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Accès à l’éducation : comparer l’approche du Capital humain à celle des Capabilités

Chapitre 2 : La théorie des Capabilités appliquée à l’éducation

2. De la base d’information du capital humain à celle des capabilités

2.1 Accès à l’éducation : comparer l’approche du Capital humain à celle des Capabilités

La théorie du capital humain, popularisée par Gary Becker dans son ouvrage Human Capital (1964) résulte d’une analogie formelle avec un comportement d’investissement classique. Le choix éducatif est perçu comme un investissement individuel permettant d’accroitre la productivité se traduisant donc par une hausse des salaires du fait de l’hypothèse de rémunération à la productivité marginale. Les différents choix de scolarisation proviennent alors des préférences, des coûts et des rendements anticipés de l’éducation (Becker, 1967). Le choix éducatif résulte donc d’un choix rationnel de la part de l’individu qui anticipe des gains salariaux à son investissement. Un individu qui décide par exemple de ne pas fréquenter l’Université et donc de ne pas obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur opte pour une telle option en raison d’un choix rationnel écartant le coût d’aller à l’Université au profit d’un rendement plus élevé à s’insérer sur le marché du travail immédiatement.

La théorie du capital humain est mobilisée en économie de l’éducation pour rendre compte des choix scolaires mais également pour évaluer les inégalités (voir notamment Levy Garboua 1976). Cette approche est alors généralement opérationnalisée dans un contexte utilitariste (recherche d’une satisfaction personnelle en fonction d’un certain calcul) et ressourciste (Lecourt, 2011).

Au départ dans cette approche, l’éducation était avant tout mesurée d’une manière quantitative par le nombre d’années d’études de la personne. Or, certaines analyses empiriques tendent d’aller au-delà de la simple prise en compte de la quantité d’éducation en intégrant des dimensions plus qualitatives de l’éducation, notamment dans une perspective de comparaisons internationales (prenant en compte par exemple les résultats scolaires, les ressources éducatives ou les compétences cognitives des individus, voir par exemple Barro et Lee, 2001).

Un certain nombre de théories ont remis en cause cette vision de l’éducation et de l’accès au marché du travail. Les théories du Filtre (Arrow, 1973) et du Signal (Spence, 1973) ont par exemple indiqué que l’éducation avait d’autres rôles que celui d’accroître les capacités productives, d’autres lui ont reproché de négliger les problèmes liés à l’information imparfaite

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et aux mauvaises anticipations des individus41 ou encore de ne pas prendre en compte des éléments institutionnels dans la relation formation-emploi (Lemistre, 2012).

L’approche par les capabilités critique en premier lieu le fait que selon la théorie du capital humain, les choix éducatifs s’effectuent de manière rationnelle sans véritablement tenir compte du contexte et de l’environnement. Comme le rappelle Sabadash (2010) dans le cadre d’une comparaison entre l’approche du capital humain et l’approche de Sen, les ressources ne sont pas toujours suffisantes pour ouvrir des possibilités aux individus : une fille ayant de bonnes aptitudes scolaires mais subissant un contexte social discriminant pour les femmes ne pourra peut-être pas accéder à un certain niveau d’éducation même avec une école gratuite et de bonne réputation à proximité. L’approche par le capital humain ne permet ainsi pas la prise en compte de l’environnement et la conversion d’un dispositif (tel que par exemple la gratuité des études) en liberté réelle de fonctionner.

Par ailleurs, la théorie du capital humain considère les choix éducatifs comme « donnés ». Si une personne ne fréquente pas l’Université c’est nécessairement en raison d’un calcul rationnel écartant cette option. L’approche par les capabilités en revanche nécessite de se demander si la personne a eu le choix de faire autrement et tend à différencier les véritables choix des choix contraints. Comme le rappelle Farvaque (2003), l’approche de Sen exige de ne pas prendre en compte les préférences comme des « données » mais au contraire de favoriser des opportunités réelles pour faire évoluer les préférences des individus. Or dans la théorie du capital humain, les individus sont responsables de leurs préférences et de leur choix éducatif. En outre, ce cadre ne permet pas de prendre en compte le fait qu’il puisse exister des « préférences adaptatives » en éducation (résignation à l’échec, choix éducatif « à la baisse » etc.)

Enfin, pour certains, le capital humain ne peut servir de cadre à l’analyse des situations à l’intérieur du système éducatif simplement car il renvoie à une approche plutôt restrictive de l’éducation.

Robeyns (2005) indique à ce sujet que, de manière absolue, l'éducation est amenée à jouer cinq grands rôles:

- un rôle intrinsèque : l’éducation peut en effet être importante de manière intrinsèque c'est-à-dire que la connaissance peut être importante en soi

41Notons toutefois l’enrichissement du modèle de base du capital humain par la prise en compte de l’incertitude, notamment en considérant que l’individu est capable de réviser ses plans à mesure des évènements qui se produisent (Gurgand, 2005).

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-un rôle économique, personnel et instrumental: l'éducation aide à trouver un emploi sur le marché du travail, à se protéger soi-même et sa famille contre la précarité et la pauvreté

- un rôle économique, collectif et instrumental : une main d'œuvre éduquée est nécessaire à la croissance économique d'un pays

- un rôle non-économique, personnel et instrumental: s'éduquer permet d’avoir accès à l’information, d'être capable de comprendre le monde et de communiquer

- un rôle non-économique, collectif et instrumental : l’éducation permet une société globalement plus tolérante (les gens peuvent prendre conscience qu’il existe plusieurs visions d’une « bonne vie »)

Selon elle, la théorie du capital humain prend seulement en compte le rôle économique et instrumental de l'éducation alors que la théorie des capabilités s'intéresse également à son rôle non-économique et non-instrumental et analyse plus globalement l'ensemble des fonctionnements nécessaires à la prospérité des individus. Le fait que l'individu ait une activité économique est tout aussi important que le fait qu'il puisse être un citoyen participant à la vie démocratique de son pays. L'auteur conclut alors que la théorie du capital humain a une vision trop restrictive de l'éducation et qu'elle ne devrait pas guider les actions politiques2. Dans la mesure où l’éducation a pour vocation ultime l’augmentation des capacités productives et garantit un certain niveau de salaire, la théorie du capital humain n’appréhende finalement pas l’éducation comme une fin en soi mais seulement comme un moyen. Nous rejoignons ainsi Chiappero-Martinetti et Sabadash (2012) qui estiment que le capital humain correspond seulement à une approche instrumentale de l’éducation (« education as a mean»). Même dans une optique instrumentale de l’éducation, la théorie des capabilités et du capital humain tendent à se différencier, la première se basant sur une conception plus large du rôle de l’éducation.

2.2 Les possibilités avec un niveau d’éducation : approche du Capital humain et

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