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SECTION I. L’autorité de chose jugée accordée aux décisions rendues du juge- juge-commissaire

A. Fondements de l’autorité de chose jugée

147. Du droit romain aux textes contemporains du code civil, l’autorité de la chose jugée a

deux fonctions. Elle impose au juge de tenir pour acquis ce qui a déjà été adopté pour sa fonction positive et permet d’interdire qu’un même procès soit rejoué lorsque la règle de la triple identité est réunie pour sa fonction négative. Afin d’être un substitut au jugement qui va mettre un terme au

568 Une confusion risque de naître avec l’expression « force de chose jugée » que le législateur emploie pour désigner les jugements qui ne sont susceptibles d’aucun recours suspensif d’exécution, V. articles 500 et 501 du code de procédure civile. En vérité, le jugement a force obligatoire dès son prononcé ; seulement il sera possible de le mettre à exécution qu’à partir du moment où il ne pourra plus être remis en cause par une voie de recours ordinaire, ou par le pourvoi en cassation quand il s’y attache un effet suspensif. Mais encore faudrait-il que le jugement ait « force exécutoire », ce qui suppose d’autres conditions.

569 Conformément à l’adage « Res inter alios judicata nec nocet, nec prodest » ; la décision de justice ne peut créer directement des droits ou obligations en faveur ou à l’encontre de ceux qui n’ont été ni parties, ni représentés.

570 Par exemple : Cass. com, 16 novembre 2010, n°09-71935 : Procédures 2011, n°47, obs. Perrot où le jugement ayant l’autorité de la chose jugée fondé sur une pièce reconnue fausse.

571 Comp. avec WIEDERKEHR (G.), « Sens, signifiance et signification de l’autorité de chose jugée », in

Justices et Droits fondamentaux, Etudes offertes à Jacques Normand, Litec, 2003, p. 507 et s., spéc. p. 512, pour qui c’est avec

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litige, elle trouve son fondement dans une preuve d’authenticité (1), mais également dans sa mission fondamentale de pacification sociale (2).

1. Une preuve d’authenticité

148. Conception traditionnelle. En 1804, le code civil envisage la notion d’autorité de

chose jugée au titre des « présomptions établies par la loi »572. L’ancien article 1350 précisait que « la présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits ; tels sont : (…) 3° L’autorité que la loi attribue à la chose jugée (…) ». De fait, une présomption légale de vérité est attachée à la décision du juge573. Cette présomption légale est surtout une présomption irréfragable qui appartient à cette catégorie de présomptions qui constituent au moins une règle de preuve qu’une règle de fond décidée par le législateur. De fait, elle a emporté non seulement une dispense de preuve pour celui qui en a bénéficié mais aussi une interdiction absolue de preuve contraire pour l’adversaire. Enfin, le jugement a la force probante d’un acte authentique : les énonciations du jugement, tout au moins les constatations personnelles du juge, font foi jusqu’à inscription de faux. De cette manière, la présomption de vérité se double d’une présomption de régularité, dont bénéficie par ricochet le jugement. Le droit « fait l’aveu hautain de l’irréalité de son

univers : la chose jugée n’est pas la vraie vérité ; elle est reçue par le bon peuple pour tenir lieu de vérité »574. L’autorité de la chose jugée a donc rempli une fonction politique : la vérité judiciaire enfermée dans le jugement s’écarte parfois de la vérité matérielle.

149. La fiction de la vérité. Jusqu’à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, l’ancien

article 1350 du code civil a été le « cordon avec la présomption légale de vérité »575. Or, cette ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a permis une lecture différente de l’autorité de la chose jugée, à savoir, de faire un premier pas vers la

572 Cour de cassation, Rapport de Mme Gabet, Conseiller rapporteur, relatif à l’arrêt n°575 du 13 mars 1999 (https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/gabet_conseiller_12332.html).

573 KANAYAMA (N.), « On ne peut que présumer la vérité : l’autorité de la chose jugée », in Robert-Joseph

Pothier d’hier à aujourd’hui, Economica, 2001, p. 143 ; « Vérités, droits substantiels et autorité de la chose jugée », in Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, p. 759.

574 CARBONNIER (J.), Droit civil, Introduction, PUF, 27e éd., 2002, p. 192. V. également ATIAS (C.), « L’erreur grossière du juge », D. 1998, 280 : « si la chose jugée était toujours vraie, il n’y aurait pas besoin de la tenir pour vraie ; la vertu de son autorité légale est de couvrir les décisions erronées » ; FOYER (J.), De l’autorité de la chose jugée en matière

civile. Essai d’une définition, Paris, 1954, p. 325 : « La conclusion de la chose jugée se fonde, au-delà du texte de la loi, sur

une nécessité sociale. Nul besoin d’aller chercher ailleurs la justification et le fondement. Il faut éviter le renouvellement des procès. La nécessité est de tous les temps et de tous les lieux ».

575 Selon l’expression utilisée par Mme le Professeur C. Bléry dans son intervention « Qu’est-ce que l’autorité de chose jugée ? » lors du colloque « Le renouvellement de l’autorité de la chose jugée » tenu à Clermont-Ferrand le 4 octobre 2018.

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reconnaissance du caractère artificiel des liens entre vérité et autorité de la chose jugée. L’ancien article 1350 devenu l’article 1354576, abandonne totalement la liste des exemples de présomptions légales dont l’autorité de la chose jugée. Cette réforme est en demi-teinte face à la nécessité de rompre avec un mythe bien présent depuis le droit romain, à savoir la fonction d’assurer la paix sociale en mettant fin aux litiges, lui conférant une assise morale. Le juge dit le droit et la croyance dans la vérité du jugement est supposée garantir le respect de celui-ci par tous, écartant ainsi toute tentation de vengeance privée ou de résistance.

2. Une institution de paix sociale

150. Le principe de l’achèvement du litige. Cette finalité d’achèvement du litige de

l’autorité de la chose jugée est apparue clairement en droit romain dans l’adage « interest rei publicae

ut sit finis litium » (« il est de l’intérêt de la chose publique qu’il existe une fin des instances »)577. Montesquieu l’a exprimé en français dans une formule célèbre : « le repos des familles et de la société toute

entière se fonde non seulement sur ce qui est juste mais sur ce qui est fini »578. La tradition juridique de la

Common Law a rendu également compte de la vertu pacificatrice de l’autorité de la chose jugée à

travers le « principle of finality », dans lequel un juge anglais a vu « un principe fondamental de la Common

Law »579. Même si ce principe ne trouve pas de traduction immédiate, l’expression « principe de finalité » étant trop équivoque en droit français580, il est permis de se rapprocher de celle de « principe de l’achèvement ». Ce principe commun qui interdit de former deux fois un procès à propos de la même cause, épouse dans les pays de la Common Law les contours du « cause of action

estoppel ». Il s’agit ici d’une manifestation de cette forme d’autorité de la chose jugée limitée à une

cause donnée, également née de l’influence commune de la conception romaine de la res judicata. L’autorité de la chose jugée doit apporter un apaisement durable, voire intemporel. Elle est un complément nécessaire la renonciation à se faire justice soi-même. Cette institution est un instrument indispensable dans un État de droit. En assurant à chaque justiciable la stabilité de la

576 Article 1354 nouveau du code civil : « La présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains, dispense celui au profit duquel elle existe d'en rapporter la preuve.

Elle est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ; elle est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l'objet sur lequel elle peut être renversée ; elle est dite irréfragable lorsqu'elle ne peut être renversée ».

577 Montesquieu l’a exprimé en français dans une formule célèbre : « le repos des familles et de la société toute entière

se fonde non seulement sur ce qui est juste mais sur ce qui est fini » (cité par CORNU (G.) et FOYER (J.), Procédure civile, PUF,

1996, n°139, p. 590).

578 Cité par CORNU (G.) et FOYER (J.), Procédure civile, PUF, 1996, n°139, p. 590.

579 Smith vs Brough, [2005] EWCA Civ 261, [54], cité par CHAINAIS (C.), « L’autorité de la chose jugée en procédure civile: Perspectives en droit comparé », Revue de l’arbitrage 2016, n°1, p. 1 et s.

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protection juridictionnelle, l’autorité de la chose jugée garantit l’apaisement des conflits et le maintien de la paix sociale. De cette façon, l’interdiction d’engager de nouveau un procès à propos d’une affaire déjà jugée, permet d’éviter des incohérences entre les jugements rendus et prévient les risques de contradiction entre les décisions.

151. Liens entre autorité de la chose jugée et office du juge. La critique

post-moderne581 du droit a conduit à remettre en cause l’idée d’une vérité intrinsèque du jugement et à ne voir dans la vérité judiciaire qu’une vérité « construite ». Mais il est nécessaire de ne pas surévaluer les situations où le jugement couvrirait une erreur, les voies de recours permettant de les limiter considérablement. Le discours critique sur la vérité judiciaire ne doit pas conduire également à négliger l’impératif de qualité de la décision de justice. Même si l’autorité de la chose jugée est dissociée de la qualité de la décision, il n’en reste pas moins qu’en droit français, l’autorité de la chose jugée attribuée au jugement doit traditionnellement être rapprochée du devoir du juge d’appliquer la règle de droit. La décision de justice tire sa légitimité et son autorité de sa conformité à une certaine idée du droit et du respect de la légalité. Cette exigence permet de tempérer ce que Motulsky a désigné comme un « vice congénital » de l’autorité de chose jugée, à savoir qu’« elle fait

triompher la valeur de sécurité sur la valeur de justice »582. Les évolutions jurisprudentielles actuelles posent sur ce point d’importantes difficultés, dans la mesure où elles accentuent le vice dénoncé par cet auteur, en combinant une vision de plus en plus extensive de l’autorité négative de la chose jugée avec un déclin des exigences relatives à l’office du juge583. Or, lorsque les parties ont négligé d’invoquer tous les moyens de droit applicables au litige, le juge a la possibilité de relever d’office de tels moyens. Ce choix de relever d’office les moyens de droit, laisse notre droit dans une dimension peu lisible584. La jurisprudence n’a, semble-t-il, pas encore fait son choix entre une conception anglaise de l’exception de chose jugée et une conception allemande ou italienne entourée de garanties strictes assurant que ne soit pas déclaré jugé ce qui ne l’a pas été.

581 HÉRON (J.) et LE BARS (T.), Droit judiciaire privé, op. cit, n°364.

582 MOTULSKY (H.), op. cit, p. 14.

583 CHAINAIS (C.), « L’autorité de la chose jugée en procédure civile : perspectives de droit comparé », Rev.

arb. 2016, p. 1 et s., n°46 et s.

584 GUINCHARD (S.), « L’autorité de la chose qui n’a pas été jugée à l’épreuve des nouveaux principes directeurs du procès civil et de la simple faculté pour le juge de « changer le fondement juridique des demandes », in

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