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Les différentes dimensions du lien Education-Capabilités : approche intrinsèque et

Chapitre 2 : La théorie des Capabilités appliquée à l’éducation

1. Le lien Capabilités-Education : de quoi parle-t-on ?

1.3 Les différentes dimensions du lien Education-Capabilités : approche intrinsèque et

Il existe deux façons d’appréhender la justice sociale dans le champ de l’éducation : l’égalité

des chances à l’école, qui renvoie aux opportunités éducatives à l’intérieur du système

éducatif et l’égalité des chances par l’école où le système éducatif permet aux individus de s’émanciper de leur environnement familial dans leur vie professionnelle et adulte.

Il nous paraît important d’opérer une distinction entre capabilités au sein du système éducatif et capabilité de fonctionner avec un certain niveau d’éducation (ou, dans notre étude,

capabilité lors du passage à la vie adulte). Cette distinction renvoie à deux dimensions

importantes des capabilités : l’aspect intrinsèque et l’aspect instrumental. En effet, parmi les travaux analysant le lien entre éducation et capabilités, on peut généralement distinguer ceux se centrant sur l’organisation du système éducatif en lui-même (en terme d’opportunités réelles) de ceux portant sur l’impact de l’éducation sur les possibilités réelles des personnes (ou sur les réalisations des personnes). Chiappero-Martinetti et Sabadash (2012), dans le cadre d’une comparaison entre l’approche par les capabilités et la théorie du capital humain, évoquent alors une différence entre « éducation et connaissance comme une fin en soi » (« education and knowledge as an end ») et « éducation comme un moyen » (« education as a

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1.3.1 Capabilités au sein du système éducatif : l’éducation comme une fin en soi

La première dimension renvoie aux opportunités éducatives dont peut bénéficier l’individu à l’intérieur du système éducatif. On peut alors parler de « capability to education » (capabilité pour accéder à l’éducation) (Unterhalter, 2003). Dans ce cadre, la théorie de Sen peut être appréhendée comme une théorie de la justice sociale visant à apprécier le degré de justice d’un système éducatif, au même titre qu’il est possible d’utiliser le cadre analytique de l’approche ressourciste des biens premiers de Rawls. Cette dimension renvoie au méta concept « système éducatif capacitant ». En effet, l’organisation du système éducatif peut ouvrir plus ou moins d’opportunités aux individus lors de leur parcours scolaire. Dans ce cadre Verhoeven, Orianne et Dupriez (2007), signalent l’intérêt de dépasser l’approche ressourciste dans l’analyse de l’égalité des chances des systèmes éducatifs et l’intérêt d’agir sur les facteurs de conversion environnementaux des individus. Ils montrent par exemple que le recours aux professionnels de la régulation intermédiaire (conseillers, accompagnateurs pédagogiques, inspecteurs..) permet de mettre à disposition pour les établissements des moyens leur permettant d’opérationnaliser les réformes d’une façon équitable.

Dans la lignée de ces travaux, nous avons mis en avant les ressources (et éventuel manque de ressource) des différents systèmes éducatifs européens ainsi que les facteurs de conversions possibles associés (éventuellement manque de facteur de conversion, voire facteur de conversion négatif) (Olympio, 2012). Les travaux de Saito (2003) semblent également renvoyer à cette dimension capacitante des systèmes éducatifs. Il souligne notamment le fait que l’école obligatoire, le tronc commun et les écoles plutôt comprehensives soient des contextes éducatifs permettant d’ouvrir des opportunités aux individus, principalement en leur laissant le temps de révéler leurs vocations.

Les travaux empiriques sur la dimension accès à l’éducation mettent également en avant de manière dynamique le rôle du parcours. Dans ce cadre, comme nous l’avons évoqué, Verhoeven, Orianne et Dupriez (2007) ont indiqué l’importance du choix du parcours mais aussi de la réversibilité. Ils ont ainsi démontré que les étudiants orientés vers les filières professionnelles revenaient très rarement vers une formation plus générale alors que cette possibilité existe (du moins formellement). Dans cette perspective d’analyse des parcours Olympio et Germain (2012) utilisent une approche par trajectoire type dans le cas français et étudient les variables expliquant l’appartenance aux différentes trajectoires dans le but de démontrer le caractère contraint et plus ou moins irréversible de certaines trajectoires.

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Cette dimension opportunité dans l’accès à l’éducation peut être élargie à la formation continue. Ainsi Véro et Lambert (2007) montrent en utilisant la méthode des fonctionnements affinés comment les opportunités de formation peuvent apparaitre dans des contextes plus ou moins contraints. Dans la lignée de ces travaux, Lecourt (2011) étudie les capabilités de parcours de Validation des Acquis d’Expérience en mettant en avant le rôle des facteurs de conversion environnementaux dans l’accès à la VAE. En comparant le cas anglais américain et français du point de vue de la formation tout au long de la vie Gautié et Perez (2012) ont par ailleurs montré que certains dispositifs de crédits de formation pouvaient être plus ou moins capabilisants dans leur organisation et leur mise en œuvre et ont mis en avant l’intérêt de dépasser une approche ressourciste (en termes de dotation individuelles) de l’accès à la formation.

A ce stade, nous nous sommes concentrés sur le lien Education-Capabilités à l’intérieur du système éducatif, en regardant si les individus pouvaient accéder de manière juste à un certain niveau d’éducation. Mais il est également possible d’explorer ce lien en s’intéressant aux possibilités ouvertes par l’éducation, c’est-à-dire aux opportunités réelles d’emploi mais également aux opportunités de vie des personnes.

1.3.2 Capabilités de mener la vie préférée avec un certain niveau d’éducation : l’éducation comme un moyen

Au-delà de l’analyse des possibilités des personnes au sein du système éducatif, l’éducation peut être appréhendée comme un moyen pour augmenter les capabilités. Ici d’une manière plus large l’accent est mis sur la capabilité pour les personnes de mener la vie qu’elles ont des raisons de préférer, avec un niveau d’éducation donnée. On se situe ici dans une approche instrumentale des capabilités, l’éducation comme un moyen. La focale passe de la « capability to education » (capabilité pour accéder à l’éducation) (Unterhalter, 2003) à la « capability for work and life » (capabilité de travailler et de mener la vie désirée) (Bonvin et Farvaque, 2008). Tandis que la « capability for work » renvoie aux libertés réelles sur le marché du travail, la « capability for work and life » considère de manière plus large les possibilités réelles pour les personnes de mener la vie qu’elles ont des raisons de préférer, tel que par exemple pouvoir organiser comme on l’entend l’agencement de sa vie personnelle et de sa vie professionnelle.

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C’est principalement dans cette perspective que s’est développé à la base le lien éducation-

capabilité, l’éducation étant perçue comme une capabilité de base pour augmenter la liberté

réelle des individus (voir notamment Nussbaum 1990). Le lien entre éducation et capabilités paraît donc intuitif.

Les travaux de Robeyns (2000, 2005) qui indiquent comment l’éducation contribue à édifier la liberté dans la vie des individus sont à intégrer en grande partie dans cette dimension. Au niveau empirique, Véro (2002) analyse l’espace des possibles pour les jeunes en phase d’insertion professionnelle et étudie ainsi certaines dimensions importantes de la vie adulte telles que les loisirs ou l’indépendance résidentielle. Farvaque et Oliveau (2004) étudient quant à eux l’insertion des jeunes peu diplômés par la méthode des trajectoires-types en s’intéressant notamment à la probabilité d’accéder à un certain nombre de réalisations importantes (indépendance financière, résidentielle etc.). De la même manière, comme nous l’avons évoqué, de Besses (2007) analyse l’insertion des jeunes en mettant en avant l’impact de l’estime de soi pour préparer à la vie professionnelle. Selon de Besses, il semblerait alors qu’une insertion réussie redonne confiance aux personnes et leur permet de renouer avec l’estime d’eux-mêmes.

Dans une telle perspective instrumentale de l’éducation, il est alors nécessaire pour promouvoir une liberté réelle d’associer des facteurs de conversion aux ressources disponibles mais également de porter un intérêt à la liberté de choix des personnes (choix d’un emploi, d’une certaine vie personnelle etc.)

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Dans le cadre d’une explicitation du lien Education-Capabilités, dans une perspective « éducation comme un moyen», Chiappero-Martinetti et Sabadash (2012) élaborent le schéma suivant :

Chiappero-Martinetti et Sabadash (2012)40

L’élément « facteurs internes et externes » représente les facteurs de conversion des personnes. Nous pourrions alors élargir l’analyse de l’« espace de capabilité » des individus : « être dans la capacité de travailler et d’entreprendre un projet» à « être dans la capacité de mener la vie qu’on a des raisons de préférer ».

L’ensemble de ces travaux montrent l’avantage comparatif de la base informationnelle des

capabilités par rapport à la base informationnelle du capital humain. Dans une perspective capabilité, l’accès à l’emploi en fonction d’un certain diplôme ne sera pas la seule dimension

à prendre en compte dans l’analyse de l’intégration sociale des jeunes. Selon cette base informationnelle l’éducation aura pour objectif de rendre l’individu plus autonome dans sa capacité à mener la vie professionnelle et la vie adulte qu’il a des raisons de préférer. La théorie du capital humain est donc à distinguer de la capabilité de travailler qui renvoie, de manière beaucoup plus large, aux opportunités réelles sur le marché de l’emploi (choix d’un certain emploi, d’une certaine quantité de travail, accès réel aux promotions professionnelles, possibilité de refuser un certain travail etc.). Au-delà de la dimension capabilité de travailler, d’autres aspects sont également à analyser tels les choix de vie (choix d’un certain logement etc) ou les réalisations importantes (autonomie financière, bien-être, satisfaction quant à sa vie

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Il s’agit d’une traduction de notre part.

Niveau d’éducation et de connaissance atteint, années d’expérience, connaissances professionnelles et

compétences, etc.

Etre dans la capacité de travailler et

d’entreprendre un projet

Statut d’emploi

Ressource Espace de capabilité Espace de fonctionnement

Moyens d’accomplir Liberté d’accomplir Accomplissement

Facteurs de

conversion

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etc) afin de prendre en compte la capabilité de travailler et de mener la vie désirée (capability

for work and life).

Aussi bien pour la dimension capabilités d’accès à l’éducation que pour la dimension

capabilités de choisir sa vie, il est souvent bien plus facile dans les travaux empiriques

d’évaluer les privations en termes de liberté que les libertés en elles-mêmes (Bonvin et Farvaque, 2007) : non-choix d’une formation, d’un emploi, difficultés financières, difficultés de logement etc.

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