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Entre objectifs affichés et résultats, l’exemple français d’un « modèle d’école

Chapitre 4 : Comparaison des contraintes structurelles et des opportunités de deu

2 Aspect « capacitant » et «défaillances capacitaires » des systèmes éducatifs français et suisses

2.1 Entre objectifs affichés et résultats, l’exemple français d’un « modèle d’école

comprehensive formelle »

Le système éducatif français se démarque par le projet politique et social républicain de favoriser, grâce à l’école, l’intégration sociale de tous. Les dispositifs mis en œuvre dans ce pays ouvrent un certain nombre d’opportunités aux individus.

2.1.1 Quelles possibilités réelles le système français offre-t-il au regard de ses qualités « capacitantes » ?

Au-delà de son caractère sélectif, ce système comporte de nombreux éléments en faveur de l’égalité des personnes et de la justice sociale. La principale ressource permettant d’ouvrir les possibilités tient à la volonté de faire progresser les élèves dans un seul parcours jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. Elle est matérialisée par un dispositif formel, un tronc commun jusqu’à la fin du secondaire I : il peut en effet être appréhendé comme une ressource « capacitante » dans la mesure où un tronc commun plus long laisse un certain temps aux individus pour leur permettre de se révéler (voir notamment Saito, 2003) et d’opérer un choix éducatif plus réfléchi et moins dépendant de l’environnement familial113

. Concrètement, ce dispositif est représenté par le collège unique, prévoyant un programme commun pour l’ensemble des élèves jusqu’à l’âge de 15 ans révolu. Avant cet âge, formellement et dans les

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Rappelons que Shavit et Blossfeld (1993) ont indiqué que plus un choix scolaire était effectué tôt dans la scolarité plus il était marqué par l’environnement socioculturel de l’individu.

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grandes lignes114, les élèves suivent un cursus commun pendant environ 10 ans et n’ont pas à opérer de choix éducatifs majeurs. Ce tronc commun prend depuis 2005 la forme d’un « socle commun de compétence et de connaissance » devant assurer que chaque élève, à la fin de sa scolarité obligatoire, maîtrise un ensemble de savoirs essentiels.

Lors du secondaire II, il existe un autre dispositif que nous pouvons qualifier de « capacitant » pour les individus : la possibilité d’opter pour une formation plus professionnalisante pour les élèves démotivés par des programmes trop académiques. En effet, selon Estevez et al. (2001), dans les pays où la formation professionnelle est organisée et joue un rôle important, les élèves découragés par les programmes académiques peuvent tout de même être motivés pour s'améliorer scolairement afin d'accéder à une bonne filière professionnelle. A première vue, ce dispositif pourrait permettre d’éviter que les personnes sortent du système scolaire sans aucune qualification. S’inscrivent dans cette perspective les efforts effectués par le système éducatif français pour valoriser la formation professionnelle secondaire, l’organiser de manière à correspondre aux besoins des entreprises, l’ouvrir vers l’enseignement supérieur (type STS, voir IUT) et promouvoir la voie de l’apprentissage comme une voie d’excellence. Enfin les différentes possibilités d’accès à l’enseignement supérieur pour l’ensemble des filières (générales, technologiques et professionnelles) peuvent être considérées comme une ressource relativement « capacitante ». En quarante ans, les effectifs de l’enseignement supérieur ont été multipliés par quatre en France (OCDE, 2009). Cette progression, particulièrement spectaculaire entre 1985 et 1995, résulte de plusieurs dispositifs : la possibilité d’entrer à l’Université pour tout bachelier, y compris professionnel, ainsi que la multiplication des filières supérieures courtes (STS et IUT) destinées à l’ensemble des bacheliers. Dans la mesure où il existe un réel avantage comparatif à disposer d’un diplôme de l’enseignement supérieur en France lors de son insertion sur le marché du travail, nous pouvons considérer la ressource « accès large à l’enseignement supérieur » comme « capacitante » pour les individus.

La centralisation du système éducatif ne favorise-t-elle pas l’opérationnalité de ces dispositifs éducatifs, pour en faire des facteurs de conversions positifs ? En effet, l’Etat est en charge non seulement des programmes, de l’organisation des cursus scolaires et universitaires mais il est également responsable du recrutement, de la rémunération et de la gestion de la carrière de l’ensemble du personnel enseignant (y compris, dans une large mesure pour les maîtres servant dans les établissements privés sous contrat). Cette homogénéité des programmes et du

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corps professoral peut être perçue comme un facteur de conversion permettant de rendre effectif le dispositif « programme et tronc commun ».

Le dispositif « formation professionnelle organisée », fait l’objet d’efforts supplémentaires pour mieux organiser et valoriser cette ressource, notamment par une articulation croissante entre cette dernière et les projets de développement économiques régionaux et nationaux. A titre d’exemple, il a dernièrement été évoqué la mise en place d’une carte unique des formations professionnelles pilotée par la région, adaptée aux enjeux du développement économique et de l’emploi considérés tant du point de vue national que régional (Rapport de la concertation, 2012). De plus, le développement de l’apprentissage tel qu’évoqué précédemment témoigne d’un réel intérêt pour la formation professionnelle initiale.

On pourrait alors parler d’une tentative d’intégration d’éléments du « régime professionnel » (régime caractérisant les pays de la formation duale), tel qu’évoqué par Verdier (2001). Ces évolutions soulignent la recherche d’une véritable reconnaissance de la formation professionnelle par les politiques publiques, au-delà des dispositifs formels.

La ressource « accès à l’enseignement supérieur » est, elle aussi, étayée par des dispositifs supplémentaires destinés à réduire les échecs à l’Université, notamment en favorisant des réorientations lorsqu’une filière s’avère ne pas convenir à l’étudiant115

qui l’a initialement choisie. Ils peuvent être perçus comme des facteurs de conversion rendant la ressource « accès à l’enseignement supérieur » plus efficace.

Cependant certaines tendances du système, à rebours des principes et des objectifs initiaux, limitent les possibilités réelles des personnes et dès lors, agissent comme de véritables facteurs de conversion négatifs.

2.1.2 Les limites du système : quelles « défaillances capacitaires » ?

En France, les ressources en faveur de l’égalité sont importantes, elles viennent en outre de la volonté de promouvoir et préserver l’Ecole de la République (Rapport sur la Concertation, 2012). Dans les faits cependant, certains éléments rendent inopérants les ambitions politiques initiales.

Tout d’abord, certaines ressources paraissent incomplètes et manquer de mécanismes complémentaires de nature à les rendre opérantes ; on parlera ici de manque de facteurs de conversion.

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Voir, à ce sujet, le dispositif « plan réussite en licence » qui vise notamment un soutien à la réorientation en fin de premier semestre, ou encore, dans certaines Universités, des dispositifs spécifiques de lutte contre le décrochage.

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Concernant la formation professionnelle, des dispositifs supplémentaires sont nécessaires pour faire reconnaître les savoirs « pratiques » et ne plus les considérer comme moins légitimes et valorisables que les savoirs généraux et « académiques ». Par exemple, en cours de formation initiale, les savoirs acquis en entreprise sont peu valorisés au moment de la validation d’un cursus, le stage en entreprise ayant longtemps été évalué au regard de sa présentation écrite et de la qualité formelle de la présentation orale (Möbus et Verdier, 2000). La formation professionnelle est massivement dominée par la forme scolaire alors que le passage par l’apprentissage a démontré l’avantage comparatif qu’il confère (Besson, 2008). La ressource « accès à l’enseignement supérieur pour tous » manque également de facteurs de conversion positifs. Pour certains (les bacheliers professionnels), la possibilité d’accéder au supérieur est en effet plus formelle que réelle : l’accès à l’IUT est quasi –impossible, la filière STS n’accueille que les meilleurs d’entre eux et l’accès à l’université est possible mais avec, dans les faits, des taux de succès très faibles116. Pour ces bacheliers, poursuivre ses études dans l’enseignement supérieur est un chemin pavé d’échecs117. Cette tendance est d’autant

plus grave que le retour en formation après un échec n’est pas toujours possible et que les non-diplômés de l’enseignement supérieur s’insèrent particulièrement mal sur le marché du travail (Calmand et Hallier, 2008).

Par ailleurs, certains traits du système éducatif français rendent les ressources éducatives destinées à promouvoir l’égalité largement inopérantes : on parlera de facteurs de conversion négatifs. Ils renvoient pour la plupart aux processus de différenciation qui agissent au sein du système de manière informelle mais bien réelle. Ils se manifestent dès le primaire, notamment par des redoublements importants, ce qui accentuent les inégalités et favorisent segmentations sociales et scolaires. Il en résulte notamment, lors des dernières évaluations internationales sur les compétences en lecture des élèves en primaire renseignées par l’enquête PIRLS118, que la France reste en deçà de la moyenne européenne (quel que soit la compétence ou le type de texte considéré) avec une surreprésentation des élèves français dans le plus faible niveau européen.

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Même si les politiques publiques tendant de plus en plus à prendre en compte le problème des taux d’échecs importants à l’Université, notamment via le « plan réussite licence », il s’agit davantage d’organiser des réorientations que de proposer du soutien, notamment pour renforcer les bases fragiles dans les matières générales, afin de donner de réelles chances de réussir dans le cursus.

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Ainsi, ce sont principalement les bacheliers professionnels qui quittent l’enseignement supérieur sans aucun diplôme (60 %), contre environ 10 % des bacheliers généraux et 30 % des bacheliers technologiques (DEPP, 2008).

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Malgré la présence d’un tronc commun long dans le secondaire I, des différenciations internes jouent au sein du collège telles les classes de niveaux organisées de façon informelle, les jeux d’options (le latin facilitant l’accès à de bonnes classes par exemple), les stratégies de contournement de la carte scolaire119 (par des jeux d’options par exemple) ou encore la présence de quelques filières pré-professionnelles pour les élèves en grandes difficultés (4ème et 3ème technologiques, classe SEGPA). De la même manière, le système utilise un outil particulier pour gérer le public scolaire du primaire et du secondaire: le recours au redoublement. Or il semblerait cette pratique, loin de permettre un rythme unique, est un outil de sélection et de hiérarchisation précoce (Baudelot et Establet, 2009). Ces différents éléments agissent comme des facteurs de conversion négatifs et tendent à rendre le tronc commun et le rythme de progression unique non-opérants. De ce point de vue, la redéfinition d’un socle commun de connaissances et de compétences (Rapport de la concertation, 2012) apparaît comme symptomatique des défaillances capacitaires d’un collège opérant une trop forte sélection scolaire et sociale.

Bien qu’elle puisse être une option positive pour des jeunes en difficulté avec les savoirs académiques, la formation professionnelle représente pour un grand nombre d’élèves une voie par défaut pour les élèves aux résultats scolaires les plus faibles, sachant qu’ils sont souvent orientés vers les spécialités professionnelles les moins prisées, dans le tertiaire notamment. Dès lors cette assignation (plutôt qu’orientation) dans la voie professionnelle est fréquemment vécue comme une forme de stigmatisation et une source de démotivation (de Besses, 2007). Comme on l’a vu, ce processus augmente le taux de décrochage et d’échec à l’examen et ainsi le nombre de non-diplômés, à rebours des opportunités initiales pour les individus. Au final, ces dernières se muent en un facteur de conversion négatif. A cette logique d’assignation, s’ajoute le fait que les jeunes les moins bien informés ou dotés se retrouvent plus fréquemment dans des formations sans perspectives professionnelles très claires (Gasquet et Arrighi, 2010). Cette première orientation cristallise ainsi un certain nombre d’inégalités. Selon Gasquet et Arrighi (2010), en amont de cette première sélection officielle : « C’est

toute l’architecture compartimentée et hiérarchisée de l’enseignement secondaire, en France, qu’il faudrait sans doute revoir pour que cesse enfin l’enfermement stigmatisant d’une fraction importante de la jeunesse » (Gasquet et Arrighi, 2010, p. 110).

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Depuis 1963, les élèves sont affectés dans un certain collège ou un certain lycée situé dans un secteur géographique en fonction de leur lieu de résidence. Cette carte scolaire tend de nos jours à être assouplie.

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Par ailleurs, il faut noter que malgré une volonté d’encourager la formation professionnelle et plus particulièrement l’apprentissage, notamment auprès des entreprises, ces dernières restent tout de même sensibles à une logique de niveaux : elles agissent comme des facteurs négatifs venant rendre moins opérante la volonté de promouvoir la formation professionnelle dans le secondaire (dont les diplômes sont désavantagés par rapport à ceux du supérieur).

Ainsi les facteurs de conversion négatifs renvoient donc surtout à des processus de segmentation et de hiérarchisation du système : au collège avec le système d’options, au lycée par le choix de la filière (voie prestigieuse contre filière de second rang) ou dans l’enseignement supérieur (études sélectives contre études massifiées).

Plus généralement, il faut souligner qu’en France, les choix scolaires sont marqués par une absence de droit à l’erreur. Aussi les possibilités de différenciation font-elles l’objet de stratégies de la part des familles favorisées, au risque d’accroître encore les inégalités sociales.

Ainsi le système éducatif français, malgré sa volonté de promouvoir l’égalité et d’ériger l’école comme un vecteur d’intégration sociale, apparait dans les faits comme assez sélectif et segmenté au point d’engendrer de fortes et nombreuses inégalités.

Que dire des inégalités du système suisse ? Du fait d’une sélection plus précoce, produit-il encore plus d’inégalités injustes ?

2.2 Le système éducatif suisse : entre séparation et intégration par la formation

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