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CHAPITRE I : POSITIONNEMENT THÉORIQUE

C. L’élevage ovin dans les monts Dômes et les Causses-Cévennes 1)Construction d’une représentation sociale de l’agriculture

3) Evolution de la représentation collective de l’agriculture dans les Causses et Cévennes

a) Contextes environnementaux et sociaux similaires aux Dômes, évolution différente

Qu’ajouter à propos de l’agriculture des Causses et des Cévennes sinon qu’elle a suivi une évolution similaire au niveau de la spécialisation de sa production au travers de la révolution agricole, mais que les systèmes d’élevage qui lui sont associés se sont, au contraire des Dômes, renforcés dans la production et la valorisation des produits ovins. Ces choix, tout comme dans les Dômes, résultent d’un regard alliant la productivité, la valorisation et la culture rurale.

La configuration géographique du territoire n’est pas pour rien dans cette spécialisation ovine. La constitution variée des sols formant le relief des Causses et des Cévennes entraîne une restitution des eaux du plateau vers les gorges de la vallée du Tarn. Cette configuration s’explique par l’existence d’un enchaînement de cirques, de reculées, de couronnes d’escarpement, de falaises dolomitiques, de vallées karstiques… entraînant globalement, et très schématiquement, une différenciation entre des plateaux vastes, très secs et parsemés de lapiaz et de chaos dolomitiques et des gorges où les sources abondent pour alimenter la vallée du Tarn. Les points irrigués sont trop rares et les points mécanisables souvent secs, autorisant une modeste activité céréalière. Dans les grandes lignes, les plateaux des Causses et les reliefs des Cévennes forment des espaces privilégiés pour l’élevage extensif, ou, autrement dit, trop rudes pour un autre type de valorisation agricole sans demander de gros travaux de terrassement ; travaux qui, lorsqu’ils sont tout de même réalisés, constituent une des aménités paysagères du territoire. La description méticuleuse des géographes qui se sont penchés sur ce territoire, Marres, puis Fel, a permis d’établir une connaissance précise de la configuration géographique de ces espaces. Les massifs des Cévennes ont constitué les prémices de la description paysagère des Causses et des Cévennes, reprise ensuite par les géographes contemporains (Marres, 1945 ; Fel, 1962 ; Rieutort, 1995 ; Paloc in Chassany et al., 2009). Ces plateaux d’altitude, secs et calcaires, sont l’une des raisons qui ont poussé le système agraire ovin millénaire à se spécialiser dans ce sens, malgré les conditions économiques et sociales qui ont poussé d’autres régions, comme les Dômes, à évoluer vers de nouveaux systèmes.

La vague de recherches archéologiques réalisées lors des grands chantiers des années 1980 a apporté une grande quantité de matériaux exploitables au sujet de l’activité humaine sur les Causses et les Cévennes au cours de son histoire. Les premières traces d’une activité agropastorale sur les Causses sont enregistrées par Hugues avec la civilisation chasséenne. Cette sédentarisation a permis de découvrir des traces d’activités industrielles basées notamment sur la production de céramique. Depuis, la présence de l’homme sur les Causses et les Cévennes n’a eu de cesse de marquer le paysage, allant de la présence de monolithes à vocation culturelle aux terrasses pour permettre une exploitation de la terre et aux trous pavés et imperméabilisés, ou lavognes, pour permettre aux troupeaux de s’abreuver (Fages in Chassany et al., 2009).

Les Causses et les Cévennes sont témoin de l’évolution des représentations paysagères, plus encore que les Dômes, dans le sens où ils ont été sujets à un revirement total de représentation en ce qui concerne l’activité agricole et sylvicole par la population locale et extérieure au territoire dans les années 1980. Les Causses ayant atteint un pic d’occupation dans la seconde moitié du XIXe siècle, ils sont largement surexploités, tout comme les Dômes à cette même période. L’agropastoralisme est observé d’un œil accusateur puisque sa pratique intensive érode les hauts plateaux et empêche le retour d’une forêt exploitable. Cette image du désert steppique reste imprégnée d’une connotation négative durant plus de la moitié du XXe siècle et la déprise agricole aggravée par les deux guerres successives combinée à la révolution agricole, encourage l’État à relancer la filière bois sur le territoire (Lepart et Marty,

in Chassany et al., 2009). Les Causses et les Cévennes se voient investis par des programmes de reforestation qui, dans un lieu imprégné par l’histoire de la résistance camisarde, nécessite la présence de forestiers du pays. L’exemple du retour du couvert forestier sur l’Aigoual grâce aux actions de Fabre au début du XXe siècle est probant. Ce fils du pays était convaincu des

avantages paysagers et économiques liés au retour de la forêt et aux créations d’emplois entraînées par les chantiers d’aménagement découlant de l’activité sylvicole (Larrère, 1995). Dans les années 1970, le regard sur l’activité agropastorale évolue, notamment dans le monde de la recherche, où l’on commence à reconnaître l’impact positif de telles pratiques d’élevage sur l’entretien, voire le développement d’une biodiversité associée aux landes, aux prairies et aux lisières. L’agriculture prend une tournure symbolique dans les années 1968 et les Causses sont le siège d’une lutte pour le maintien et le développement de cette activité, notamment lors de la médiatique lutte contre l’extension des terres militaires du Larzac, entre 1971 et 1981 (Badan, 2010 ; Rouaud, 2011). Enfin, le Parc national des Cévennes, bien que difficilement accepté par la population locale à ses débuts, a affermi sa position en maintenant une activité agropastorale et en réduisant les programmes de reforestation pour garder un milieu ouvert et riche en biodiversité. Avec l’évolution spontanée des ligneux sur les Causses et les Cévennes, le maintien des paysages ouverts devient une priorité dans les années 1990, car il contribue de manière active à la diversité biologique et offre un aspect paysager non négligeable. Le paysage agropastoral méditerranéen sera d’ailleurs reconnu en tant que bien à valeur universelle au patrimoine mondial de l’Unesco en 2011, renforçant la place de l’activité agropastorale dans les représentations de la population et leur reconnaissance officielle par les institutions. La cohabitation entre les deux systèmes, la forêt et les brebis, est prise en compte de manière équilibrée, après un siècle de combat entre ces deux représentations (Lepart et Marty, in

Chassany et al., 2009 ; Unesco, 2011a).

En Lozère comme dans l’Aveyron, l’agriculture a vécu la déprise. Bien que certains territoires aient été moins touchés que d’autres, comme le Causse Méjean, le nombre d’exploitations agricoles a diminué d’en moyenne 60 % entre le recensement de 1970 et celui de 2000 (Lhuillier et Osty in

Chassany et al., 2009). Pourtant, l’élevage ovin ne disparaît pas, loin de là. La récupération, par les agriculteurs encore présents, des surfaces des exploitations cessant leur activité permet à ces derniers d’augmenter le chargement ovin sur leur exploitation (Pailleux et Dedieu, 2010). Pour se développer, la filière ovin-viande est entrée dans une logique de labellisation qui a permis de protéger la production locale. Ainsi, nous observons l’émergence et la dynamique d’une multitude de labels tels que l’agneau fermier du Pays d’Oc, l’association « de Lozère », la production de viande et de lait sous différents labels biologiques (AB, Nature et Progrès…), la production ovine sous label rouge… (Lamine et al., 2009)

Dans les Cévennes, la production d’agneau semble résister. Même la brucellose, ayant également touché cette partie du Massif central, n’a pas semblé ébranler l’évolution de l’élevage. Celui-ci est loin d’être figé dans le temps, notamment au vu de l’évolution des techniques liées aux systèmes de production. Nous pouvons dire qu’il semble avoir respecté l’évolution de la dynamique dans laquelle il était déjà engagé au XIXe siècle, tout en observant l’émergence d’un type d’élevage annexe au début du XXe siècle, la production laitière apparue dans les Causses.

b) Système laitier

Sur les Causses et une partie des Cévennes, le second système d’élevage qui s’est affirmé est le système laitier Roquefort, développé et reconnu dans le courant des années 1920. S’il est possible d’observer une régression de l’activité agricole sur les terres des Causses entre 1925 et 1955, symbolisée, sur le Larzac, par la perte de 46 % du cheptel ovin en l’espace de trente ans, il faut tout de même noter une stabilisation, voire une légère augmentation (7 %) du nombre de têtes de brebis

entre 1955 et 2010. Cette stabilisation montre bien un maintien de l’activité d’élevage dans cette partie de la France (Figure 10 et Figure 11).

Les années 1930 ont vu émerger le système de production laitier Roquefort tel qu’on le connaît encore actuellement, un système de production industriel qui a vécu un essor considérable en alliant modernité de production et valorisation du produit (Rieutort, 1995 p.359-374). En 1965, l’influence des caves de Roquefort sur l’évolution des pratiques d’élevage ovin dans son rayon d’action était puissante. La production laitière éveillait bien plus l’intérêt des agriculteurs dans cette partie des Causses que l’élevage viande. L’impact majeur au niveau du fonctionnement des exploitations agricoles fut la sédentarisation des troupeaux dans les parcelles autour de l’exploitation et l’abandon progressif des parcours trop éloignés.

La présence de Roquefort dans les systèmes d’élevage s’observe, notamment, dans la zone de collecte du lait, par une augmentation du rendement des brebis – et, ce, dès 1930 avec les premières machines à traire les brebis par Robert Fleury – via la machinerie et les techniques de traite en « arête de poisson ». D’autres évolutions marquantes se développent dans les fermes d’expérimentation, telles que la monte des brebis par lot à l’aide d’un parc de triage spécifique, l’alimentation complémentée en faveur de la reproduction dessaisonnée et, surtout, la tentative d’amélioration progressive de la qualité des cultures fourragères au niveau des prairies naturelles avec un apport de fétuque, associée à de la luzerne ou du lotier (Bosc, 1962 et 1966). Le développement de Roquefort va de pair avec le développement de nouvelles pratiques qui viennent renforcer les connaissances liées à l’élevage ovin, alors que les Dômes voient disparaître les leurs. Les Causses et les Cévennes deviennent, avec la bande méditerranéenne, un conservatoire des connaissances liées à l’élevage ovin, connaissances qui transiteront par l’intermédiaire des bergers.

La mise en place de l’appellation Roquefort, dès 1925, conforte le système de production ovin laitier à la zone de production Roquefort (Figure 12). En 1933, La production ovine française rassemble près de 60 % des brebis lait dans le rayon Roquefort avec 5 % directement associés au Causse du Larzac (Rieutort, 1995). Les agneaux de ces exploitations, qui ne sont pas conservés pour la pérennité du troupeau, doivent être valorisés. À cette production laitière peut-être associée une production d’agneau viande en voie d’extension avec plus de 63 000 têtes en 2010 sur les quatre cantons délimitant le causse du Larzac, contre 59 000 il y a une soixantaine d’année (Figure 10 et Figure 11). Actuellement, le cheptel ovin est spécialisé dans la race laitière Lacaune, présente jusqu’à 80 % sur les exploitations inscrites dans le rayon Roquefort, pour des exploitations qui possèdent en moyenne 258 brebis pour une production d’environ 70 500 litres par exploitation (Morin et al., 2004).

Figure 10 : État et évolution de la SAU moyenne entre 2000 et 2010 Etat des exploitations avec brebis en 2010

Source : Institut de l’élevage et GEB, 2013

Figure 11 : Évolution du cheptel ovin dans quatre cantons des causses

Sources : années 1812 et 1950 d'après P. Marres ; année 1925 d'après le docteur Puech ; 1955 d'après l'enquête agricole départementale (in Fel, 1962) 2010 d’après le recensement agricole 2010

Figure 12 : Étendue de la Zone Roquefort

Source : Frayssignes, 2007

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