• Aucun résultat trouvé

DE PENSEE ET DE COMMUNICATION

B. De la notion de réseau au paradigme de l’interaction structurale

Si le réseau social en tant qu’« ensemble de relations entre un ensemble, organisé ou non, d’acteurs » (Lazega, 1994 ; Forsé et Langlois, 1997 ; Mercklé 2004b) reste un concept, l’interactionnisme structural, où les collectifs sont considérés à la fois comme une contrainte et un effet des interactions au sein du réseau, est un paradigme (Forsé et Langlois, 1997). C’est au travers de l’interaction structurale que prend corps la notion de réseau comme entité infinie. Cette infinité rend impossible une analyse du réseau dans son ensemble. Au contraire, elle demande de l’approcher au travers de sous-ensembles, dont les propriétés structurales se rapprocheraient de celles régissant l’ensemble du réseau. L’agencement structural du réseau infini contiendrait donc des dimensions fractales, dans le sens où un tronçon de ce réseau exprimerait les mêmes propriétés que le réseau entier, à un échelon plus bas (Ferrand, 1997).

Lazega parle des frontières du réseau comme « constamment négociées et traversées de manière stratégique, du « dedans » comme du « dehors » » (Lazega, 1994, p. 4). Pourtant, force est de constater que les acteurs collectifs existent réellement et qu’ils s’inscrivent dans un système d’interdépendance qui lui aussi existe réellement, même si ce dernier s’emboîte sur plusieurs niveaux (dans le cas, par exemple, d’un groupe, d’une association, d’une fédération…). Pour comprendre et analyser empiriquement l’organisation de ces acteurs en réseau, les chercheurs développent une méthode qui s’inscrit dans le paradigme de l’interaction structurale, la méthode « structurale ». Elle vise à « reconstituer et à analyser, de manière toujours limitée mais rigoureuse, un système d’interdépendances, puis à situer ces dernières dans un contexte social organisé encore plus large », dans le but de contextualiser, et donc de valoriser, « la connaissance sociologique des formes d’action collective » (Lazega, 1994, p. 3).

1) La méthode dite « structurale »

Si la méthode utilisée tend à développer tout un panel d’outils pour mettre en valeur la structure relationnelle d’un acteur collectif, Lazega précise que cet acteur possède de multiples facettes intégrant un système culturel, social, normatif… et qu’approcher la structure relationnelle de l’acteur collectif sans prendre en compte ces différents aspects serait s’éloigner de la réalité. Si la conception théorique de l’analyse structurale d’un système est très bien développée, complète et claire, l’aspect pratique est beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre, notamment à cause de l’approche holistique du collectif. Le collectif est considéré comme une somme de relations et de contextes infinie dont chacune des composantes joue un rôle primordial dans son évolution. L’étude d’un réseau ne peut donc pas être considérée comme une finalité, mais bien comme un apport complémentaire à une étude comportementale des collectifs qui s’inscrivent dans un milieu et dans un contexte spécifique, et qui répondent à des normes sociales qui leur sont propres.

Cette étude demande au préalable une méthodologie d’enquête qui permette de récolter des données qualitatives et « quasi ethnographiques », formant le cœur de l’analyse de réseaux (Lazega, 1994). La récolte de données demande de fixer au moins une variable autour de laquelle tous les acteurs du système social se mettent en lien et de décrire les attributs de chaque acteur. Le premier nous donne le fil conducteur du réseau. Le second nous permet de déterminer plus précisément les variables expliquant le comportement des acteurs dans la structure et celles décrivant l’acteur de manière indépendante du système.

Pour mettre en pratique ce raisonnement holistique, un processus regroupant quatre procédures est mis en place et appliqué à des « acteurs ». Les acteurs sont préférentiellement des entreprises ou des organisations, mais le terme « acteur » peut également faire référence à un individu ou à une institution. L’acteur reste une catégorie englobante que le chercheur prend soin de préciser dans sa méthode d’analyse. Si les critères relationnels priment sur les attributs, acteurs et réseaux restent pour autant intimement dépendants. Pour décrire une structure relationnelle dans un système social, il est nécessaire de décrire les acteurs qui constituent ce système. Il faut donc effectuer une analyse de la structure relationnelle d’un réseau réalisée sous plusieurs facettes, en fonction de la densité des relations entre les acteurs, de la cohésion de leur profil et de leur équivalence structurale. C’est ainsi qu’un groupe d’acteurs peut être identifié sous le terme de « clique », dans le cas de relations fortes dans un sous-ensemble d’acteurs, de « bloc » dans le cas d’acteurs équivalents dans le réseau, ou encore de « position » dans le cas d’acteurs possédant le même profil relationnel sans pour autant interagir ensemble (Lazega, 1994).

La première procédure décrite par Lazega consiste à reconstituer « la morphologie du système d’action et d’échange ». Cette procédure est réalisée au travers d’une description itérative des relations entre les acteurs. Il peut s’agir de décrire l’ensemble des relations entre les blocs, ou encore celles des cliques ou des positions.

Une fois le système décrit, la deuxième procédure permet de positionner les acteurs dans la structure en fonction d’indicateurs définis par le chercheur. Il peut s’agir du prestige, de l’autonomie, de la capacité d’innovation…

La troisième procédure a pour objet de découvrir les relations entre les acteurs et l’influence qu’ils exercent sur ces relations en fonction de leur position dans le réseau.

Enfin, la dernière procédure inscrit le réseau dans une dynamique temporelle en mesurant l’évolution du système d’interdépendances à un temps t+1, qui résulterait du comportement des acteurs au temps t. Les trois premières procédures forment la base structurale du réseau. Leur mise en place permet de construire le système d’interaction structural à partir des données de terrain. La dernière procédure applique une dynamique temporelle à un système déjà existant et construit.

2) L’analyse structurale inter-organisationnelle

Depuis les années 1970, de très nombreux travaux ont été effectués sur un panel varié de formes d’organisations, allant des conseils d’administration d’entreprises aux cabinets d’avocats, banques, agences de publicité, en passant par les organisations syndicales. Ces travaux ont pu mettre en avant des problématiques dominantes qui dépassaient les objets d’étude en question. Les récurrences concernent essentiellement « l’intégration de l’organisation, la relation entre centralité, autonomie et pouvoir, l’influence des relations sur la prise de décision, les inégalités invisibles et les variations dans les « revenus » du capital social en fonction du type de contexte organisationnel » (Lazega, 1994).

C’est en 1990 que Burt et Ronchi effectuent la première analyse des liens internes et externes des acteurs d’une organisation. C’est le premier cas d’analyse structurale dans une logique inter-organisationnelle. D’une part, cette analyse considère les liens composés par des acteurs intérieurs et extérieurs à l’organisation comme un élément pouvant interférer sur la qualité du réseau. D’autre

part, cette recherche valide la théorie considérant que les liens informels entre acteurs d’une organisation contribuent aussi efficacement que les liens formels d’échanges d’information et de ressources au sein du système. Même si une relation informelle peut être considérée à la fois comme un lien fort ou un lien faible, la « formalité » d’un lien ne nous renseignant pas sur sa force, nous ne pouvons ignorer le rapprochement entre l’étude de Burt et Ronchi et la théorie des liens faibles. Durant cette période, les recherches sur les réseaux inter-organisationnels s’organisent principalement autour de trois directions : la formation et le maintien des réseaux sociaux ; le lien entre les positions occupées par des organisations sur le réseau et leur comportement vis-à-vis des autres acteurs ; le lien entre la position d’une organisation sur le réseau informel lié au secteur de production de l’organisation et sa rentabilité sur le marché. La première direction se penche sur la multi-appartenance d’un acteur à plusieurs organisations. La seconde direction a permis de mettre en évidence l’influence du réseau inter-organisationnel sur les mécanismes de prise de décisions entre organisations et politiques publiques. Enfin, la troisième direction a contribué à préciser les aspects de coopération et de concurrence dans lesquelles se positionnent les organisations dans une action collective.

Si l’aspect économique est principalement visé dans les recherches utilisant la structure des relations entre les organisations, force est de constater que ces organisations construisent des réseaux dont les niveaux de complexité augmentent en même temps que l’échelle du réseau. Ainsi, les sociétés anonymes perdent petit à petit leur sens lorsque l’on monte progressivement à une échelle mondiale, échelle qui privilégie des groupements d’activités en lien avec un domaine de marché (Lazega, 1994).

Lorsqu’il passe à la pratique, le chercheur ne possède, dans les connaissances du système, que des intuitions assez floues. C’est en partant d’une position donnée sur le réseau qu’il va progressivement découvrir sa constitution et son système de régulation. Ainsi, le chercheur déconstruit le système social connu pour reconstruire « un ordre, une stabilité, un équilibre fondé sur des régularités dans les interactions entre les membres » (Lazega, 1994, p. 302). Cette démarche part d’observations empiriques des acteurs, de leurs relations et de leur interdépendance autour d’un objet, d’une ressource ou d’une action. Décrire la structure relationnelle revient à « décrire les acteurs collectifs en présence, à un moment donné, dans une organisation, ainsi que leurs relations ». Ainsi, l’existence, ou même l’absence d’existence d’une relation entre deux acteurs devient une information permettant d’observer le positionnement stratégique d’une organisation sur le réseau en fonction d’une problématique donnée. Et elle permet aussi de considérer la cohérence même de la problématique autour de laquelle se construit le réseau. Une problématique autour de laquelle soit il n’existe pas de réseau, soit il existe un bloc d’acteurs qui ne sont pas en lien, a une faible cohérence, voire fait l’objet d’un rejet par les acteurs concernés (Lazega, 1994).

Cette logique de problématique et de position préétablie censée guider le chercheur dans ses observations est fortement décriée par l’école française de la sociologie de la traduction. Pour elle, un réseau est déjà existant chez les acteurs avant l’arrivée du chercheur et toute la difficulté que rencontre ce dernier réside dans la description du réseau ainsi que dans la découverte des points d’intérêts des acteurs qui se regroupent autour de ce réseau. C’est la théorie de l’acteur-réseau (Latour et al., 2006).

C. Sociologie de la traduction et théorie de l’acteur-réseau

Outline

Documents relatifs