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L’égalitarisme des résultats : les apports de Walzer et des approches sufficientistes

Chapitre 1 : Inégalités et éducation : les apports de la Justice sociale

2. Les différentes théories de la justice sociale applicables à l’éducation: une revue de littérature

2.4 L’égalitarisme des résultats : les apports de Walzer et des approches sufficientistes

Les théories se rapprochant d’un certain égalitarisme des résultats dans le champ de l’éducation sont majoritairement des théories issues de la philosophie politique. Pour certains, en effet, l’éducation est perçue comme une fin en soi. Au sein du système éducatif les individus doivent acquérir des connaissances de bases, quelque soit plus tard leurs situations sur le marché du travail. Dans cette conception de l’égalité, nous nous rapprochons d’une approche plutôt « indépendante » de l’éducation : l’égalité des chances à l’intérieur du système éducatif a une valeur intrinsèque, contrairement à une approche « intégrée » où l’éducation est alors un moyen d’augmenter les opportunités au cours de la vie.

Walzer (1983) défend cette approche indépendante de l’éducation dans la mesure où selon lui il est impossible de se baser sur un ensemble unique de principes de justice sociale. Il existe plusieurs sphères de justice qui correspondent à des conceptions spécifiques d’un certain type de bien (l’éducation, la richesse, le travail etc). Une société juste est alors une société régie par une « égalité complexe » dans laquelle aucun bien social ne peut servir de moyen de domination. Les biens qui peuvent servir de domination sont ceux que l’on peut acquérir avec

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Qui plus est, dans cette perspective, la liste des réalisations primaires doit être acceptable par tous. Or, comme le souligne très justement Véro(2002) peut-on considérer qu’il existe qu’une vision de « la bonne vie » ? En comparant la liste des réalisations primaires de Fleurbaey à celle élaborée par Nussbaum (1990) dans le champ plus large des capabilités 21, elle parvient à démontrer qu’il n’existe pas de véritables convergences ni dans l’ordre des items, ni dans les réalisations évoqués. De ce point de vue, elle rejoint Sen (1999) pour qui les choix de société doivent être nécessairement ouverts à la discussion sociale et à la participation des individus.

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d’autres biens (la richesse peut par exemple acheter l’éducation). Selon cette conception de la justice, une position favorable dans une sphère particulière ne peut pas entrainer une position favorable dans une autre sphère (Walzer, 1983). L’éducation doit ainsi être pensée comme une sphère de justice indépendante qui ne doit pas être influencée par les autres sphères. Selon Walzer, la justice dans l’éducation doit s’organiser en deux étapes. La première étape est l’étape cruciale en matière de justice : une société démocratique doit permettre à l’ensemble des personnes d’acquérir une éducation de base. Ce cursus de base se justifie par le fait que tous les individus sont capables d’apprendre et devraient être en mesure de participer à la vie citoyenne. Lors de cette phase ultime, une égalité des résultats est nécessaire22. Il est alors important de compenser aussi bien les handicaps sociaux que les handicaps naturels mais aussi les différences dans la volonté d’apprendre des enfants (Meuret, 2000 en reprenant Walzer, 1983).

Une fois cette phase cruciale d’égalisation des résultats terminée23, chaque élève peut faire ses propres choix en fonction de ses préférences et de ses capacités. Walzer distingue l’éducation générale et l’éducation professionnelle (qui doit permettre de sélectionner les plus aptes pour en faire des experts). Quelque soit le type d’éducation, il est nécessaire que les possibilités d’études restent réellement accessibles à tous. Par ailleurs, afin de respecter l’indépendance des sphères, il convient d’une part que l’éducation générale soit gratuite mais aussi d’autre part de limiter les conséquences des diplômes (notamment les diplômes spécialisés) en termes de richesse et de pouvoir24.

Une autre approche en philosophie politique s’apparente à un certain égalitarisme des résultats : l’approche sufficientiste. Selon cette perspective, tous les individus devraient avoir des ressources leur assurant un certain nombre de besoins vitaux. L’éducation peut alors être perçue comme une ressource indispensable pour accéder à ces besoins. Comme le rappelle Verhoeven et Dupriez (2008), l’intérêt de cette approche est double. D’une part, ce qui ressort de l’approche est la définition d’un seuil minimal. Ce qu’il convient d’égaliser ici n’est donc pas les ressources mais la possibilité d’aboutir à ce seuil minimal. En éducation ce seuil peut représenter un socle de connaissances de base. D’autre part, dans cet accès au seuil minimal cette approche ne tient pas compte de la différence entre choix et circonstances (Gosseries,

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« le but du maître qui apprend à lire n’est pas de fournir des chances égales, mais d’obtenir des résultats égaux » (Walzer, 1997, p. 287)

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Verhoeven et Dupriez (2008) dégage des travaux de Walzer trois conditions pour l’application de tels principes : « (1) L’adaptation des moyens en fonction des besoins des élèves […]

(2) l’hétérogénéité sociale interne au sein des établissements d’une zone géographique, garantissant une préparation effective à la vie démocratique

(3) une relative autonomie de la sphère scolaire face aux pressions de la société […] » 24

Il semble se rapprocher par cet aspect des travaux de Dubet, Duru-Bellat et Vérétout (2010) sur les aspects négatifs en matière d’inégalités de l’emprise des diplômes

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2000). On évacue ici la problématique présentée précédemment de la responsabilité individuelle, peu importe le degré de responsabilité d’un individu se retrouvant dans une situation particulière, ce qui importe est que la société garantisse l’accès à ce seuil minimal25

. Dans la mesure où ces analyses se focalisent sur les résultats, on peut parler, tout comme dans l’entreprise utilitariste, d’une approche plutôt conséquentialiste de la justice sociale.

D’une manière générale, nous pourrions énoncer comme limite à ces approches par l’égalitarisme des résultats qu’elles ne traitent pas des questions de responsabilité, ce qui peut s’avérer problématique pour juger du caractère juste ou non des différentes situations individuelles. Fleurbaey (1998) a toutefois argumenté en faveur d’une non-responsabilité des individus pour les réalisations de base (dont l’éducation de base fait partie) qui doivent être assurées par la société. Nous rappelons que selon lui cette compensation ne devrait toutefois concerner que la première partie de la scolarité, tandis que la deuxième partie devrait plutôt obéir au « principe de récompense naturelle ». L’égalitarisme des résultats se confronte alors au même problème que précédemment : à quelle étape de la scolarité doit-on définir ce seuil minimal ? Qui plus est, quel doit-être le contenu du socle de connaissances de base?

L’égalitarisme des résultats, bien que permettant une égalité réelle et non formelle (en termes d’opportunités éventuelles) en assurant à tous un certain niveau d’éducation, ne peut être un cadre suffisant pour juger du degré d’égalité d’un système éducatif. En plus de limiter les questions de possibilités de choix des individus, cette approche ne permet pas d’analyser en quoi l’éducation permet d’augmenter les possibilités de vie des personnes. En effet, en se centrant sur une approche purement indépendante de l’éducation, sur le principe « égalité à l’école » on passe sous silence le principe « égalité par l’école ». Or que dire d’un système éducatif parfaitement égalitaire qui n’offrirait aucune perspective d’amélioration de vie aux individus ?

25 Du point de vue de l’évaluation empirique d’un système éducatif, nous retrouvons cette idée lors de l’évaluation des acquis de base en France aux différents stages de la scolarité (évaluation des acquis lors de l’entrée en sixième par exemple) mais également lors de évaluation des compétence de base dans le cadre de comparaisons internationales ( évaluation des compétence de base à 15 ans pour PISA, « Program for International Student Assessment », ou des acquis en fin de primaire pour le programme PIRLS « Progress in International Reading Literacy »).

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