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Les caractéristiques des différents systèmes éducatifs européens : un survey

Chapitre 3 : Le caractère « capacitant » des modèles éducatifs européens

1. Les caractéristiques des différents systèmes éducatifs européens : un survey

Comme nous l'avons indiqué les travaux sur les comparaisons internationales n'ont cessé d'augmenter ces dernières années et ce dans différentes disciplines telles que l'économie (Woesmann, 2004), la sociologie (Duru-Bellat et Kieffer, 1999) ou encore les sciences de l'éducation (Mons, 2004) 44. Ces études ont donné lieu à un certain nombre d’analyses dont les objectifs sont diverses (analyser les inégalités dans le primaire, les fonctionnements de l’école obligatoire, les différents rapports au marché de l’emploi etc.). Nous proposons dans cette partie de synthétiser l’apport de ces différents travaux pour comparer des modèles d’éducation en utilisant comme grille d’analyse la théorie des capabilités. Nous revenons dans un premier

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Ces différentes disciplines tendant d'ailleurs de plus en plus à travailler ensemble, l'ambition étant généralement d'enrichir l'analyse en croisant les cadres conceptuels et les méthodologies (voir par exemple à ce sujet l'ouvrage collectif coordonné par Dupriez, Orianne et Verhoeven (2008) )

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temps sur les travaux menés sur l’école obligatoire pour élargir l’analyse à ceux portant d’une façon plus globale sur les modèles sociétaux d’éducation.

1.1. Les études sur l'éducation obligatoire

Les travaux sur la comparaison des systèmes éducatifs se trouvent de nos jours facilités par le développement des évaluations standardisées internationales sur les compétences des élèves telles que les enquêtes PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) ou PISA (Program for International Student Assessment) dont l’objet est généralement de mesurer l'ampleur des inégalités éducatives dans un pays.

En se basant en grande partie sur PISA, Mons (2004) distingue quatre modèles éducatifs en Europe, la principale différence entre les modèles étant la manière de gérer l'hétérogénéité du public scolaire. Elle différencie en effet : le modèle de séparation, dont l'objectif est de favoriser la création de groupe homogène via une séparation forte des élèves et une sélection précoce (souvent dès la fin du primaire), du modèle d'intégration qui privilégie une école unique, souvent jusqu'au début du secondaire supérieur. Il existe un seul modèle de séparation pour trois modèles d’intégration (correspondant à trois façons différentes d’organiser l’école unique). Chaque modèle éducatif est associé à une zone géographico-culturelle plus ou moins définie. Les pays de l’Europe continentale (Allemagne, Autriche et Suisse) semblent avoir massivement opté pour le modèle de la séparation en favorisant une sélection précoce et une séparation des élèves dans des filières relativement rigides. Parmi les modèles d'intégration, il existerait trois sous-ensembles. Le modèle de « l'intégration à la carte », dont l’objectif est une école unique mais opère une sélection officieuse dès le début du secondaire via le « tracking » (en français « dépistage », il s’agit en fait de cours différenciés en fonction du niveau des élèves). Les pays anglo-saxons, tel que le Royaume-Uni en Europe semble avoir opté pour ce modèle. Le modèle de « l’intégration uniforme » est également marqué par une volonté de favoriser un tronc commun long avec une école unique pour tous mais peut favoriser, faute de moyens et de stratégies mis en place pour atteindre cet objectif difficile, des sélections officieuses et parfois laisser sortir de l’éducation obligatoire un nombre non négligeable d’élèves sans aucune qualification. Les pays du sud de l’Europe (France, Italie, Espagne et Grèce) semblent marqués par ce modèle. Enfin, le modèle de « l’intégration individualisée » est sans doute celui allant le plus au bout de la logique de l’école unique en favorisant une véritable école compréhensive et en organisant un soutien individualisé pour

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les élèves en difficulté scolaire. Les pays du Nord de l’Europe (Danemark, Norvège et Finlande) ont choisi ce modèle en étant marqués par une réelle volonté de faire progresser un ensemble d’élèves sur un rythme unique et par l’ambition de compenser les inégalités héritées. Cette organisation du système éducatif pourrait expliquer les bons résultats de ces pays, notamment en matière d’inégalités sociales de résultats.

Afin de caractériser les différents systèmes éducatifs, il paraît important d’analyser les pays au-delà de l’éducation obligatoire et de prendre en compte d’une manière plus globale les modèles sociétaux d’éducation.

1.2. Les modèles d'éducation et de formation professionnelle

Les études sur l’éducation obligatoire passe généralement sous silence la question de l’organisation de la formation professionnelle initiale45. Or nous l’avons abordé, pour certains

systèmes éducatifs la formation professionnelle commencent lors de la période d’éducation obligatoire (c’est le cas de l’Allemagne par exemple).

Ce sujet est de plus en plus au centre des débats publics, dans un contexte où la voie professionnelle est perçue comme une solution pour élever le niveau de qualification des jeunes et limiter les sorties précoces du système éducatif. Parmi les travaux s’attachant aux modèles de formation professionnelle, il faut noter ceux de Greinert (2004). L’auteur propose alors une approche historique, fondée sur la constitution des systèmes au cours de la révolution industrielle. Il distingue ainsi un modèle « marchand », un modèle « bureaucratique » réglementé par l'Etat et un modèle « dual ». Son hypothèse est que tous les pays européens s'appuient peu ou prou encore aujourd'hui sur l'un de ces modèles de base ou sur des formes hybrides. Chacun de ces modèles s'appuie sur une forme de légitimation dominante, sur un type de production des qualifications.

Le plus fréquemment on oppose ainsi les modèles fondés sur l'apprentissage et/ou pilotés par les partenaires sociaux à ceux qui sont fondés sur un modèle scolaire et/ou pilotés par l'Etat. Les travaux récents de Bosch et Charest (2009) mettent l'accent sur la dynamique de ces systèmes. Ils soulignent notamment que la plupart des systèmes se sont aujourd'hui déplacés vers le niveau secondaire supérieur (et qu'il convient donc de les articuler à l'école obligatoire dont ils constituent un prolongement naturel). Mais aussi que, avec la massification de l'accès à l'enseignement supérieur, ces systèmes se sont plus ou moins ouverts à des prolongations

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L’essentiel des travaux portant sur les comparaisons internationales en matière d’éducation se référant souvent à la formation générale (Mons, 2004, voir plus récemment Dubet, Duru-Bellat et Vérétout).

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d'études dans le supérieur. Notons qu’il est possible de distinguer de manière un peu caricaturale des systèmes qui poursuivent dans le secondaire supérieur la sélection précoce (en pratique dans l'école obligatoire), qui seraient relativement peu correcteurs des inégalités et qui ouvrant peu aux poursuites d'études, des systèmes plus intégrés et ouverts à la fois socialement et en termes d'opportunités ultérieures.

1.3. Des modèles sociétaux d’éducation aux régimes d’action publiques

Comment s'expliquent alors l’organisation de la formation professionnelle dans les différents pays et d’une manière plus générale les différents régimes éducatifs des pays Européens? Les études de l’école de l’analyse sociétale (Maurice, Sellier et Silvestre, 1982) expliquent les différences entre les pays en matière de formation par une interaction particulière entre trois rapports dans chaque système: le rapport éducatif, le rapport organisationnel et le rapport industriel. Selon ces études, les politiques d’éducation ne peuvent être analysées et comprises sans prendre en compte d’une façon plus générale l’organisation industrielle du pays. Ainsi, il est essentiel pour comparer les pays de ne pas s’en tenir à des comparaisons isolées (le système éducatif, l’organisation du marché du travail…), mais davantage d’essayer de prendre en compte l’ensemble des structures sociales et économiques des pays. Le contexte « sociétal » est désormais une dimension importante à prendre en compte dans les comparaisons internationales.

Depuis, Iversen et Stephens (2008) en suivant la logique de la théorie des ressources de pouvoir de Esping-Andersen (1990) et la perspective des variétés du capitalisme (Hall et Soskice, 2001) expliquent l'émergence de trois mondes de formation du capital humain par des différences historiques en terme d'organisation du capitalisme et d'alliances de parties politiques. Ainsi, il existerait trois régimes de formation du capital humain (liés à trois régimes d’Etat Providence).

Premièrement, des systèmes caractérisés par un haut niveau de redistribution ainsi qu'un investissement important dans le système éducatif public (du système préscolaire au supérieur) et dans les compétences spécifiques à la firme et/ou à l'industrie. Il existe également pour ce premier groupe, des politiques du marché du travail actives mais un niveau de protection de l'emploi modéré (il s’agit du régime « Economie de Marché Coordonné avec importance du parti Social Démocrate »).

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Deuxièmement, des systèmes caractérisés par un haut niveau de protection de l'emploi et de formation professionnelle dans les compétences spécifiques à la firme et/ou à l'industrie mais avec un niveau de dépense inférieur concernant le système éducatif public (il s’agit du régime « Economie de Marché Coordonné avec importance du parti Chrétien Démocrate »).

Enfin, des systèmes caractérisés par d'importants investissements privés dans l'éducation concernant les compétences générales mais des dépenses assez faibles concernant les compétences spécifiques à la firme et/ou à l'industrie. Il faut également remarquer dans ce groupe une importance du système éducatif public, de la redistribution et de la protection de l'emploi (il s’agit du régime « Economie de Marché Libérale »).

Les travaux de Van de Velde (2008) s’intéressent plus particulièrement à l’agencement sociétal entre politique de l’Etat, fonctionnement du marché du travail et normes culturelles dans le cadre d’une analyse des différents modes de passage à l’âge adulte en Europe. Cet agencement induit des comportements différents des jeunes adultes européens en matière de choix d’études et d’emploi. Au Danemark par exemple l’entrée plus tardive sur le marché du travail s’expliquerait par les bourses d’études universelles, la valorisation de la multiplication des expériences (notamment l’alternance études-emploi) ainsi que la norme d’autonomie du jeune adulte46.

En opérant une analyse historique des systèmes d’éducation et de formation tout au long de la vie (« lifelong learning ») en Europe Green et al. (2006) adoptent une telle perspective et distinguent quatre types de modèles : la France et les pays méditerranéens qui adoptent un système d’école comprehensive parsemé d’éléments internes de différenciation et un système de formation professionnelle très centralisé, un modèle germanophone avec une régulation de la formation professionnelle plus décentralisée et une coordination assurée par les partenaires sociaux, un modèle libéral anglo-saxon favorisant l’autonomie, le choix scolaire et la compétition et un modèle nordique assurant une école comprehensive hétérogène et l’accès à la formation pour tous. Cette typologie se rapproche largement de celle de Mons (2004) évoquée précédemment. Ainsi, au-delà de ces caractéristiques internes, les systèmes de formation professionnelle (et plus largement les systèmes éducatifs) doivent être envisagés, sous l'angle de leur contribution à la formation/distribution des qualifications et des positions sur le marché du travail. On sait notamment qu'ils sont inégalement performants pour l'accès des jeunes à l'emploi, notamment en ce qui concerne les différences en matière de qualité de la formation professionnelle (Shavit et Müller, 2000).

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Soulignons toutefois qu’au-delà des différences institutionnelles, Van de Velde montre également l’importance de l’expérience sociale des individus.

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Dans la lignée des travaux sur l'analyse sociétale et en tentant de restituer les orientations prises ces dernières années par l'Union Européenne concernant l'éducation et la formation, Verdier (2008) rend compte de cinq régimes d'action idéal-typiques en matière d'éducation et de formation tout au long de la vie en ayant comme objectif d'apprécier les principes de justice et d'efficacité et en regardant l' « agencement de principes politiques, de logiques

d'acteurs, de règles et d'instruments ». Il existerait ainsi : un régime académique, caractérisé

par l'importance des diplômes et de la méritocratie scolaire; un régime professionnel, qui se démarque par une importance de la formation professionnelle et par un « accès à une

communauté professionnelle »; un régime universaliste, qui a pour ambition de favoriser une

éducation pour tous et de compenser des inégalités initiales; un régime concurrentiel, qui adopte complètement les règles du jeu du marché; et enfin un régime de marché organisé, qui prend en compte les lois du marché mais encadrées par un certain nombre de règles. Les différents systèmes éducatifs représentent alors une combinaison de ces différents régimes, par exemple la structure du système éducatif anglais contient à la fois des éléments du régime « marché organisé » et du régime « universaliste ». Les pays ne se rangent donc pas ici dans une catégorie particulière mais représentent des hybridations de modèle.

D’une manière générale, les systèmes éducatifs semblent aussi variés que les spécificités historiques et socio-institutionnelles des différents pays et les sentiers de dépendance semblent persister (Green et al. 1999).

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