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DE PENSEE ET DE COMMUNICATION

E. Acteurs et réseaux en géographie rurale

3) Impact des liens de proximité sur l’organisation des acteurs : les communautés de pratique

Les effets de proximité spatiale au niveau des relations entre acteurs collectifs, ou « organisations », reposent sur un postulat de départ qui admet simplement que « les relations entre les organisations sont sensibles à la proximité spatiale » (Grossetti, 2000, p. 2).

À partir de ce constat, différentes questions se posent en ce qui concerne les logiques qui régissent la construction de ces relations. Elles peuvent se situer sur l’échelle individuelle, d’une part, et sur l’échelle collective, d’autre part. Si ce sont bien les organisations qui établissent un contact entre elles au travers d’un réseau dans lequel transitent des informations, les contacts sont entrepris, codifiés et manipulés par des individus appartenant, ou non, à ces organisations. L’individu est alors considéré comme un embranchement de l’organisation à laquelle il appartient. Quelles que soient les situations auxquelles il est confronté, il a la capacité d’en tirer un intérêt pour le développement de son organisation d’appartenance. Dans ce contexte, la distinction entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle est supprimée, pour faire place à une individualité collective.

a) Entre individus et collectifs : une histoire de liens

« Toute relation entre organisations implique des échanges entre individus et peut générer des relations individuelles. » (Grossetti, 2000, p. 9).

Au travers de cette observation, Grossetti annonce que la coopération entre deux institutions se fait par l’intermédiaire des relations qu’établissent les acteurs individuels de ces mêmes institutions. Le degré de force des relations répond à la définition établie par Granovetter en partant des « liens faibles », ou simple « repérage réciproque par le nom et divers attributs » (Grossetti, 2000, p. 9), jusqu’aux liens forts si les relations de même type tendent à se répéter de manière récurrente. Le lien fort devient alors une sorte de « lien d’amitié », lien qui sort du contexte simplement professionnel. La différence entre la théorie des liens forts et faibles de Granovetter et les effets de proximité se situe au niveau de l’influence de la proximité, sociale ou géographique, sur la tendance à faire émerger des liens forts. La proximité permet aux acteurs de partager des pratiques. Et, de fait, ce partage leur permet « de développer des capacités importantes d'acquisition de connaissances implicites, c'est-à-dire des capacités de compréhension et d'interprétation grâce à l'expérience d'utilisation des concepts pertinents » (Ferrary et Dibiaggio, 2003, p. 114).

Si les acteurs appartenant à des organisations différentes construisent ensemble des capacités d’acquisition de connaissance, ils sont capables, en donnant un sens commun à un objet, de développer une problématique commune qui favorise la construction de projets. Le sens commun porté sur un objet est vecteur de la création d’une identité sociale collective qui contribue, en retour, à la création de sens communs autour de l’objet. C’est le cas des grappes d’entreprises qui valorisent des ressources communes de manière complémentaires dans le cadre d’un logique d’« identité entrepreneuriale » dans des réseaux de firmes, que ce soit dans des logiques d’évolution de pratiques agricoles ou d’aménagement paysager (Grossetti, 2000 ; Compagnone, 2014 ; Ferrary et Dibiaggio, 2003 ; Demeulenaere et Goulet, 2012).

La communauté de pratiques devient un espace, réel – au travers d’un lieu spécialement dédié à la rencontre – ou plus communément social – par l’intermédiaire de communautés sociales – dans lequel les individus vont pouvoir confronter leurs idées dans un contexte purement productif, où la force des liens entre acteurs réduit considérablement l’émergence d’un conflit qui ferait suite à une divergence d’opinion. Les individus se rassemblent pour créer et, dans un cas conflictuel, pour trouver une solution commune à un problème. Dans cette logique, la communauté de pratiques fait office de ce que l’on pourrait normalement appeler un espace de médiation. Cependant, la médiation impliquant un acteur tiers, ne tirant aucun intérêt de la situation conflictuelle, il est plus logique de parler ici d’un foyer d’« acteurs vecteurs » des opinions de leur organisation.

b) Effets de proximité et communauté de pratiques : définition

Dibiaggio et Ferrary s’inspirent de Wenger et de son équipe pour définir les communautés de pratiques. Elles sont « des groupes d'individus partageant le même intérêt, le même ensemble de problèmes, ou une passion autour d'un thème spécifique et qui approfondissent leur connaissance et leur expertise en interagissant régulièrement » (Ferrary et Dibiaggio, 2003, p. 113).

En considérant que l’interaction entre les groupes d’individus au sein d’une communauté de pratiques peut être influencée par leur proximité, le terme de communauté de pratiques est étroitement lié aux effets de proximité. Dans cette optique, Grossetti distingue quatre types d’effets de proximité :

La proximité spatiale économique, où l’espace est perçu comme une entité dans laquelle il existe des liens informels qui permettent de réduire les coûts de transaction sur une ressource commune.

La proximité informationnelle. La proximité relationnelle.

La proximité à « double encastrement dynamique ».

La proximité relationnelle suppose que la proximité spatiale entre les organisations facilite la mise en place d’un système de confiance qui leur permet, en plus de faciliter la reconnaissance mutuelle, d’anticiper les comportements de chacun lorsque l’environnement commun traverse une période de crise. Cette proximité tient compte du fait que « les organisations sont encastrées dans les systèmes de relations entre individus » (Grossetti, 2000, p. 5).

Le double encastrement dynamique est centré sur la construction en amont des différents types de relations entre les individus. Ce point de vue permet de « mettre en évidence l’importance des activités de routine et des formes collectives qui leurs sont associées (famille, école, entreprise, etc.) dans le processus de création des relations personnelles » (Grossetti, 2000, p. 4).

Que ce soit sous l’effet de proximité ou au niveau des communautés de pratique, il s’agit de mettre en avant des groupes d’individus qui développent tous des relations fortes, ou des liens forts. Cependant, la richesse des informations véhiculées dans ces communautés n’est pas associée aux liens forts, où l’on retrouve toujours le même type d’informations. Mais elle est attribuée aux liens faibles développés entre différentes communautés de pratiques, liens faibles entretenus par des trous structuraux.

c) Le trou structural, élément fondateur de la logique des communautés de pratiques

Dans un système mettant en réseau plusieurs organisations, il est démontré que les organisations entretenant des liens forts partagent plus facilement et plus rapidement des informations sur leur environnement direct. Pour autant, l’efficacité d’un groupe d’organisations de ce type n’est pas forcément plus élevée que des organisations entretenant des liens faibles entre elles. C’est d’ailleurs le résultat inverse que Granovetter présente dans sa recherche sur la force des liens faibles (Granovetter, 1983). Il démontre que, dans des réseaux de liens faibles, la vitesse et la richesse de l’information véhiculée à l’intérieur du réseau sont plus élevées que dans des réseaux aux liens forts, puisque ces réseaux sont constitués d’individus évoluant dans des cercles sociaux différents, et permettent donc de construire une information riche de perspectives différentes. Cette observation

est transposable à l’échelle des organisations où la richesse des échanges est plus grande lorsque deux groupes d’organisations distincts communiquent entre eux par des liens faibles (un groupe est constitué d’acteurs collectifs reliés entre eux par des liens forts. Il forme une « clique »). Comme ces deux cliques ne possèdent pas de liens forts, il y a un « trou structural » entre les deux. En revanche, lorsqu’il y a connexion entre les deux cliques au travers d’un lien faible, on dit qu’ils sont reliés par un « pont ». C’est ce pont qui est « fortement valorisable en ce qu'il est générateur de variété informationnelle dans chaque groupe » (Ferrary et Dibiaggio, 2003, p. 120). Dans ce sens, les acteurs responsables de la mise en place du pont deviennent des acteurs essentiels au sein du réseau. De plus, s’il existe un grand nombre de communautés de pratiques (où chacune forme une clique distincte et autonome), il existe un grand nombre de trous structuraux et donc une grande capacité à établir des ponts entre eux… à condition que la mise en place et l’entretien du pont soient valorisables par les acteurs qui les portent.

Ferrary et Dibiaggio (2003) déterminent trois conditions nécessaires pour qu’un pont soit établi et entretenu entre deux cliques :

il est nécessaire que les deux cliques tirent un bénéfice mutuel de la mise en place d’un pont ;

il est nécessaire qu’un acteur reconnaisse le potentiel du lien faible et s’investisse pour le porter et l’entretenir dans le temps ;

pour retirer l’effet aléatoire de la mise en place d’un pont entre deux cliques, il doit exister un acteur « encastré » dans la clique, une sorte de communauté de pratiques à l’intérieur de la clique en question. Il peut s’agir d’une « communauté ethnique, religieuse, être membre d'un réseau d'anciens d'une grande école ou d'une grande entreprise », ce qui donne aux institutions une importance considérable « dans la dynamique d’interactions sociales de création de liens faibles » (Ferrary et Dibiaggio, 2003, p. 121).

Le type de lien, fort ou faible, est dynamique dans le temps en fonction de la mobilité sociale de l’acteur (changement de statut professionnel ; évolution de la condition familiale ; modification du centre d’intérêt…), mais surtout en fonction de la mobilité géographique (Grossetti, 2000 ; Ferrary et Dibiaggio, 2003). Un acteur qui change de lieu s’inscrit dans un nouveau réseau et devient potentiellement un élément capable d’établir un pont entre le réseau précédent et le réseau actuel.

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