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Chapitre 2 : ÉTAT DE LA QUESTION

2.2 Les modèles éducationnels de FAD

2.2.2 Modèles centrés sur l’apprenant

2.2.2.1 Par la réduction de la distance transactionnelle

L’une de ces premières théories de FAD, développée autour de 1972, est attribuée à Michael Grahame Moore (Keegan, 1980). Pour cet auteur, il s’agit de la première théorie pédagogique en Amérique qui cherche à analyser, comprendre et réduire la distance géographique et celle pédagogique entre enseignants et étudiants en FAD, mais aussi à cultiver l’autonomie des apprenants à distance. La méthode de Moore consiste à analyser la structure des cours et programmes, et à porter un intérêt au dialogue entre les acteurs enseignants et étudiants (Moore & Kearsley, 2005, 2012; Moore & Marty, 2007).

2.2.2.1.1 La pensée de Moore :

L’expression « éducation transactionnelle », créée par John Dewey (Boyd, 1966), renvoie à la transaction, c’est-à-dire le dialogue - l’interaction - entre des enseignants et des apprenants situés dans des environnements physiques distincts (Moore & Marty, 2007). En effet, pour l’auteur, la distance est davantage un phénomène pédagogique que géographique (Moore & Kearsley, 2005). Il considère la distance transactionnelle comme la séparation physique qui crée un vide psychologique et de communication, un espace de malentendu potentiel entre les contributions du formateur et celles de l’apprenant, qui doit être comblé par des techniques d’enseignement spéciales : « It is the physical separation that leads to a psychological and communications gap, a space of potential misunderstanding between inputs of instructor and those of the learner that has to be bridged by special teaching techniques ; this is the transactional distance » (Moore, 1991, p. 3; Moore & Kearsley, 2005, p. 224). Ces techniques d’enseignement spéciales permettraient de préserver l’apprenant à distance de la démotivation, de l’isolement, des difficultés d’apprentissage, etc. C’est en cela que la théorie de la distance transactionnelle est une théorie de la pédagogie de la FAD, par la conception pédagogique et la facilitation de l’interaction, et non une théorie de son organisation (Moore & Marty, 2007). Cette théorie stipule d’une part que le niveau d’autonomie exigé de l’apprenant à distance croît avec le niveau de distance transactionnelle ; et d’autre part, que cette autonomie est plus élevée dans les programmes conçus selon un haut niveau de distance transactionnelle (c’est-à-dire avec un faible niveau de dialogue et un haut niveau de structure).

La théorie de Moore repose ainsi sur deux dimensions, tel que représenté sur la Figure 10 suivante :

 la dimension de la distance transactionnelle qui se mesure par deux variables : le degré de structure des programmes et le niveau de dialogue ;

 et la dimension de l'autonomie de l'apprenant, liée à la première dimension, étant donné que plus la distance transactionnelle est grande, plus les apprenants doivent faire preuve d’autonomie (Amundsen, 1993; Keegan, 1996; Moore & Marty, 2007).

Figure 10 : Distance transactionnelle et autonomie de l'apprenant

(Moore & Marty, 2007, p. 8)

Ces indicateurs d’une bonne expérience d’apprentissage, apparus avec la théorie de la distance transactionnelle de Moore, reviendront souvent chez d’autres auteurs, parfois avec certaines nuances.

2.2.2.1.2 La structure d’un programme de FAD

La structure désigne les principaux éléments constitutifs qui entrent en jeu dans la conception d’un programme de FAD : les différents thèmes et contenus des leçons, les objectifs pédagogiques, les stratégies d’enseignement, les images et illustrations, les exercices, les méthodes d’évaluation choisies, etc. (Moore & Kearsley, 2005; Moore & Marty, 2007). Ce sont précisément ces différents éléments de la structure d’un cours ou programme qui déterminent le dialogue, la distance transactionnelle et l’autonomie des étudiants, selon la vision de Moore (1993).

Par ailleurs, les différents éléments de la structure d’un programme sont très révélateurs de sa flexibilité, de son ouverture ou de sa rigidité et, par ricochet, de son adaptabilité aux besoins des étudiants (Moore, 1993). Des programmes plus structurés fixent les dates de début et de fin des cours, fixent des dates butoirs pour les

travaux, utilisent des supports didactiques conçus pour plusieurs étudiants, etc. (Amundsen, 1993). Des programmes moins structurés permettent l'inscription aux cours tout au long de l'année, la soumission des travaux dans une période déterminée, et fixent des contrats avec les étudiants individuellement quant à la composition des contenus du cours (ibid.).

L’expérience éducative de l’étudiant s’en trouve enrichie quand la structure rend possible l’individualisation de la formation, selon les propres objectifs de l’étudiant, son propre rythme d’apprentissage et ses contenus préférés (Moore & Marty, 2007). C’est en ce point que la FAD, particulièrement la FOAD, par son ouverture et sa flexibilité, rejoint le contrat didactique (Houssaye, 1988) et devient une forme de rupture de la règle des « trois unités » du théâtre classique qui caractérisent nombre de formations traditionnelles. À la place des unités de lieu, de temps et d’action, la formation ouverte fonctionne selon la règle des « trois flexibilités », qui est marquée, du côté de l’enseignant comme de l’étudiant, par des temps différents, des espaces différents et des modes d’action différents (D'Halluin & Loonis, 1999, p. 109). Mais Moore (1993) note que certains éléments des programmes de FAD doivent être nécessairement structurés et moins flexibles : la présentation des contenus ; les techniques de stimulation et de maintien de l’intérêt de l’apprenant ; les moyens de stimulation de l’analyse et de l’esprit critique des étudiants ; les matériels et techniques d’assistance/conseil ; les séances pratiques et les évaluations ; des opportunités d’échanges et de création de connaissances .

La structure d’un programme peut ainsi fortement déterminer les conditions et circonstances d’apprentissage de l’apprenant à distance et l’expérience de l’étudiant.

2.2.2.1.3 Le dialogue et l’interaction

La FAD, par sa dimension communicationnelle, offre en principe aux étudiants un potentiel de dialogue et d’interaction avec les acteurs de la formation dans le but de créer du savoir (Moore, 1993; Moore & Marty, 2007) : « The term “dialogue” is used to describe an interaction or series of interactions having positive qualities that other interactions might not have. A dialogue is purposeful, constructive and valued by each party » (Moore, 1993, p. 24). La nature et la fréquence du dialogue soulignent davantage la potentialité de la FAD à créer la connaissance et la compréhension. Cet aspect important de la théorie cognitive de l’apprentissage est développé sous le concept de « communication bidirectionnelle » par des auteurs comme Garrison (1993) et Keegan (1986). Plutôt différent de l’interaction pour John Dewey, le dialogue désigne la transaction elle-même en tant que cadre d’échanges, d’aide et d’enrichissement pour chaque acteur.

Le potentiel de dialogue s’étend sur tout le processus de formation : à la phase de conception et de planification du cours, le dialogue consiste à la négociation des éléments de structure ; il se poursuit naturellement durant la transaction éducative et permet d’adresser les besoins intellectuels, physiques et émotionnels de l'étudiant en

l’apprenant jouit au maximum de ses possibilités d’enrichir son expérience éducative par la communication et le dialogue (Holmberg, 1995). En dehors de la structure, Moore et Marty (2007) citent comme autres facteurs favorisant le dialogue : le sujet du cours, la personnalité de l’enseignant, la personnalité de l’étudiant, les différences de culture et de langue entre les étudiants et les instructeurs. Tous ces facteurs étant à leur tour largement dépendants de l’autonomie personnelle de l’étudiant. Ce qui amène à voir que le dialogue, qui détermine la distance transactionnelle et l’expérience de l’étudiant à distance, est très relatif (Moore, 1993). Ce potentiel de dialogue est certes largement dépendant de la structure du programme (Moore, 1993), mais aussi globalement de la philosophie éducative et du modèle éducationnel en place (Amundsen, 1993; Jacquinot- Delaunay, 2010). En effet, les programmes qui n’offrent que du matériel pédagogique imprimé, l’étudiant n’a pas tellement de possibilité de dialogue (Amundsen, 1993). Dans un cours en ligne utilisant les méthodes de communication asynchrone, le dialogue est très structuré car l’interaction se fait par le courrier électronique ou le forum de discussion (Moore & Kearsley, 2012). Ces auteurs notent pourtant que les étudiants étrangers, sans doute en raison de leurs pratiques habituelles d’apprentissage, se sentent généralement mieux à l’aise pour dialoguer dans ce genre de cours asynchrone. À l’inverse, les cours utilisant la communication synchrone par conférence audio ou vidéo, par téléphone ou sur le Web (avec Skype ou Illuminate) sont généralement des processus hautement dialogiques pour l’étudiant (Moore & Kearsley, 2012, p. 210).

Ainsi, le dialogue participe à créer chez l’apprenant une expérience éducative unique dont la qualité se mesurera alors à l’aune du mélange entre les variables de l’apprenant, celles de l’enseignant, celles du contenu et celles de la communication (Garrison & Baynton, 1987). Ce qui se traduit par la réduction de la distance transactionnelle (Moore, 1993), la présence de l’apprenant (Garrison, Anderson, & Archer, 2001) ou sa proximité par rapport au dispositif (Paquelin, 2011).

2.2.2.1.4 L’autonomie de l’apprenant

En FAD, l’autonomie est à la fois une exigence et une finalité (Kaye, 1985; Moore & Marty, 2007; Wedemeyer, 1971). Comme une exigence, l’autonomie de l’apprenant renvoie à son indépendance (Moore, 1993; Peters, 1998; Wedemeyer, 1971) et à son contrôle (Garrison & Baynton, 1987). De nature affective et/ou intellectuelle, l’autonomie permettrait à l’étudiant d’apprendre seul (lorsque la structure le permet) et de pouvoir choisir ses objectifs d’apprentissage, les conditions de déroulement de sa formation (quoi ? où ? quand ? comment ? …) et les conditions de son évaluation (Glikman, 2002; Henri & Kaye, 1985b; Moore & Marty, 2007).

Comme une finalité, l’autonomie - disons l’autonomisation de l’apprenant - est, au même titre que la démocratisation de l’accès à l’éducation, un but essentiel de la FAD et un des premiers critères de succès de la formation et d’enrichissement de l’étudiant (Moore & Kearsley, 2012). Elle est une opportunité que l’institution de FAD offre à l’étudiant de prendre en charge son projet de formation (Garrison & Baynton, 1987). Loin de

promouvoir l’isolement, l’autonomie se construit par les stratégies organisationnelles ou les modèles pédagogiques choisis par l’institution.

Les pratiques favorisant l’autonomie sont particulièrement fondées sur des principes humanistes et socioconstructivistes qui placent l’apprenant comme responsable et constructeur de ses connaissances et non plus comme un récipient (Januszewski & Molenda, 2013). Ces principes se traduisent par des pratiques de collaboration, de co-construction et d’apprentissage par les pairs (Boud, 1981; Garrison, 2009; Garrison et al., 2001; Vygotski, Hanfmann, & Vakar, 1962). C’est à ce niveau que l’autonomie rejoint l’ouverture, la flexibilité des dispositifs de formation (Glikman, 2002; Holmberg, 2005) et l’absence de distance transactionnelle. Ainsi, malgré le poids que l’autonomie occupe dans la qualité de l’expérience étudiante en FAD, elle reste également très variable d’un étudiant à l’autre, d’un cours à l’autre, d’un programme à l’autre, d’une organisation à l’autre, …