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CHAPITRE 1 : UNE ETHNOGRAPHIE DE LA RUE

I) Pointe-à-Pitre et ses faubourgs

Il fut une époque pas si lointaine où la ville de Pointe-à-Pitre était un centre économique et administratif en Guadeloupe. La bourgeoisie occupait les maisons et les appartements de style colonial du centre-bourg et la ville était la deuxième commune la plus peuplée de Guadeloupe avec Les Abymes. Depuis les 50 dernières années, la commune de Pointe-à-Pitre a pourtant connu une évolution particulière, eu égard aux communes voisines (Abymes, Baie-Mahaut, Gosier) qui forment ce qu'on appelle la région pointoise. En effet, si Pointe-à-Pitre comptait presque 30 000 âmes en 19678, sa population n'a cessé de décroître

depuis, si bien que les recensements de 2011 dénombrent seulement 16 000 habitants9. La

population de Pointe à Pitre a presque diminué de moitié durant cet intervalle. À l'inverse, celle des communes limitrophes n'a cessé de croître pendant la même période. À titre d'exemple, la commune des Abymes compte aujourd'hui plus de 60 000 personnes contre 39 000 en 196710 et est la commune la plus peuplée de Guadeloupe. Les communes du Gosier

(27 000 en 2011 contre 13 000 en 1967) et de Baie-Mahaut (30 000 en 2011 contre 7 400 en 1967) ont également connu un essor considérable au cours des 50 dernières années pour des raisons spécifiques. Nous reviendrons plus en détail sur les causes et les raisons de ces évolutions démographiques, contentons-nous pour l'instant de noter deux points : l'essor des communes avoisinantes est principalement dû à des populations aisées, voire bourgeoises, qui ont délaissé Pointe-à-Pitre pour s'y installer au cours des quatre dernières décennies. Le déclin démographique de Pointe-à-Pitre est donc allé de pair avec une paupérisation de la population et le départ des catégories les plus aisées. Il a été concomitant de plusieurs aspects : le développement du plan de rénovation urbaine11 et l'arrivée massive du crack.

Ces quelques faits contribuent à donner une couleur toute particulière à cette ville, qui, précisément, ne semble plus tout à fait en être une ou, du moins, ne semble pas en remplir toutes les fonctions. Il nous faudra nous intéresser conjointement à l'organisation spatiale et au rythme de la ville, c'est à dire lier le temps et l'espace. Livrons-nous d'abord à une topographie des lieux. Pointe-à-Pitre est bâtie au bord du cul-de-sac marin qui lie les deux îles principales de la Guadeloupe, Grande-Terre et Basse-terre. Le centre-bourg borde la mer et est ceint par

8 INSEE. Population municipale depuis le recensement de 1962.

9 Ibid.

10 Ibid.

11 Ce plan consiste en gros à raser les quartiers dits insalubres et qui étaient en fait des dédales de cases et de maisons de construction plus ou moins sommaires en bois, en pierre et en tôle pour les remplacer par des immeubles en béton de plusieurs étages.

les nombreux faubourgs de la ville. Tant du point de vue architectural que du point de vue spatial et du point de vue de l'activité humaine, on peut considérer que Pointe-à-Pitre se divise en deux espaces : le centre-bourg et les quartiers.

Le centre-bourg, quadrillé par ses rues parallèles et perpendiculaires, accueille une architecture hétéroclite, composée d'immeubles anciens de style colonial, de bâtiments en béton, de bâtiments en pierre et de maisons en bois. La sous-préfecture est située au bord de la place de la Victoire, qui donne sur la darse. Quand on longe celle-ci vers l'ouest, on débouche sur un marché de fruits et d'épices, dont les étals très soignés sont tenus par des femmes habillées en robes de madras traditionnelles. Il va sans dire que ce marché est surtout destiné aux touristes qui, parfois, ménagent une matinée de leurs vacances pour parcourir le centre- bourg de Pointe-à-Pitre. En continuant en direction de l'ouest, on débouche sur la rue piétonne, où des rastas vendent des bijoux faits en produits naturels. C'est à l'entrée de cette rue piétonne que l'on peut voir la statue de Vélo, le maître tambouyé (joueur de tambour) mort en 1984. Le samedi, c'est également dans cette rue que se réunissent des joueurs de Gwo-ka (un style de musique guadeloupéen, qui se joue sur des tambours) pour jouer toute la journée. Une fois passée la rue piétonne, on débouche sur un autre marché, couvert, spécialisé dans la vente d'épices et de rhums « arrangés » (dans lesquels on a fait macérer des épices et des fruits). Ici encore, le marché aux épices attire surtout des touristes et ressemble plutôt à un magasin de souvenirs en plein air. En remontant vers le nord depuis le marché aux épices, le marcheur s'engage dans la rue Frébault, une rue commerçante occupée majoritairement par des magasins de vêtements. Elle est extrêmement fréquentée par les Guadeloupéens, notamment les jeunes. À l'ouest de la rue Frébault se trouvent les musées Schoelcher et Saint- John Perse, tous deux situés dans d'anciennes et luxueuses maisons de style colonial, ainsi que le lycée Carnot. À l'est de la rue Frébault, on trouve l'église Saint-Pierre et Saint-Paul, que certains locaux appellent « cathédrale ». Elle se dresse en face du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre. On trouve de nombreux cabinets d'avocats dans les immeubles avoisinants. Si on continue à l’est après l'église, on retombe sur la place de la Victoire, la plus ancienne de Pointe-à-Pitre et la plus chargée d'histoire également. C'est sur cette place que furent guillotinés les membres de l'aristocratie blanche de Guadeloupe, lorsque les révolutionnaires prirent le contrôle de l'île en 1794. Plus récemment, c'est sur cette place que les gendarmes tirèrent sur des manifestants guadeloupéens en mai 1967, faisant au moins une centaine de morts.

Ce quadrillage de rues bordées de profondes rigoles enserre une architecture spécifique à Pointe-à-Pitre. Des immeubles en pierre et en bois sont accolés à des bâtiments modernes en béton, ainsi qu'à des immeubles à l'abandon. Alors que j'habitais à Pointe-à-Pitre,

je ne me lassais pas d'être frappé par la profusion d'immeubles et de maisons manifestement inoccupés et laissés totalement à l'abandon dans les rues du centre-bourg : des immeubles incendiés, laissés tels quels depuis plusieurs années, des maisons en bois dont les volets pourrissants sont éternellement clos, des édifices effondrés sur lesquels la végétation — impérieuse en ces latitudes — a repris ses droits et qui sont pudiquement masqués par des clôtures en tôle ondulée elles-mêmes livrées à la rouille... Cette architecture de ville fantôme, que d'aucuns pourraient interpréter comme une preuve de l'incurie des pouvoirs publics, contraste avec l'activité humaine intense rendue improbable par un tel décor.

Vers l'intérieur des terres, le centre-bourg est ceint par le boulevard Chanzy au nord, et la rue Vatable à l'est. Au-delà du boulevard Chanzy, où stagnaient encore les eaux d'un canal au début du XXe siècle, s'étendent les faubourgs de Pointe-à-Pitre. À l'ouest du boulevard

Légitimus qui continue la rue Frébault jusqu'aux Abymes, on trouve la cité Henri IV, cachée du boulevard par les tours Faidherbe et le quartier rebaptisé Tonshiwa par ses habitants (verlan de Washington). Plus à l'Ouest, on trouve les cités de Bergevin et de Lauricisque, qui s'étendent jusqu'au pont de la Gabarre. Lors de mon premier séjour en Guadeloupe, je résidais à Lauricisque. J'ai également habité dans le quartier de « Tonshiwa » pendant six mois. C'est de l'autre côté du boulevard Légitimus que se trouve l’hôtel de ville de Pointe-à-Pitre, un bloc de béton sali par les pluies diluviennes, la poussière et la pollution. Ce bâtiment fait face au centre des arts, un bâtiment désaffecté qui devait servir de centre culturel il y a encore dix ans. Ces édifices municipaux séparent la cité des Lauriers du centre-bourg. Plus au Nord se trouve le quartier de l'Assainissement où sont établis le siège de l'UGTG12 et le quartier général du

LKP13. C'est également dans ce quartier que se trouve un des rares cinémas de Guadeloupe.

Vers l'est, un boulevard sépare la cité des Lauriers de la cité de Mortenol, ou j'ai résidé pendant quatre mois.

Tous les quartiers qui viennent d'être mentionnés doivent leur aspect actuel aux politiques de rénovation urbaine et de lutte contre l'insalubrité menées d'abord par le maire de Pointe-à-Pitre, Henri Bangou puis, plus tard, par son fils, Jacques Bangou. Pour résumer grossièrement, cela consista surtout à remplacer ce qui, dans les faubourgs, était un dédale de petites cases de tôles, de bois et de ciment par des immeubles en béton imposants, calqués sur le modèle de nos cités métropolitaines. Ainsi, les anciens faubourgs de Pointe-à-Pitre sont-ils peu à peu rasés au profit de barres d'immeubles destinées à reloger leurs habitants. Mis à part peut-être les plus récents, ces immeubles se révèlent particulièrement inadaptés aux

12 Union Générale des Travailleurs Guadeloupéens, un syndicat indépendantiste, majoritaire en Guadeloupe.

13 Lyannaj Kont Pwofitasyon, que l'on pourrait traduire par alliance contre l'exploitation, une réunion de

conditions de vie caribéennes. Outre le fait qu'une vingtaine d'étages soient empilés sans aucun souci des normes sismiques dans une zone à risque, il faut noter que ces immeubles sont très peu aérés, et que leur orientation ne tient pas compte de la direction des vents dominants (à l’inverse de ce qui est traditionnellement le cas dans l'architecture antillaise), si bien que l'air n'y circule que très peu. L'usage du climatiseur devient une nécessité dans ces quartiers, et les façades blanches, déjà enlaidies par la pollution étalée en longues coulures grises par les pluies tropicales, se voient recouvertes de boîtiers de climatiseurs individuels. Aux Antilles, ce genre de politique urbaine est typique des mairies communistes de la seconde moitié du XXe siècle. Ces politiques urbaines se basaient sur le constat de l'insalubrité des

quartiers des faubourgs (peu de points d'eau courante, accès restreint voire nul à l'électricité, pas de système d’égout) et voyaient dans la rénovation urbaine une amélioration des conditions de vie du « petit peuple ». Pourtant, force est de constater que ces immeubles sont loin d'être un lieu d'habitation idéal : tous sont infestés de cafards de toute taille, une majorité non négligeable sont habités par des rats de proportions tout à fait respectables, les coupures d'eau sont si fréquentes qu'il faut constamment garder des bidons d'eau en réserve. La vétusté et le délabrement n'arrangent rien au tableau : portes et boîtes aux lettres défoncées, ascenseurs hors d'usage depuis cinq ans, murs couverts de graffitis... L'état d'abandon de ces immeubles que je n’étais pourtant pas le seul à habiter me renvoyait à l'impression étrange que me laissait le centre-bourg qui, tout en étant le lieu d'une vive animation diurne, essaimait ses masures en ruines au fil des rues. S'apitoyer sur l'état des immeubles de Pointe-à-Pitre ne sert que très marginalement le propos ethnologique, quand bien même c’est l'un des éléments qui donnent son caractère si particulier à la vie pointoise. Ce qu'il nous faut noter ici, c'est que, des faubourgs faits d'un entrelacs de ruelles, de venelles et de cases construites de manière plus ou moins précaire aux quartiers faits de grands immeubles entourant des parkings et quelques espaces verts, une autre forme d'habitat se dessine, et par là, une autre forme de vie. En effet, c'est la manière de vivre à côté des autres et, éventuellement, avec les autres qui est ainsi changée. Nous explorerons ce point plus en détail dans la suite du chapitre. Il existe encore des quartiers qui n'ont pas subi la rénovation urbaine : ceux de Massabielle et Carénage, à l'est du centre bourg, et celui de Vieux-Bourg, au nord, qui fait partie de la commune des Abymes. J'ai très peu fréquenté le quartier de Vieux-Bourg. À vrai dire, je ne me suis engagé qu'une fois dans le dédale de ses ruelles pour accompagner une ami qui voulait acheter une voiture d'occasion. C'était une fin d'après-midi et je fus frappé par l'activité intense de la rue à une heure où les autres quartiers de la ville deviennent déserts à mesure que le soleil disparaît derrière les montagnes de la Basse-Terre. Des enfants jouaient dans la rue, devant des petits commerces et des bars minuscules et vétustes, dans lesquels les

adultes ponctuaient leurs discussions en claquant leurs dominos sur les tables. À notre arrivée, trois jeunes qui étaient assis devant une case en tôle en buvant des bières se mirent à nous examiner discrètement mais avec attention pendant que nous attendions le vendeur de la voiture dans une impasse, avant de finalement s'éclipser par une venelle. J’aurais aimé pouvoir mener une ethnographie du quartier de Vieux-bourg ; malheureusement, il est très imprudent d'entrer dans ce genre de quartier sans une raison jugée valable par ceux qui y résident, et je n'eus pas l'occasion de me lier suffisamment à un de ses habitants pour pouvoir y mener une enquête. Mais le lecteur me pardonnera si je n’explique pas maintenant, dans cette partie avant tout consacrée à présenter une topographie des lieux, les raisons des difficultés rencontrées à Vieux-Bourg. Ce sera fait plus tard. Contentons-nous pour l’instant de noter que ce quartier pâtit d’une sinistre réputation. Les rares mentions qui en sont faites dans les médias locaux se font à l'occasion des altercations et des meurtres qui y ont lieu, il faut le reconnaître, assez fréquemment. L'insalubrité du quartier est également souvent pointée du doigt. Pour les jeunes de Pointe-à-Pitre, Vieux-Bourg est plutôt connu comme le quartier où l'on peut se procurer du spice et du high leaf auprès de la communauté dominiquaise qui y habite. De nombreux jeunes sont assis à l'entrée du quartier toute la journée, le long de l'avenue qui mène aux Abymes. Ce sont eux qui font l'interface avec les clients extérieurs dans ce petit commerce informel, évitant ainsi que tout étranger pénètre dans le quartier.

Le quartier de Carénage m'est plus familier, un ami y vivait et j’y ai mené également une enquête auprès d'un groupe de carnaval qui y était basé. Ce quartier, qui sépare l'université du centre-bourg, borde la mer et s'étend jusqu'en haut d'un morne qui surplombe le cul-de-sac marin. D'après les témoignages, le quartier de Carénage était il y a plusieurs années un quartier très animé et réputé pour sa vie nocturne. Les habitants de Pointe-à-Pitre y venaient pour faire la fête. Aujourd'hui, c'est un autre genre d'activité qui caractérise la vie du quartier. Dès le jour, de nombreuses prostituées, majoritairement originaires de République Dominicaine, occupent les trottoirs, assises en petits groupes sur des chaises. Le soir, elles sont plus nombreuses et se répartissent dans tout le quartier. Bien que peu de ces femmes y habitent réellement, c'est en fonction de leur activité que Carénage est caractérisé par la plupart des Guadeloupéens. Là encore, ce quartier déclassé souffre d'une réputation sinistre.

Plan 1 : L'agglomération pointoise et ses faubourgs. En gris, le centre-bourg et les zones

« neutres » du point de vue de l'univers des jeunes des quartiers. En vert : les quartiers issus de la rénovation urbaine. En orange : les quartiers n'ayant pas subi la rénovation urbaine.

La ville de Pointe-à-Pitre vit selon un rythme particulier. La vive animation qui règne dès le petit matin contraste avec la désertification de la ville dès 16 h. Les rues de la ville se remplissent peu à peu dès 6h du matin, les commerces ouvrant très tôt. Durant toute la matinée et le début de l'après-midi, les rues du centre-bourg sont fréquentées par des Guadeloupéens de tous âges. Les commerces de la rue Frébault et des rues attenantes attirent une grande population, notamment parmi les jeunes. Il faut dire que la plupart de ces commerces sont des magasins de vêtements dont le style cible plutôt une clientèle jeune. Cette animation, résultant a priori de la présence de divers commerces, s'alimente en fait elle-même en devenant une attraction en soi. Ainsi, de nombreuses personnes déambulent dans les rues

du centre-bourg simplement parce qu'il s'y passe quelque chose. Sur la place de la Victoire, les terrasses des quelques cafés se remplissent dès la fin de matinée, tandis que de l'autre côté de la place, la file d'attente s'allonge devant les services de la sous-préfecture. Du côté des quartiers, l'activité diurne est généralement moins intense au début de la journée. Les commerces de quartier (surtout des petites épiceries, des boulangeries ou des restaurants) ouvrent dès le petit matin, sans pour autant drainer beaucoup de monde, tandis que des jeunes désœuvrés du quartier se réunissent peu à peu sur leurs blocks.

Si dans la journée, Pointe-à-Pitre peut ressembler à n'importe quelle ville, l'atmosphère devient plus pesante dès la fin de l'après-midi, à l'approche du crépuscule. La nuit tombe très tôt dans les Caraïbes, entre 17 et 18 h. Dès 16 h, les rues du centre-bourg se vident peu à peu, la plupart des commerces ferment à cette heure (certains sont déjà fermés depuis 15 h) si bien qu'à 18 h, lorsque la nuit est déjà bien installée, le centre-bourg de Pointe-à-Pitre est presque désert. Les quartiers conservent un peu plus longtemps une certaine activité. Les rares bars de quartier sont encore occupés en début de soirée et des petits groupes se réunissent dans les rues. Les camions à bokits14 s'installent dans les rues des quartiers dès le début de soirée. À partir d'une certaine heure, ce sont les seuls endroits où l'on peut croiser des gens, le reste de la ville est désert. Après 23h, les rues deviennent le domaine presque exclusif des bandes de chiens errants.

Ce contraste entre l'activité diurne de la ville et la désertification du milieu de l'après- midi frappe et détonne avec les autres communes de Guadeloupe. Dans des communes limitrophes comme le Gosier par exemple, la soirée est le moment d'une vive animation dans les rues. À côté de ces villes, Pointe-à-Pitre semble se transformer en ville fantôme dès 17 h. Les personnes âgées qui me parlaient de l'évolution de la vie à Pointe-à-Pitre m'expliquaient que la vie pointoise ne fut pas toujours rythmée de façon aussi atypique. Quinze ans auparavant, il était encore fréquent de sortir le soir pour flâner dans les rues. D'après ces personnes, cette évolution est due à la dégradation des conditions de vie à Pointe-à-Pitre. La plupart des anciens résidents de la ville imputent cette désertification à l'arrivée du crack et à l'augmentation de la violence, d'autres dénoncent l'absence d'une quelconque politique de développement de la vie urbaine. Avant de posséder une voiture dans les derniers mois de mon terrain, je fus souvent amené à traverser la ville à pied à des heures tardives. Chaque fois que des personnes apprenaient que je comptais traverser Pointe-à-Pitre à pied dans la nuit, je suscitais des réactions d’incrédulité, comme celles que l'on réserve d'habitude à des personnes qui se comportent de manière anormale, illogique, ou qui enfreignent des codes tacites. Pour

14 Les bokits sont des sandwichs de pain frit, vendus dans la rue, généralement par des femmes qui les préparent dans des camionnettes.

autant les rues étaient à ce point désertes que je fus rarement inquiété, même si je fis parfois