutes les trajectoires, particulièrement les hauts niveaux d’éducation. Notons qu’en raisonnant toutes choses égales par ailleurs, il est encore possible de hiérarchiser les filières en fonction du niveau d’éducation des parents. En prenant le fait que les parents aient un niveau d’éducation haut (par rapport au fait qu’ils aient un niveau moyen), nous pouvons opérer un classement (toujours en prenant en référence appartenir à la trajectoire professionnelle) tel que : trajectoire académique (8,7 fois plus de risque), trajectoire générale (4 fois), trajectoire technologique (2,9 fois), trajectoire professionnelle et technologique (1,7 fois). Qui plus est, les activités culturelles jouent aussi un rôle significatif : le fait d’être inscrit dans une bibliothèque a un rôle très significatif pour toutes les trajectoires. Par ailleurs, le fait d’être inscrit à un conservatoire de musique joue aussi un rôle important172.

En outre, nous avons observé que l’option latin au début du collège augmentait significativement les risques d’être dans les trajectoires générales et technologiques. Cette option renvoie aux éléments de différenciation au sein du collège dont peuvent se saisir les familles favorisées et représente de véritables facteurs de distinction sociale (Duru-Bellat,

172

Grâce à cette variable, nous pouvons hiérarchiser une nouvelle fois les trajectoires : académique, générale puis technologique.

183

2003). Il est en effet significatif de constater que faire latin fait partie des éléments différenciant la trajectoire professionnelle et technologique de la trajectoire professionnelle. Il serait même possible d’opérer la même hiérarchisation des trajectoires qu’avec le niveau d’éducation des parents grâce à cette option. Ces éléments de différenciation témoignent de l’absence de non-sélection et favorise donc un certain déterminisme social.

Ainsi, malgré un tronc commun long, les trajectoires de formation et d’insertion des jeunes dans le système éducatif français se révèlent à la fois faiblement réversibles (poids important de la performance scolaire en 6ème) et fortement déterminées, voire hiérarchisées par l’environnement socioculturel (effets des niveaux d’éducation des parents, inscription à la bibliothèque et choix d’options).

3.2 Appartenance à une trajectoire-type en Suisse : quelles possibilités ? Quels

Outline

Documents relatifs