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L’encadrement de l’office juridictionnel du juge-commissaire dans les décisions rendues en matière de vérification de créances

SECTION I. L’exercice du pouvoir juridictionnel par le juge-commissaire

1. L’encadrement de l’office juridictionnel du juge-commissaire dans les décisions rendues en matière de vérification de créances

195. Une volonté jurisprudentielle accrue. La Cour de cassation n’a eu de cesse de

vérifier que le juge-commissaire n’aille pas au-delà de ce que le législateur lui a permis et a refusé d’étendre son pouvoir juridictionnel en réaffirmant à maintes reprises qu’il doit se restreindre à la

783 Cass. com, 5 novembre 2003, n°00-17773, inédit – Cass. com, 19 mai 2004, n°01-15741, inédit.

784 Cass. com, 7 juillet 2009, n°08-14147 : JurisData n°2009-049118 ; RPC Septembre-Octobre 2009, n°22, p. 9, Actualité jurisprudentielle 1er juillet-31 août 2009, obs. Petit ; GP 1er au 3 novembre 2009, p. 29, note Le Corre-Broly.

785 Par exemple, Cass. com, 28 janvier 2014, n°12-25008 ; JCP E 2014, 1103 – Cass. com, 11 février 2014, n°11-24148 ; Lettre d’actualité des procédures collectives civiles et commerciales mars 2014, alerte 85.

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« détermination de l’existence, du montant et de la nature de la créance »786. Dans un arrêt de 2008787, la Haute Cour a considéré que le juge-commissaire n’a pas le pouvoir juridictionnel de statuer sur la nullité du contrat de prêt et que la Cour d’appel avait par là même, dépassé ses pouvoirs. Elle a estimé qu’il est nécessaire d’agir en deux temps : saisir la juridiction compétente, afin qu’elle statue sur la nullité du contrat, puis admettre ou non la créance au passif de la procédure. Elle a rappelé régulièrement une distinction claire : le juge-commissaire ne statue que sur l’existence, le montant et les modalités de la créance. Il n’est pas compétent pour statuer sur la formation du contrat duquel la créance est née. Cette distinction imposée au juge-commissaire sera prescrite à la Cour d’appel qui ne pourra pas se saisir de l’entier litige et statuer sur la validité du contrat, sa compétence étant liée à celle du juge-commissaire. La Cour de cassation a rappelé que, lors de la procédure de vérification des créances788, le juge-commissaire peut prendre quatre décisions différentes789. Soit il admet la créance en tranchant une contestation qui relève de sa compétence ; soit il rejette la créance parce qu’il estime de sa compétence la contestation de cette créance. Mais il peut également constater qu’une procédure est en cours, ou bien que la contestation ne relève pas de sa compétence.

196. La constatation de l’existence d’une instance en cours. En présence d’une

instance en cours, le juge-commissaire doit constater l’existence d’une telle instance. Il n’a jamais à statuer sur la créance faisant l’objet de l’instance en cours, écartant de cette façon le prononcé du sursis à statuer790. La Cour d’appel de Nîmes a repris en 2013791 la décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation qui a décidé que l’instance en cours, à laquelle le débiteur est défendeur, enlève au juge-commissaire le pouvoir de décider de l’admission ou du rejet de la créance qui en fait l’objet792. Lorsqu’il constate qu’une instance est en cours, le pouvoir de statuer sur l’admission de cette créance discutée relève de la juridiction saisie et le juge-commissaire doit

786 Par exemple, Cass. com, 19 mai 2004, n°01-15741 : JurisData n°2004-023860.

787 Cass. com, 1er avril 2008, n°04-20346 : JurisData n°2008-043464 ; RPC Avril à Juin 2008, n°58, p. 53, note Gorrias.

788 Cass. com, 27 mai 2008, n°06-20483 : JurisData n°2008-044161 et n°06-20357 ; Procédures Juillet 2008, n°211, p. 21, note Rolland.

789 Article L.624-2 du code de commerce : « Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission ».

790 DELENEUVILLE (J.-M.), « Les limites de la compétence du juge-commissaire en matière d’admission des créances », RPC 1995, p. 393.

791 CA Nîmes, 2e ch. com, sect. B, 14 février 2013, n°11/03768 ; STAES (O.), « Instance en cours et pouvoir du juge-commissaire de statuer sur la créance », RPC mai 2014, comm. 61.

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se borner à la constater. Dans le cadre de l’article L.622-27 du code de commerce, le mandataire judiciaire discute tout ou partie d’une créance en avisant le créancier et en l’invitant à faire connaître ses explications dans le délai de trente jours. Or, le défaut de réponse dans le délai précité de ce dernier lui interdit toute contestation ultérieure de ladite proposition. Et ce, même si la Cour de cassation a encadré le domaine de cette sanction aux seules contestations portant sur la créance, refusant notamment de l’appliquer dans le cas précité793. Le juge-commissaire ne peut sans méconnaître l’article L.622-27 dudit code, rejeter la créance au motif que le créancier n’avait pas répondu dans le délai de trente jours à la proposition du mandataire de rejet de sa créance, en raison de l’existence de l’instance en cours. L’ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014 a modifié le domaine de la sanction du défaut de réponse du créancier dans le délai de trente jours, en ajoutant à l’article L.622-27 que le défaut de réponse dans ce délai interdit toute contestation ultérieure « à moins que la discussion ne porte sur la régularité de la déclaration de créances ». Cette adjonction a rendu caduque la jurisprudence qui a refusé d’appliquer cette sanction de toute contestation ultérieure à la proposition du mandataire judiciaire, au défaut de réponse du créancier à une demande de production de justificatifs de sa créance794. La modification de l’article L.622-27 ne doit pas remettre en cause l’exclusion de cette sanction lorsque la créance est contestée « pour instance en cours », dans la mesure où le juge-commissaire, qui n’est pas compétent pour statuer sur la créance déclarée, doit se limiter à constater qu’une instance est en cours.

197. La décision d’incompétence. L’autre possibilité pour le juge-commissaire est de

constater que la contestation ne relève pas de sa compétence. Il renvoie les parties à saisir le juge compétent, ce qui paraît sous-entendre que le litige ne fait que commencer et ne préexiste pas à la procédure de vérification des créances. Il n’existe pas d’instance déjà en cours, mais lors de la vérification, il est apparu une difficulté que le juge-commissaire n’est pas compétent à trancher. Les parties sont donc renvoyées à se pourvoir devant le juge compétent, le juge-commissaire n’ayant pas à désigner le tribunal compétent795. Il en découle pour les parties que cet argument ne constitue pas une exception qui doit être soulevée in limine litis. La Cour de cassation a précisé que, lorsqu’une Cour d’appel retient que la contestation ne relève pas du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire, elle doit surseoir à statuer sur l’admission de la créance après avoir invité les parties à saisir le juge compétent796. Mais, lorsque les parties sont encore devant le juge-commissaire, il n’a

793 Cass. com, 15 mars 2005, n°00-19918 ; D. 2005, 889, obs. Lienhard.

794 Cass. com, 16 mars 2000, n°08-17316.

795 ROUGER (C.), « La procédure de vérification des créances », RPC 2001, p. 188.

796 Voir en ce sens, cass. com, 7 février 2006, n°04-11867 : JurisData n°2006-032082 ; D. 2006, 578, obs. Lienhard – Cass. com, 1er avril 2008, n°04-20346 : JurisData n°2008-043464 ; Procédures 2008, comm. 180, obs. Rolland.

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pas à surseoir à statuer puisque finalement, il ne statuera jamais sur cette créance et sera dessaisi du litige. Il doit rendre une décision d’incompétence et renvoyer les parties à mieux se pourvoir dans le délai de l’article R.624-5 du code de commerce, sous peine de forclusion. Cette solution a été réitérée797 alors que la contestation ne relève pas du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire et que celui-ci doit surseoir à statuer sur l’admission de la créance après avoir invité les parties à saisir le juge compétent. La Cour de cassation a, de cette manière, interdit au juge-commissaire de statuer sur toute question importante touchant véritablement au fond. La chambre commerciale798 a indiqué que le juge-commissaire ou la Cour d’Appel statuant sur le recours n’a pas le « pouvoir juridictionnel » pour statuer sur l’admission. Ainsi, à partir de quel moment faut-il considérer que la contestation échappe au juge-commissaire ? Certains auteurs ont retenu un critère objectif, à savoir que son rôle se limite à entériner les créances non contestées, alors que pour d’autres, il s’agit du caractère sérieux de la contestation799. Le juge-commissaire doit surseoir à statuer et renvoyer les parties à saisir le juge compétent dès lors qu’il ne se sent pas armé pour statuer.

198. Limitation des pouvoirs juridictionnels du juge-commissaire par la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans son arrêt du 9 avril 2013800, la Cour de cassation a précisé à nouveau les conséquences du défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire en matière d’admission au passif. En l’espèce, un débiteur en redressement judiciaire a contesté une créance en se fondant sur la nullité d’un contrat. Le juge-commissaire a considéré que cette contestation ne relevait pas de ses pouvoirs juridictionnels. Mais le débiteur n’ayant pas engagé l’action devant la juridiction compétente dans le délai d’un mois prévu par l’article R.624-5 du code de commerce, le créancier a saisi de nouveau le juge-commissaire pour faire admettre sa créance au passif de la procédure. L’arrêt a été cassé au motif que la Cour d’appel ayant relevé son absence de pouvoir juridictionnel pour trancher une contestation relative à une créance déclarée, devait surseoir à statuer sur l’admission de la créance après avoir invité les parties à saisir le juge compétent.

797 Cass. com, 20 octobre 2009, 20192 : JurisData n°2009-050042 - Cass. com, 9 février 2010, n°08-14772 ; Dictionnaire Permanent Difficultés des entreprises, Bulletin 313, 3962.

798 Cass. com, 18 septembre 2012, n°11-18353 et n°11-18315 ; THÉRON (J.), « Éclaircissements quant aux contours du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire statuant en matière d’admission des créances », BJE 1er janvier 2013, p. 30.

799 VALLANSAN (J.), « La fin de non-recevoir résultant de l’absence de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire en matière de vérification peut être relevée d’office », Act. pro. coll. 2011, alerte n°133.

800 Cass. com, 9 avril 2013, n°12-15414 ; RPC n°4, juillet 2013, comm. 108, Cagnoli ; Lettre d’actualité des

procédures collectives civiles et commerciales n°9, Mai 2013, alerte 123 ; Lettre d’actualité des procédures collectives civiles et commerciales

n°9, Mai 2013, repère 114 par Théron ; D. 2013, p. 2363, obs. Le Corre ; CA Lyon, 3e ch. A, 30 mai 2013, n°12/02894 et CA Pau, 2e ch., sect. 1, 31 mai 2013, n°12/03425 ; RPC n°5, septembre 2013, comm. 125, Legrand et Legrand.

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Conformément à l’article L.624-2 du code de commerce, le juge-commissaire peut désormais rendre quatre décisions sur les créances déclarées : admettre ou rejeter la créance, constater qu’une instance est en cours ou enfin se déclarer incompétent. L’ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014 est venue préciser qu’« en l’absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l’a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d’admission ». Une interprétation littérale de ce texte permet de régler la difficulté qui n’a pu être résolue par la jurisprudence dans l’hypothèse non pas d’incompétence, mais de défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire devant statuer sur l’admission des créances. Dans ce cas, il appartient au juge « de surseoir à statuer sur l’admission de la créance après avoir invité les parties à saisir le juge compétent ». Avec la particularité que les textes n’ont pas prévu de délai de saisine du juge pour connaître de la créance. Aucune forclusion n’a pu atteindre le créancier801, contrairement aux décisions d’incompétence. Pour la chambre commerciale, incompétence et absence de pouvoir juridictionnel sont deux notions distinctes. Alors que la première ne peut être que l’objet d’une exception d’incompétence, la seconde constitue une fin de non-recevoir qui doit être relevée d’office. Par ailleurs, alors que l’article 96 du code de procédure civile impose au juge en cas d’incompétence d’indiquer la juridiction compétente, rien n’est précisé dans l’hypothèse d’une absence de pouvoir juridictionnel. Le législateur semble avoir donné une base légale à la jurisprudence et la doctrine majoritaire l’explique par analogie avec l’office juridictionnel du juge des référés, dénommé également le « juge de l’évidence »802. L’avancée de cette nouvelle disposition tient au pouvoir confié au juge-commissaire de statuer sur une défense au fond ou une demande reconventionnelle, ce que le Cour de cassation avait refusé dans l’arrêt du 28 janvier 2014.

199. Entre la promulgation de l’ordonnance du 12 mars 2014 et son entrée en vigueur, la

Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence en adoptant un arrêt de revirement803, qui s’inscrit

801 Cass. com, 9 avril 2013, n°12-15414, précité – Cass. com, 28 janvier 2014, n°12-35048.

802 BERTHELOT (G.), « Déclaration et vérification des créances. Une souplesse apparente dans un souci de célérité », Cahiers de droit de l’entreprise juillet 2016, dossier 33 ; LE CORRE (P.-M.), « Le rééquilibrage du rôle des acteurs : l’exemple des modifications intéressant la déclaration, la vérification et l’admission des créances », Hebdo éd. aff. 2014/393 ; GAMBIER (B.) et al, « Les nouveaux pouvoirs et les nouvelles missions des membres des juridictions après l’ordonnance du 12 mars 2014 », interview réalisée par M. Menjucq, RPC 2014/5, entretien 3 ; THÉRON (J.), « Éclaircissement quant aux contours du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire statuant en matière d’admission des créances », BJE 2013/1, p. 30. D’une manière générale, BROYELLE (C.), Le juge et l’évidence », in Sénat, L’office

du juge, 2006, spéc. p. 273 et s.

803 Cass. com, 13 mai 2014, n°13-13284 ; Dictionnaire permanent juillet 2014, p. 15, obs. Landel ; RUBELLIN (P.), « Revirement : application de la forclusion de l’article R 624-5 après sursis à statuer du juge-commissaire pour défaut de pouvoir juridictionnel », L’Essentiel Droit des entreprises en difficulté, juin 2014, n°86, p. 2 ; LIENHARD (A.), « Admission des créances : défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire », D. 2014, 1093 ; CAGNOLI (P.), « Précisions sur les suites du sursis à statuer en matière d’admission au passif », JCP E 2014, 615 ; HENRY (L.-C.),

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dans le mouvement d’accélération du déroulement du processus de vérification des créances encouragé par ladite ordonnance. Elle a jugé explicitement que le délai de forclusion prévu par l’article R.624-5 du code de commerce « s’applique aussi lorsque le juge-commissaire constate que la

contestation ne relève pas de son pouvoir juridictionnel et sursoit à statuer après avoir invité les parties à saisir le juge compétent ». Il n’est donc plus discuté que le créancier ou le débiteur devra, sous peine de forclusion,

saisir le juge compétent dans le délai d’un mois, afin de faire valider ou non la créance litigieuse. Par un arrêt du 23 septembre 2014804, la Cour de cassation a tiré les conséquences de la solution de

principe par laquelle elle avait estimé le 13 mai 2014 que le délai de forclusion d’un mois, prévu à l’article R.624-5 du code de commerce, s’applique aussi lorsque le juge-commissaire constate que la contestation ne relève pas de son pouvoir juridictionnel et sursoit à statuer après avoir invité les parties à saisir le juge compétent. Cette affaire illustre le danger pour le débiteur contestant la validité d’une créance en instance d’admission, de ne pas prendre l’initiative de saisir le tribunal compétent pour statuer au fond dans le délai de forclusion. Faute d’y procéder, le juge-commissaire ne peut qu’admettre la créance805. La charge de saisir la juridiction compétente va donc peser sur celui qui est à l’origine de la contestation sérieuse : le créancier, si sa demande n’est pas établie par un titre la rendant vraisemblable ; le débiteur, s’il oppose à une demande ainsi établie une défense au fond introduisant une contestation sérieuse. La procédure y gagnera en célérité.

2. Quelques tempéraments à l’encadrement jurisprudentiel de