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DE PENSEE ET DE COMMUNICATION

A. Place du collectif dans la société 1) Travail collectif, une vision évolutive

5) Adhésion des acteurs à une représentation collective ou « effet de conformation »

a) Conformation d’un individu relative à ses représentations

Touraine (1978) discute de la difficulté que rencontrent des acteurs pour trouver un consensus autour d'une idée collective. Par cette entrée collective, il définit le statut du chercheur réalisant une étude sociologique sur des collectifs militants. Les terrains qu'il investit sont essentiellement constitués de groupes militants autour de mouvements universitaires et énergétiques. Touraine identifie, d’une part, la présence ou non de conflits internes autour des idées transportées par ces collectifs ; d'autre part, il démontre que l'action et le statut du chercheur sur son terrain ont un impact significatif sur l'évolution des idées dans ces collectifs.

Lorsqu'il s'arrête sur les représentations des mouvements étudiés, dans son cas, l'organisation de l'université ou les moyens de production énergétique, Touraine observe l'existence de désaccords dans les groupes autour de la construction et du maintien de leur représentation collective. Ces désaccords semblent beaucoup perturber la stabilité des groupes qui, en s’affaiblissant, ralentissent considérément leur moyen d'action durant toute la période liée aux désaccords. Dans un second cas, d’autres groupes étudiés ne rencontrent pas ce genre de difficultés, du moins pas durant la période d'investigation. Ces collectifs semblent plus forts au niveau de leur discours, de leur présence et de leurs actions réalisées sur le terrain. Enfin, dans le dernier cas, des collectifs ayant traversé une période d'instabilité avec succès semblent « grandis », dans le sens où les membres de ces collectifs argumentent sur la représentation du collectif à laquelle ils adhèrent et sont en accord avec les

actions proposées par le groupe sur le terrain. Ce dernier type de collectif a l'avantage de voir sa représentation renforcée et enrichie, après l'avoir confrontée avec les points de vue d'autres individus ou d'autres collectifs. Les individus membres de ce collectif, sans forcément être en accord avec la totalité des idées transportées par le groupe, ont alors tendance à accorder leur point de vue avec celui du collectif, point de vue dont ils ont été contributeurs lors du temps de désaccord (Touraine, 1978).

Ces données nous indiquent qu'un consensus autour d'une idée collective ne résulte pas automatiquement d’un conflit mettant en péril la stabilité du groupe. En revanche, si un groupe réussit à construire une représentation collective et à la confronter aux autres groupes sans perdre son unité, alors ce dernier sortira plus fort de la confrontation. Au regard de Touraine, le médiateur est l’outil permettant une remise en question du fonctionnement du groupe. Par le recul que lui procure son statut, le médiateur permet d’enclencher une confrontation en évitant le conflit. Le médiateur encouragerait les membres d’un groupe à élargir leur point de vue périphérique du collectif tout en renforçant les idées centrales du groupe. Cette approche sur la dynamisation des collectifs intègre, sans la nommer, les prémices de l'effet de conformation qui se développent en psychologie sociale durant cette même période (Moscovici, Doise et Dulong, in Moscovici et al., 1984). En effet, pour Touraine, les acteurs d'un collectif doivent intégrer le point de vue d'autres acteurs extérieurs au groupe pour construire un argumentaire fédérateur permettant de justifier le point de vue du collectif :

« La comparaison des groupes doit avoir un but plus constructif. Il faut qu’ils représentent des aspects différents, voire opposés, de la lutte, de sorte que leur rapprochement fasse apparaître des débats, des tensions ou des conflits caractéristiques du mouvement. » (Touraine, 1978, p. 207).

Dans le cas présenté, le groupe construit son noyau central autour de la représentation d'un objet, l'énergie ou le fonctionnement universitaire. Cependant, les représentations sociales que construisent les autres groupes du système constituent des arguments suffisamment opposables pour créer un ou plusieurs mouvements de contestation. Dans d'autres cas, les mouvements peuvent être associés à une construction collective plutôt qu’à une contestation. Il peut s'agir, par exemple, d'un mouvement social, d’un mouvement de valorisation, d’un mouvement de coopération ou encore d’un mouvement de solidarité. Pour illustrer plus concrètement cette réflexion, il est possible de faire référence aux groupements pastoraux dans le Massif central qui se construisent autour d'un mouvement de solidarité entre éleveurs et de valorisation fourragère de l'espace (Dedieu, 1993). Si Touraine divise un système de représentation collective en trois phases de construction – la justification, la confrontation et le développement –, il est possible de reconnaître, dans chaque étape, le principe de conformation à proprement parler. Le principe de conformation correspond au processus qui va agir sur un individu lorsque ce dernier va être engagé à transmettre l’avis du collectif à propos d’un objet plutôt que son propre avis, à partir du moment où ce dernier s’adresse à un autre individu. Le principe de conformation appelle au phénomène de conformité, défini par Levine et Zdaniuk comme l’instant où un individu modifie sa position au sujet d’un objet afin de l’harmoniser avec la position d’un groupe (Figure 18). Quelle que soit la raison pour laquelle l’individu modifie son point de vue, cela peut être le fruit d’une recherche de l’approbation, la fuite de la méconnaissance, la crainte du conflit ou encore la recherche d’un soutien social d’autres membres

du même groupe, ce dernier est alors amené à réagir de trois manières possibles : l’intériorisation, l’identification ou le suivisme (Paicheler et Moscovici, in Moscovici et al., 1984 ; Levine et Zdaniuk, in

Moscovici et al., 1984).

L’intériorisation amène l’individu à modifier son opinion de manière intrinsèque, de telle sorte qu’il ne se rend plus consciemment compte de la modification. C’est le cas des individus qui s’investissent dans un projet collectif et « s’approprient », ou assimilent, les idées collectives du projet de telle sorte que leur point de vue converge entièrement avec celui du collectif au niveau de ce projet. L’identification met en avant des relations de type affectif entre un individu et des figures d’autorité du reste du groupe. Un individu sera alors amené à partager le point de vue d’un collectif pour satisfaire le besoin de s’identifier à un ou plusieurs autres individus charismatiques du groupe. Tout comme l’intériorisation, ce type de conformation implique une transformation intérieure du point de vue de l’individu vers celui du groupe. Cependant, contrairement à l’intériorisation, cette transformation de point de vue n’est pas une transformation profonde de l’individu, mais plutôt un effet collatéral lié au charisme de la ou des figures d’autorité du groupe. C’est le cas d’un individu qui adopte le même point de vue que le président d’une association autour d’un objet et, ce, pour satisfaire son besoin de reconnaissance ou son envie de lui ressembler.

Le suivisme fait suite au reflexe de fuite d’un conflit qui peut apparaître dans un groupe lors d’un désaccord entre personnes. L’individu se plie au point de vue du groupe lors des réunions et des rassemblements publics, mais ce dernier n’y adhère pas en privé. Dès que l’occasion se présentera, l’individu fera émerger à nouveau son point de vue personnel. Ce cas peut se rencontrer lorsqu’un individu, voyant qu’il ne trouve plus de moyens pour adapter l’idée collective à son point de vue ou, inversement, son point de vue à l’idée collective, arrête son argumentation pour se plier à l’avis de la majorité. Dès lors, il n’y a ni transformation ni adaptation du point de vue de la personne mais plutôt une mise en silence de son opinion. Le suivisme est l’effet de conformation le plus pernicieux puisqu’il s’agit d’un conflit non réglé qui est étouffé par l’individu. Ce conflit, est ainsi passé sous silence jusqu’à un moment critique où l’individu pourra être tenté de le faire ressurgir avec force. D’un côté, ce genre d’effet de conformation peut être un comportement risqué pour la stabilité du collectif, puisque le véritable point de vue de l’individu risque d’être exposé au moment le plus instable de la vie du collectif ; d’un autre côté, le suivisme peut également permettre au collectif de mettre les divergences de point de vue de côté, tout en constituant une réserve d’idées permettant au collectif d’augmenter sa rapidité d’adaptation lorsque celui-ci rencontre une crise (Hill et al., 2014).

b) Transmission d’une représentation collective grâce à l’effet de conformation

L’effet de conformation, chez l’individu, est un état très renseigné en psychologie sociale, notamment après les travaux précurseurs de Moscovici. Au travers de relations intergroupes, cet effet intervient également à l’échelle collective, auquel cas ce sont des groupes entiers qui se conforment à une représentation collective entretenue au sein d’un réseau. Dans une situation de conflit entre deux groupes, Doise a montré que la position d’un individu différait lorsque ce dernier était amené à représenter officiellement son groupe plutôt que lorsqu’il s’agissait d’une négociation entre deux individus (Doise, in Moscovici et al., 1984). En citant les travaux de Stephenson, Doise exprime « la nécessité d’articuler d’une manière appropriée [les] aspects interpersonnels et [les] aspects collectifs pour qu’une négociation aboutisse » (Doise, in Moscovici et al., 1984, p. 270). La nécessité de prendre en compte le message collectif avec celle de prendre en compte l’interprétation

de l’individu qui va le transmettre constitue une clef pour démontrer qu’il existe une communication entre groupes qui dépasse le simple échange de représentation d’un lot d’individus appartenant au même groupe.

Il faut tout de même noter que la relation entre plusieurs groupes n’est pas uniquement conflictuelle. S’il existe des travaux scientifiques traitant du comportement d’un individu au sein d’un groupe et d’autres traitant des relations conflictuelles entre différents groupes, peu de publications font encore l’objet des relations existant entre des groupes se trouvant dans une situation hors conflit. Dans cette situation, les échanges relatifs aux représentations collectives de chaque groupe influencent réciproquement la considération que ces groupes peuvent avoir sur un objet. Ces échanges de représentations mettent en jeu plusieurs phases de constructions complexes, dans plusieurs mondes sociaux où voyage la connaissance collective à propos de l’objet.

Figure 18 : Conformation des individus aux représentations collectives

Source : X. Badan, 2014

6) Communication de la représentation collective :

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