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SECTION II. L’adaptation des principes directeurs du procès à l’instance du juge- juge-commissaire

A. La notion du principe du contradictoire

131. Historique de la contradiction. « On donne raison au premier qui plaide, que survienne son

adversaire, il le démasque »516. La tradition attribue ce proverbe au roi Salomon, symbole de la justice

512 Révélant la « quintessence du procès civil », les principes directeurs s’appliquent par principe devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire (qu’elles statuent en matière civile, commerciale, sociale, rurale ou prud’homale).

513 La répartition ne fut pas remise en cause par la réforme de la procédure civile. Sur cette question, HERON (J.), « Réflexions sur le décret n°98-1231 du 28 décembre 1998 modifiant le code de l’organisation judiciaire et le Nouveau code de procédure civile », op. cit, p. 80.

514 Sur les atteintes au principe du contradictoire engendrées par la procédure orale et notamment sur l’impossibilité de connaître en temps utile les moyens de l’adversaire, v. BOCCARA (B.), op. cit, n°192 et suivants.

515 HÉBRAUD (P.), obs. RTD civ 1956, 389, cité in WIEDERKEHR (G.), « Le principe du contradictoire (à propos du décret n°73-1122 du 17 décembre 1973) », D. 1974, 97.

516 La Bible, Pr. 18 : 17, Traduction de l’École biblique de Jérusalem, Paris, Desclée de Brouwer, 1973, cité in ASCENSI (L.), Du principe de la contradiction, Thèse, Bibliothèque de Droit privé, Tome 454, LGDJ, 2006, p. 1 – V. aussi la traduction proposée par le doyen Carbonnier : « Le premier qui parle dans sa cause paît juste ; vient sa partie adverse et on

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dans l’imagerie populaire. Le « Grand roi » est le symbole de la contradiction. C’est encore le principe du contradictoire qui a été mis en scène dans Le Jugement de Salomon, peint par Poussin517. Cette œuvre s’inspire d’un épisode du Livre des Rois518, où en l’espèce deux jeunes mères se disputent devant le Roi Salomon. Un enfant est mort étouffé pendant la nuit précédente et chacune a déclaré être la mère du seul enfant survivant, tout en accusant l’autre de chercher à s’approprier son fils. Le roi Salomon a ordonné de couper l’enfant en deux pour le partager entre les deux femmes. L’une a accepté, l’autre n’a pu supporter cette sentence et a préféré que l’enfant vivant soit laissé à l’autre mère. Sa réaction a éclairé le roi Salomon, qui a ordonné que l’enfant lui soit rendu car il a reconnu en elle la véritable mère. Dans son œuvre, Poussin a représenté les deux femmes placées de part et d’autre de la scène et à égale distance du Roi Salomon au centre du tableau. Le Roi ne peut entendre le « oui sans le non, et le non sans le oui »519.

132. Définition du principe du contradictoire. L’attendu solennel de la Cour de

cassation rendu dans son arrêt du 7 mai 1828520 indiquait que « La défense est un droit naturel, personne

ne doit être condamné sans avoir été interpellé et mis en demeure de se défendre ». Au XIXe siècle, l’adage

impératif pour le juge : audi alteram partem (entend l’autre partie) apparaît. Cette formule de « droit naturel » a été reprise par suite par Motulsky521. Puis, le Conseil constitutionnel a porté le principe au rang de règle ayant « valeur constitutionnelle »522. Le principe du contradictoire est un principe intrinsèquement fondamental et fait partie de ce « fonds commun processuel »523 favorisé par

517 POUSSIN, Le jugement de Salomon, Paris, Musée du Louvre, 1649.

518 Livre des Rois, I, 3, 16-28 « Tout Israël apprit le jugement qu’avait rendu le roi et ils révérèrent le roi car ils virent qu’il

y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice. ».

519 VARAUT (J.-M.), Le droit au droit, Pour un libéralisme institutionnel, Paris, PUF, Coll. « Libre échange », 1986, p. 134.

520 Cass. Civ. 7 mai 1828, S. 1828, 1, 93.

521 MOTULSKY (H.), « Droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des Droits de la défense en procédure civile », in Mélanges Roubier, tome II, p.175.

522 Cons. Constit., 28 juillet 1989, Revue fr. dr. adm., 1989, p. 683 – Il n’y a pas lieu de revenir sur la querelle doctrinale entre le fait de parler du principe du contradictoire plutôt que de celui de la contradiction : MINIATO (L.), « La « consécration » du principe du contradictoire par le décret du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile », D. 2005, p. 308 – Du même auteur, « Le principe du contradictoire : nouveau principe directeur du procès ? (à propos du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat) », D. 2005, p. 2537), V. ASCENSI (L.), Du principe de la contradiction, Thèse, préface de L. Cadiet, Paris, LGDJ, 2006, spéc. p. 2, note 9 ; FRISON-ROCHE (M.-A.), Généralités sur le principe du contradictoire (droit processuel), Thèse Paris II, 1988, spéc. p. 343 : « le droit organise non la contradiction, mais le contradictoire… En effet, seule une partie peut, grâce au contradictoire qui lui en

assure la possibilité concrète et la puissance, apporter la contradiction qui meut le procès. Il s’agit de la même opération, mais d’abord à l’état de puissance, puis à l’état d’acte ». M. L. CADIET a affirmé également que « le code n’érige en principe que la nécessité de la contradiction, du contradictoire devrait-on plutôt dire car, même si la partie n’a pas été effectivement entendue dans ses demandes ou ses défenses, l’essentielle est qu’elle ait été en mesure de le faire : « entendue ou appelée » ; ce qui compte est moins la réalité de la contradiction que la possibilité même de contredire », in CADIET (L.), avec JEULAND (E.), Droit judiciaire privé, Litec, 4e éd., 2004, n°664, p. 375.

523 GUINCHARD (S.) et al, Droit processuel – Droit commun et droit comparé du procès équitable, 4e éd. Dalloz, 2006, n°6, p. 19.

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l’influence des garanties du procès équitable. Dans notre droit positif, ce caractère fondamental a donné lieu à une succession de consécrations textuelles524 conduisant à une certaine confusion. Toute personne doit être informée clairement et régulièrement du procès qui lui est intenté. La partie doit disposer du temps nécessaire pour préparer une contestation efficace, cette exigence est commune à toutes les parties. Le contradictoire influence le « tempo » de la procédure de trois façons525. Il convient que la partie connaisse le temps qu’il lui reste avant l’ouverture du débat et sa clôture. Mais aussi que ce laps de temps soit suffisant, afin que le temps qu’il contient soit utile ; et qu’enfin, il existe un terme au-delà duquel l’échange est clos et qu’aucun élément ne peut plus être avancé par une partie, faute pour l’autre de ne pouvoir y répondre.

133. Fonctions du principe du contradictoire. La première fonction du principe du

contradictoire consiste à assurer la défense des parties. La seconde dépasse le cadre des intérêts en présence puisqu’il est un moyen de parvenir à une solution qui s’ajuste au plus près de la vérité du litige. En ce sens, il dépasse les intérêts des protagonistes et relève de l’État de droit. « La

contradiction, associée au débat judiciaire, soutenue par l’égalité des armes et articulée avec les droits de la défense, est l’expression de l’État de droit puisqu’elle oblige le juge à prendre en considération les arguments de tous »526. Cette recherche de solution explique que le principe du contradictoire dépasse l’enceinte du procès. « La

vertu du rôle que joue le contradictoire dans le procès favorise sa diffusion hors la sphère du procès pour innerver, en vérité, l’ensemble du droit »527, d’où son application à l’ensemble de modes des règlements des litiges. Cependant, pour certains auteurs528, le contradictoire doit être limité aux « procédures d’élaboration des

décisions individuelles de résolution des litiges, eux-mêmes entendus comme des situations de divergences d’intérêts juridiquement relevantes ». Cette tendance à l’extension du contradictoire est liée au phénomène de

procéduralisation du droit et plus largement, de l’espace public. Il implique la présence des parties, l’échange et le dialogue. L’éthique de la discussion suppose un contradictoire de qualité529. Mais il

524 Articles 14 à 17 du code de procédure civile ; article préliminaire du code de procédure pénale, article 427 alinéa 2 du code de procédure pénale (tribunal correctionnel) et sur renvoi, tribunal de police (article 536 du code de procédure pénale) et cour d’appel (article 512 du code de procédure pénale).

525 FRISON-ROCHE (M.-A.), Généralités sur le principe du contradictoire (Droit processuel), Thèse (Dact.), Université Paris II, 1988, p. 304 ; MINIATO (L.), Le principe du contradictoire en droit processuel, Thèse, préface de B. Beignier, Bibliothèque de droit privé, tome 483, LGDJ, 2008, p. 2 ; CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Assoc. H. Capitant, PUF, 11e éd., 2016, V. « contradictoire » : le contradictoire est défini comme « une opération (judiciaire ou extrajudiciaire) à laquelle

tous les intéressés ont été mis à même de participer, même si certains n’y ont pas été effectivement présents ou représentés, mais à la condition que tous y aient été régulièrement convoqués de telle sorte que le résultat de cette opération leur est à tous opposable ».

526 FRISON-ROCHE (M.-A.), V° « Contradiction », in CADIET (L.) (dir.), Dictionnaire de la Justice, PUF, 2004.

527 CADIET (L.), V° « Contradictoire », in ALLAND (D.) et RIALS (S.) (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003.

528 ASCENSI (L.), Du principe de la contradiction, op. cit, n°97, p. 62, qui en exclut cependant ce qu’il nomme des « îlots d’inapplicabilité ».

529 HABERMAS (J.), L’éthique de la discussion, Flammarion, 1992, ou encore Droit et démocratie, Entre faits et

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véhicule des exigences techniques qui sont difficilement applicables en dehors du tribunal, le contradictoire devant se faire plus souple, plus malléable, à l’extérieur.