• Aucun résultat trouvé

SECTION I. L’organisation de l’instance devant le juge-commissaire

B. Les intérêts à agir

111. Recevabilité de l’action. La recevabilité de l’action est subordonnée du point de vue

du plaideur à deux conditions : la qualité et l’intérêt. La condition de qualité432 peut se définir comme étant le titre auquel est attaché le droit d’agir en justice sous peine d’irrecevabilité, résultant soit de la qualité requise par la loi dans les actions réservées à certaines personnes, soit dans les actions ouvertes à tout intéressé justifiant d’un intérêt. Force est de constater que la condition de l’intérêt s’est révélée très importante, au point que le code de procédure civile qui, après avoir défini l’action dans son article 30, a poursuivi dans son article 31 : « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ». Pour agir en justice, il faut y avoir un intérêt personnel.

112. Définition. Du latin interest signifiant « il importe », l’intérêt peut se définir comme ce

qui importe à une personne. Autrement dit, il s’agit de tout ce qui exprime les aspirations tant patrimoniales que personnelles des individus433. Cette nécessité de l’intérêt est justifiée par de vieux adages : « L’intérêt est la mesure des actions » ou encore « Pas d’intérêt, pas d’action »434. Avoir intérêt est en principe la condition première pour pouvoir saisir la justice : celui qui agit doit justifier que l’action qu’il exerce est susceptible de lui procurer un avantage. L’intérêt personnel à agir peut se définir comme la recherche d’un avantage personnel. Il désigne le profit, l’utilité ou l’avantage que l’action est susceptible de modifier, en l’améliorant. Il peut s’agir d’un gain matériel (patrimonial) ou moral (extrapatrimonial) ou encore du renforcement d’une situation existante. C’est encore le cas quand un intérêt est lésé et que la loi accorde une action en réparation, situation qui intéresse plus particulièrement cette étude. L’intérêt doit être positif et concret, en d’autres termes suffisant pour autoriser un particulier à saisir le juge. Cet intérêt doit exister : il doit être né et actuel435, le rôle du juge étant de trancher des litiges déjà nés et non seulement éventuels436. L’intérêt à agir s’apprécie au jour de l’introduction de la demande, ne pouvant être remis en cause par des

432 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, (dir.) Assoc. H. Capitant, 11e éd., PUF, 2016, V° « Qualité ».

433 GORGOZA (A.), L’obligation de veiller à ses intérêts, Thèse, Bordeaux IV, 2005, p. 506.

434 BOYER (L.) et ROLAND (H.), Adages du droit français, Litec, 1999, n°304.

435 Dans un tout autre domaine, par ex : Cass. civ. 1ère, 3 mars 2010, n°08-13500 ; Dr. fam. 2010, n°61, note Beignier : irrecevabilité de l’action de l’époux qui agit en nullité de l’acte disposant des droits par lesquels le logement de famille est assuré (article 215 du code civil), pour défaut d’intérêt actuel dès lors qu’il ne réside plus dans le logement familial au moment de l’assignation.

99

circonstances postérieures437. À titre d’exemple, un débiteur dispose de la faculté de relever appel d'un jugement de divorce et même d'une décision qui, bien qu'ayant une connotation pécuniaire, a fixé les créances entre ex-époux dans le cadre de la liquidation de leur

communauté post-divorce438 ou encore un débiteur peut seul se constituer partie civile dans

le but d’établir la culpabilité de l’auteur d’un délit dont il a été victime. Cependant, s’il forme une demande d’indemnisation, il devra être assisté du liquidateur. Cette solution a été retenue par un arrêt de la Chambre criminelle du 9 mars 2016439.

113. L’intérêt « légitime », condition discutée. Il suffit pour agir d’invoquer la lésion

d’un intérêt mais il faut que celui-ci soit légitime440. Cette exigence d’un intérêt « légitime » a été reprise par l’article 31 du code procédure civile, car envisager la légitimité de l’intérêt - vérifier que cet intérêt est fondé sur un droit qui ne peut être reconnu que pour protéger une situation légitime -, c’est se placer d’ores et déjà sur le terrain du bien-fondé de la prétention441. Or, cette prétention n’est prise en compte que sous l’angle du demandeur, le défendeur n’émettant pas toujours une prétention dans le cadre d’une procédure442.

Ainsi les droits dits « processuels », c’est-à-dire la faculté pour le débiteur de se présenter devant le juge-commissaire, et l’exercice par le débiteur des voies de recours contre les décisions rendues par le juge-commissaire, relèvent du débiteur seul, celui-ci n’ayant pas besoin du liquidateur pour les exercer443. La Cour de cassation a par ailleurs précisé que si l’appel en cause des organes de la procédure était nécessaire, cela n’empêche pas pour autant le débiteur, au titre de ses droits propres, d’exerces des recours444. Cela a été encore le cas dans un arrêt récent du 5 septembre 2018445 où la Cour de cassation a jugé que « l'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une

des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire s'inscrit dans cette même

437 Cass. com, 6 décembre 2005, RTD civ. 2006, 604, obs. Théry ; D. 2006, 67, obs. Lienhard.

438 Cass. com, 22 février 2017, n°15-17939.

439 Cass. crim, 9 mars 2016, n°14-86631, arrêt rendu au visa de l’article L 641-9 du code de commerce.

440 WIEDERKEHR (G.), « La légitimité de l’intérêt pour agir », in Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, p. 877.

441 CAPDEPON (Y.), Essai d’une théorie générale des droits de la défense, préface de J.-C. Saint Pau, Nouvelle Bibliothèque des Thèses, volume 122, Dalloz, 2013, p. 90.

442 Même s’il peut émettre une prétention dans le cadre d’une demande reconventionnelle (article 64 du code de procédure civile).

443 Par exemple, Cass. com, 24 janvier 2018, n°16-21701 pour les recours contre une décision dans le cadre de la vérification des créances : BJS 1er avril 2018, p. 224 et BJE 1er mai 2018, p. 224, obs. Brocard ; GP 17 avril 2018, n°15, p. 71, obs. Voinot ; L’Essentiel, Droit des entreprises en difficulté 1er mars 2018, p. 3, obs. Staes – Cass. com, 24 janvier 2018, n°16-50033 pour le recours contre une transaction autorisée par le juge-commissaire : BJS 1er avril 2018, p. 224, obs. Brocard ; BJE 1er mai 2018, p. 208, obs. Houssin ; GP 17 avril 2018, n°321, p. 75, obs. Le Corre ; L’Essentiel, Droit

des entreprises en difficulté 1er mars 2018, p. 3, obs. Staes – Cass. com, 5 octobre 2010, n°09-16602 pour un recours contre une vente – Cass. com, 8 juillet 2003, n°01-02050 pour le recours contre un relevé de forclusion.

444 Cass. com, 8 septembre 2015, n°14-14192.

100

procédure, laquelle est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur ; qu'il en résulte que la partie qui saisit le juge compétent doit mettre en cause devant ce juge les deux autres parties ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a déclaré irrecevable la demande de la société Holding AA-OC qui, saisissant le tribunal compétent dans le délai imparti, n'a cependant pas assigné le débiteur, partie nécessaire à l'instance devant le juge du fond en tant que titulaire d'un droit propre en matière de vérification du passif, non atteint par le dessaisissement ».

§ 2. La détermination des parties à l’instance

114. Notion de partie. La notion de partie à l’instance reste une question délicate en droit

processuel446. La distinction des parties et des tiers à l’instance, présente des intérêts majeurs, notamment dans l’exercice des voies de recours. Pour répondre à ce contentieux, les auteurs ont développé des notions inédites de partie virtuelle447, de partie à éclipse448, de partie potentielle449, ou constaté que certains intervenants ne sont ni parties ni tiers450. La définition des voies de recours disponibles est, par exemple, un enjeu essentiel de la qualification. Les voies de recours se resserrent pour les tiers évincés en qualité de partie. Les problèmes de définition des parties ont pris une telle démesure que certains auteurs451 ont même renoncé à qualifier la notion de partie. Cependant, l’article 1er du code de procédure civile dispose que « seules les parties introduisent l’instance ».

Pour la doctrine classique, la notion de partie est liée à l’existence d’un litige452, souvent synonyme de procès ou de cause453. Cette conception explique pourquoi, en droit des entreprises en difficulté, l’identification des parties est aussi difficile. En l’absence de litige, il n’y a point de contestation et a fortiori pas de partie à la contestation. Des personnes sont pourtant lésées dans leurs intérêts. L’instance ouverte a pour vocation de permettre au juge-commissaire de se

446 Sur une étude exhaustive de la notion de partie dans la procédure collective : DERRIDA (F.), « La notion de partie dans les décisions relatives au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises », D. 1989, chron. 77.

447 CABRILLAC (M.), « Les aspects procéduraux du redressement et de la liquidation judiciaires des entreprises », Gaz. Pal. 1987, 1, doct. 180 et note sous Limoges, 13 août 1986, JCP 1986, II, 20693 ; BARRET (O.), « L’appel nullité (dans le droit commun de la procédure) », RTD Civ. 1990, 210, n°6.

448 CABRILLAC (M.) et VIVANT (D.), JCP 1988, II, 15209, n°8.

449 MÉLÉDO-BRIAND (D.), Nature du droit des entreprises en difficulté et systèmes de droit, Thèse, Rennes, 1992, n°466, p. 271.

450 ARSEGUEL (A.), « Aspects généraux du contentieux prud’homal relatif aux créances salariales depuis la loi du 25 janvier 1985 », Droit social 1987, p. 807, spéc. p. 819.

451 ASTIER, intervention au colloque sur les questions procédurales de la législation de 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, Nice 1987, p. 69, cité in STAES (O.), Procédures collectives et

Droit Judiciaire Privé, Thèse (Dact.), Toulouse I, 1999.

452 SOLUS (H.) et PERROT (R.), Droit judiciaire privé, t. 3, Sirey, 1991, n°10 : « le principe qui veut que le litige privé

soit un contentieux entre parties se rattache au fondement subjectif de l’action en justice. Dans un contentieux à fondement objectif où le recours au juge tend à assurer le respect de la légalité, la personnalité des parties en cause tend à s’estomper, voire même à disparaître en certaines circonstances ».

101

prononcer sur la réalité de cette lésion et d’ordonner la mesure adéquate pour y remédier, même si en l’espèce la finalité est de sauver l’entreprise, l’emploi et d’essayer de désintéresser au mieux les créanciers. Le juge-commissaire a, comme tout juge, pour mission de résoudre les conflits454 quelles qu’en soit l’origine et la manifestation. Mais ils ne résultent pas tous de l’atteinte aux droits d’une personne par une autre. Pourtant, ils sont tous la conséquence d’une atteinte à l’équilibre dans la répartition de ce qui est dû à chacun455. Le sentiment d’injustice que cette situation engendre, provoque un conflit qu’il appartient au juge d’éteindre. La situation soumise au tribunal dans le cadre des procédures collectives répond à ce schéma. En fin de compte une multitude de personnes – créanciers, salariés, débiteur - sont atteintes dans leurs intérêts et risquent de l’être plus gravement encore à brève échéance. Les parties sont les personnes qui sont affectées par ce déséquilibre. Simplement, cette mauvaise répartition provient des difficultés de l’entreprise. La notion de partie non définie par la loi de 1985 ou encore celle de 2005, ni par les rédacteurs du code de procédure civile, la Cour de cassation préconisa d’y ajouter un critère matériel tel que la formulation d’une prétention456 (A). De son côté, la doctrine commercialiste a fait état d’un concept de « partie

nécessaire457 ou obligée », qui a permis d’accorder le statut de partie à des personnes qui n’émettent pas

de prétention au sens formel du terme458 (B).