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DE PENSEE ET DE COMMUNICATION

A. Place du collectif dans la société 1) Travail collectif, une vision évolutive

4) Les groupes perçoivent leur environnement : construction des représentations collectives

En 1978, dans son ouvrage La voix et le regard, lorsque Touraine définit le collectif, il prend soin de distinguer l’association – ou le groupe – du mouvement. D’un côté, il serait effectivement dangereux de « confondre un mouvement ou même une lutte avec ses formes d’organisation » (Touraine, 1978) ; d’un autre côté, chaque groupe entretient un lot de représentations qui constituent des points d’appui lorsque des individus sont amenés à argumenter autour d’un sujet de société (Figure 16).

Dans le cas où un projet visant à l’aménagement d’une maison de berger dans un espace collectif de montagne est proposé par une institution, nous observons une émulation collective autour de laquelle de nombreux groupes exposent leur point de vue. Lors de la co-construction du projet, les individus organisés en groupes se rattachent à une représentation particulière du paysage. Pour un seul paysage, il y a donc plusieurs angles de lecture qui constituent des représentations exprimées différemment par chaque groupe. Toutes ces représentations forment un degré de vérité « immuable », qui est exprimé par des individus au sein de ces groupes. Cependant, si ces représentations sont échangées entre les groupes, les individus d’un groupe peuvent être influencés par les points de vue exprimés par d’autres groupes extérieurs. Cette influence indirecte s'apparente au concept d'influence minoritaire défini par Moscovici dans sa description du fonctionnement interne d'un groupe (Moscovici et al., 1984).

En extrapolant le concept d'influence minoritaire dans le fonctionnement d'un groupe, nous considérons qu'un groupe extérieur A est capable non seulement d'exprimer la représentation qu'il se fait d'un objet à un autre groupe B, mais que ce groupe est également capable d'influencer, par le simple fait d'avoir pu transmettre son point de vue, la manière dont l'autre groupe B va construire sa propre représentation de l'objet en question. Cette influence ne vise pas à transformer la configuration du groupe B qui entend la représentation du groupe extérieur A. Simplement, le groupe A qui émet sa représentation peut alors amener l'autre groupe B à reconsidérer tout ou partie de la représentation qu'il s'est construite autour de l'objet. En fonction de l'importance que va donner le groupe B à l'information qu'il a reçu du groupe A, il est possible que cette idée suive un processus d'intégration dans le noyau figuratif du groupe B pour finir par influencer la configuration du noyau de ce groupe. La transformation du noyau figuratif aurait alors une répercussion sur l'organisation totale du groupe, ou sur sa conformation (Guimond, 2010).

Figure 16 : Construction et expression des représentations collectives

Dans l’exemple précédent, le projet d’aménagement d’une maison de berger dans un espace collectif de montagne peut entrainer une émulation collective autour des problématiques forestières, patrimoniales, d’élevage et de tourisme. D'un côté, les groupes impliqués dans le projet discuteraient la construction de la maison en faisant valoir les différentes représentations collectives de chaque groupe pour chacune des problématiques associées à la présence d'une maison de berger dans le paysage. D’un autre côté, ces échanges pourraient entraîner une évolution progressive des représentations que chaque groupe possède au sujet de l’élevage, de la forêt, du tourisme et du patrimoine. Dans ce cas, l’installation d’une maison de berger constitue donc une occasion, pour chaque groupe, par l’intermédiaire de leur représentant, d’exposer une représentation plus globale au sujet du paysage et d’argumenter leur positionnement face aux autres groupes intéressés par ce projet. Au final, chaque groupe repart alors enrichi des représentations des autres. Cet enrichissement peut constituer la base de nouvelles idées pour faire évoluer la représentation collective d’un groupe particulièrement touché par ces nouveaux arguments ou, au contraire, pour conforter la position d’un groupe au sujet de sa propre représentation.

La psychologie sociale, depuis Moscovici, a décortiqué ce genre de comportement grâce au concept de représentation sociale, dont plusieurs définitions ont vu le jour depuis plus d’un demi-siècle. Le souci de complémentarité de ces définitions fait du concept de représentation sociale un concept stable et repris dans de nombreuses disciplines des sciences humaines et sociales. Sans se plonger dans toute l’histoire de cette notion, il nous semble important de revenir sur deux des quatre grandes orientations théoriques de ce thème, puisqu’elles nous permettent d’illustrer notre approche de la construction des représentations d’un groupe. En premier lieu, l’« approche sociogénétique », proposée par Moscovici, décrit les deux processus qui interviennent dans la construction de la représentation sociale dans un groupe. En second lieu, les travaux de Abric et Flament au sujet de la représentation sociale vont affiner la théorie de Moscovici en intégrant l’« approche structurale » (Moliner et Guimelli, 2015). Enfin, l’utilisation de ce concept en géographie nous demande de l’adapter à différentes échelles, sur des territoires variés. Dans une dernière partie, nous justifions donc notre préférence pour l’utilisation de la notion de « représentation collective »plutôt que de celle de représentation sociale.

a) Modèle sociogénétique de la représentation

Moscovici est le précurseur de la représentation sociale. Il décrit sa théorie à partir du modèle sociogénétique de la représentation sociale dès 1961 lors d’une étude sur les différentes manières dont le public se représentait la psychologie (Moliner et Guimelli, 2015). Cette théorie pose les bases d’un processus de genèse des représentations sociales qui sont ensuite reprises dans un ouvrage collectif différenciant les représentations sociales des représentations collectives (Moscovici et al., 1984). Jodelet propose une définition de la représentation sociale comme :

« une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus manifestent l’opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale. Les représentations sociales sont des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l’environnement social, matériel et idéel »(Jodelet, In Moscovici et al., 1984, p. 367).

La construction d’une représentation configure la réaction de groupes d’individus autour d’un contenu, symbolisé par un objet nouveau. Cet objet peut être défini par une situation nouvelle, par

un élément inconnu ou encore par un environnement nouveau. Face à une crise, révélant aux individus de nouvelles données jusque-là encore inconnues, les individus seraient amenés à échanger « des informations, des croyances, des hypothèses ou des spéculations aboutissant à l’émergence de positions majoritaires dans les différents groupes sociaux » (Moliner et Guimelli, 2015, p. 22) afin de pouvoir comprendre ces données, de les intégrer et ainsi de se positionner sur le type de réaction à engager en réponse à la crise.

Il est possible de comparer la réaction du groupe à celle d'un individu. Les deux tentent de se construire une réalité avec les informations dont ils disposent autour d’eux. L’individu utilise ses sens pour nourrir la perception qu’il a de son environnement, alors que le groupe utilise des individus pour nourrir une réalité commune autour d’un environnement donné. Les informations échangées le seraient dans la perspective de simplifier la réalité afin que les individus d'un groupe puissent tous comprendre et adhérer à cette nouvelle réalité. Dans ce sens, chaque type d’information est spécifique à chaque groupe social puisque chaque groupe social se focalise sur un aspect de l’information et non sur la réalité globale (Guimond, 2010).

Pour qu'un groupe puisse construire une réalité à partir des informations qu'il sélectionne et simplifie, les individus du groupe passent par deux processus d'analyse et d'acceptation collective de l'information : le processus d’objectivation et le processus d’ancrage. L’un traite de la simplification des éléments de description d’un objet par les membres d’un groupe social alors que l’autre s’attarde sur l’intégration de ces éléments dans le système de pensée du groupe (Figure 17).

b) Objectivation et ancrage

L’objectivation d’un objet correspond à la manière dont un groupe considère les différentes informations qui lui sont relatives afin qu’elles soient les plus adaptées à celui-ci. Les individus du groupe sélectionnent les informations relatives à l'objet et les simplifient en fonction des critères culturels et normatifs du groupe. Les bribes d'informations ainsi sélectionnées forment le noyau figuratif de l’objet. L’objet est schématisé au travers du noyau figuratif d’un groupe, qui conserve uniquement ce qui lui fait sens.

Le noyau figuratif est donc une sélection d'informations au sujet de l'objet répondant aux critères culturels et normatifs du groupe. Dans cette optique, un individu extérieur au groupe mais qui connaît le noyau figuratif, est alors capable de déceler la représentation que ce groupe se fait à propos de l’objet en question.

Au niveau du groupe, l'objet n'est qu'une partie de la réalité. Pourtant, les éléments qui le décrivent et qui sont sélectionnés par le groupe constituent pour ce dernier la vérité autour de celui-ci. Quand bien même cette vérité n’est qu’une facette de la réalité, elle est acceptée par le groupe puisqu’elle constitue un élément de réponse aux besoins de ses membres (Guimond, 2010). Les individus organisent leurs discours en fonction de cette vérité. Dans le cas d’un système où plusieurs groupes interagissent, il est logique de considérer autant de noyaux centraux que de groupes exerçant un regard sur l’objet, puisque chaque groupe objective l’objet sous des facettes différentes. Décrire l'objet demande donc de prendre en considération autant de réalités de l’objet en question qu'il existe de groupes exerçant une représentation sur celui-ci. Aucune des réalités d’un groupe n'est plus objective que celles d’un autre.

Pourtant, le point de vue de chaque groupe vis-à-vis de l’objet constitue une vérité et une seule pour lui-même. Cette vérité se fonde sur une objectivation de l’objet intégrant l’utilisation, la représentation et la construction collective de ce dernier par les membres du groupe. Ces derniers adhèrent donc à cette vérité plutôt qu’à une autre vérité appartenant à un autre groupe. Le phénomène d’ancrage peut faire en sorte que les membres du groupe finissent par considérer leur vérité autour de l’objet comme prioritaire par rapport à celles exprimées par les autres groupes. Cette focalisation peut être responsable du besoin d’imposer son point de vue face aux autres, notamment lors de la mise en place d'un projet visant à développer ou à exercer une transformation sur l'objet. Si les groupes n’engagent pas un processus de communication ou de co-construction du projet visant à modifier l’objet, alors les divergences d’opinions collectives sur l’objet peuvent devenir une source de tensions qui, à terme, peuvent se transformer en conflit. Chacune des sources de tension représente alors autant d'arguments qu'il est nécessaire de prendre en compte pour que la réalisation du projet soit optimale.

Figure 17 : Objectivation et ancrage des individus quant à la représentation de l'objet de leur groupe

Source : X. Badan, 2014

Dans notre cas, le paysage agricole de la chaîne des Puys ou encore celui des Causses et des Cévennes représente l’objet de notre représentation. La construction d'une maison de berger

constitue l'action collective qui vise à transformer l'objet. Le premier groupe, symbolisé par la coopérative de gestion des estives locales, n'a pas le même point de vue au sujet de cette action que le second groupe, représenté par l’association de randonneurs. Pour le premier, la maison de berger exerce principalement un impact sur la qualité de vie et de travail du berger alors que, pour le second, la maison de berger exerce plutôt un impact d'ordre paysager, puisque ce paysage est traversé par un sentier de randonnée. Il en est de même pour le Conseil départemental, qui voit dans ce projet un impact patrimonial et touristique. Si ces groupes sont amenés à se réunir autour d’une table, chacun considérera sa vision au sujet de la maison de berger comme étant une facette prioritaire de l'objet.

La vérité au sujet d’un objet possède donc autant de facettes différentes qu’il existe de groupes exerçant une représentation à son sujet. Ces différents points de vue transitent par un réseau pour être hiérarchisés par chaque groupe en fonction des connaissances déjà existantes en son sein. Chaque groupe interprète l’objet en fonction de ses propres connaissances. Cette interprétation contribue à construire l’identité du groupe par l’inclusion de l’objet dans son système de pensée collective. Le processus d’inclusion est défini comme le processus d’ancrage(Guimond, 2010). Un collectif développe un noyau figuratif autour d'un objet par effet d'objectivation et d'ancrage. Cependant, un collectif reste un rassemblement d'individus. Et si chaque individu possède la capacité de remettre en question tout le noyau figuratif, l’existence même des groupes nous indique que ces derniers maintiennent la représentation collective du groupe même si cette dernière ne répond pas entièrement à la perception qu’ils se font de l’objet. Les individus se conforment à l’image collective véhiculée par leur groupe d’appartenance.

5) Adhésion des acteurs à une représentation collective ou « effet de

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