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SECTION II. Critiques et devoirs de la fonction même de juge-commissaire

A. La notion classique d’impartialité

84. Étymologie. Venant du grec ancien, le mot impartialité signifie « qui partage en deux »,

ce qui suppose que le juge soit à égale distance des parties309. Aristote a expliqué dans Éthique à

Nicomaque310 que « Dans la personne du juge, on cherche un tiers impartial et quelqu’uns appellent les juges des

arbitres ou des médiateurs voulant signifier par-là que, quand on aura trouvé l’homme du juste milieu, on parviendra à obtenir justice »311. Paradoxalement, l’impartialité n’est pas définie par le législateur ni par la jurisprudence. Selon l’expression de Mme R. Koering-Joulin, l’impartialité est « le symbole de l’idée de

démocratie appliquée au procès »312. Elle reste la garantie première exigée d’un juge313, constituant l’essence même de la fonction juridictionnelle314. Par conséquent, celle-ci peut être issue du comportement personnel comme professionnel du juge. Il est nécessaire que l’impartialité soit

307 VERGÈS (E.), La catégorie juridique des principes directeurs du procès judiciaire, Thèse, Université Aix-Marseille, 2000, p. 116.

308 D’AMBRA (D.), L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, Thèse, Bibliothèque de droit privé, tome 236, préface de G. Wiederkehr, 1994, p. 189.

309 CADIET (L.) et JEULAND (E.), Droit judiciaire privé, 9e édition, LexisNexis, 2016, p. 76, n°71.

310 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, Livre V, Sur la justice, Flammarion, 2010.

311 CADIET (L.), NORMAND (J.) et AMRANI-MEKKI (S.), Théorie générale du procès, n°11, p. 57.

312 KOÉRING-JOULIN (R.), « La notion européenne de « tribunal indépendant et impartial » au sens de l’article 6, 1e de la CESDH », Revue de sciences criminelles 1990, p. 765.

313 RIBIERE (C.), « Récusation », J. Cl. Procédure, fasc. 684-2, 1989, n°11.

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garantie315 et l’indépendance constitue un préalable à cette impartialité : le juge doit être libre de toute influence extérieure316.

85. Le principe d’impartialité. L’impartialité est un droit garanti aux justiciables. Elle

constitue un devoir absolu, destiné à rendre effectif l’un des principes fondateurs de la République : l’égalité des citoyens devant la loi. Il incombe au juge d’être particulièrement attentif et de veiller à ce que son impartialité ne puisse être l’objet d’interrogations de la part du justiciable.

L’article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958 précise que « Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » à laquelle appartiennent les juges consulaires. L’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme confère quant à lui aux citoyens un droit de l’Homme à un tribunal « indépendant », la Cour européenne contrôlant l’indépendance organique317 et l’indépendance fonctionnelle318. Au niveau national, le Conseil constitutionnel dans une décision n° DC 80-119 du 22 juillet 1980319 a posé en principe qu’il « résulte des dispositions de

l’article 64 de la Constitution en ce qui concerne l’autorité judiciaire…, que l’indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions par lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur, ni le Gouvernement ; qu’ainsi, il n’appartient ni au législateur, ni au Gouvernement de censurer les décisions de ces juridictions, d’adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence ». L’indépendance du juge peut se vérifier à travers un comportement impartial et un

traitement égalitaire des justiciables. L’impartialité est un droit garanti aux justiciables. Elle constitue un devoir absolu, destiné à rendre effectif l’un des principes fondateurs de la République : l’égalité des citoyens devant la loi. Il incombe au juge d’être particulièrement attentif et de veiller à ce que son impartialité ne puisse être l’objet d’interrogations de la part du justiciable. L’impartialité des tribunaux de commerce est souvent contestée, notamment en matière de procédure collective320.

315 WIEDERKEHR (G.), « Qu’est-ce qu’un juge ? », in Mélanges Perrot, Dalloz 1996, p. 577 et s.

316 L’impartialité était symbolisée dans le monde grec par la déesse Thémis, personnification de la justesse divine de la loi, par une femme aux yeux bandés. Plus tardivement, La Fontaine avait fustigé la justice de classe316, celle-ci étant sanctionnée à l’article 183 du code pénal. La justice actuelle avait été parfois soupçonnée d’être « aux

ordres » du pouvoir, le reproche le plus redondant fut d’être trop influencée par l’opinion publique ou encore par la

presse. V. DEBBASCH (C.), « L’indépendance de la justice », Mélanges Dubouis, Dalloz 2002, p. 27 et s.

317 A savoir l’existence d’un statut garantissant l’indépendance des juges, mode de désignation, durée du mandat.

318 Interdiction de pouvoir s’immiscer dans l’acte de juger, CEDH, 9 décembre 1994, série A, n°301-B, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c/ Grèce, notamment par des lois rétroactives, Zielinski, Pradal, Gonzales et a. c/ France, 28 octobre 1999, Recueil Dalloz 2000, somm. 184, obs. Fricéro.

319 Recueil p. 46.

320 « Faillites – Le scandale des tribunaux de commerce – Des entreprises victimes de leurs juges », Le Revenu

Français, n°410, novembre 1996, p. 12 et s. ; « Tribunaux de commerce : enquête sur les profiteurs des faillites », Le Point n°1286, 10 mai 1997 ; « Tribunaux de commerce : la crise », Les Échos, 24 et 25 octobre 1997, p. 58.

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86. Définition de l’impartialité. L’impartialité doit être distinguée de l’indépendance. Par

définition, est indépendant le juge qui ne subit pas de pression. Est impartial, celui qui n’a pas de préjugé321. L’indépendance suppose l’absence de lien de subordination, donc de lien avec un tiers, alors que l’impartialité s’analyse uniquement à partir de celui qui agit, donc sans référence avec un lien à un tiers322. Il n’en reste pas moins que ces deux termes sont très proches puisqu’une juridiction de jugement indépendante, n’étant pas sujette à des influences extérieures, aura toutes chances de se montrer impartiale. Selon Mme N. Fricéro, « il est admis que la connaissance que le juge peut avoir du

litige à l’occasion de fonctions antérieures, et les actes qu’il a accomplis peuvent susciter chez le justiciable la crainte que ce magistrat, et le tribunal dont il est membre, n’offrent pas de garanties suffisantes d’impartialité » 323. L’impartialité d’un juge et notamment du juge-commissaire, est son aptitude à traiter les parties sur un plan d’égalité, sans opinion préconçue324. Le principe d’impartialité se retrouve dans différents textes325, permettant ainsi d’envisager la notion d’impartialité du juge civil326 sous deux angles327, l’un objectif, l’autre subjectif : la frontière entre l’impartialité objective et l’impartialité subjective n’étant pas hermétique328.

321 V. Ass. Plén. 22 décembre 2000, n°461 P (Époux Tassart) et n°464 (CPAM du Val de Marne), concernant la Cour nationale de l’incapacité et de l’assurance des accidents du travail – KOÉRING-JOULIN (R.), « La notion européenne de « tribunal indépendant et impartial » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme », Revue de Sciences criminelles 1990, 765.

322 PRADEL (J.), « La notion européenne de tribunal impartial et indépendant selon le droit français », Revue

de Sciences criminelles 1990, p. 692.

323 FRICÉRO (N.) et al, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz-Action 2012-2013, n°211.11.

324 FRICÉRO (N.), « Le tribunal de commerce : une juridiction conforme aux exigences constitutionnelles »,

D. 2012, p. 1626.

325 L’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme pose un principe intangible : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

D’autre part, l’article 111-5 du code de l’organisation judiciaire dispose quant à lui que « l’impartialité des juridictions judiciaires est garantie par les dispositions du présent code et celles prévues par les dispositions particulières à certaines juridictions ainsi que par les règles d’incompatibilité fixées par le statut de la magistrature ».

Mais également l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution », ainsi que l’article L.721-1 du code de commerce qui prévoit que « les tribunaux de commerce sont des juridictions du premier degré, composées de juges élus et d’un greffier. Leur compétence est déterminée par le présent code et les codes et lois particuliers. Les tribunaux de commerce sont soumis aux dispositions communes de toutes les juridictions, du livre 1er

du code de l’organisation judiciaire ».

326 « L’exigence d’impartialité du juge dans le procès civil et les procédures de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime », Bull. inf. C. cass, 1er avril 2008, p. 6.

327 CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique, Publ. CEDH, série A, vol. 53 ; Jurisprudence de la CEDH, Sirey, 7e édition, 2000, n°62, obs. Berger – Plutôt que de parler de démarche objective ou subjective, certains auteurs préfèrent les expressions « d’impartialité fonctionnelle » ou d’« impartialité personnelle », v. GUINCHARD (S.), BANDRAC (M.), LAGARDE (X.) et DOUCHY (M.), Droit processuel, Droit commun du procès, Dalloz, 2001, n°363.

328 CEDH, 15 janvier 2008, n° 1756/06, Micallef c/ Malte, §73 : La Cour reconnaît la difficulté d’établir l’existence

d’une violation de l’article 6 pour partialité subjective. C’est la raison pour laquelle, dans la très grande majorité des affaires soulevant des questions de partialité, elle a recours à la démarche objective. La frontière entre ces deux notions n’est cependant pas hermétique car non

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87. La notion d’impartialité objective. L’impartialité objective a pour but d’éviter qu’un

juge n’ait un préjugé à propos d’une affaire sur laquelle il doit statuer en raison de connaissance personnelle préalable à l’affaire. Pour ce faire, il doit offrir les garanties suffisantes pour exclure toute raison légitime de craindre un défaut d’impartialité, consistant « à se demander si, indépendamment

de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier »329. La justice doit donner à chacun l’apparence qu’elle a été bien rendue. Cette impartialité « fonctionnelle » interdit à un juge d’apprécier deux fois les mêmes faits, de juger deux fois le même litige, ayant alors une opinion préconçue sur l’affaire.

88. La notion d’impartialité subjective. L’impartialité subjective consiste à éviter que le

juge ne soit influencé par des considérations personnelles sur le litige à trancher330. Le juge ne doit être acquis ni à une cause, ni à une partie. Celui-ci ne doit manifester ni parti-pris, ni préjugé personnel vis-à-vis d’une quelconque idéologie ou une catégorie de justiciables, l’impartialité se présumant « jusqu’à la preuve du contraire »331. Les apparences ont ici de l’importance et le juge européen se montre réceptif à l’adage anglais « Justice must not only be done, it must be seen to be done »332.

89. L’impartialité du tribunal de commerce. La partialité du tribunal de commerce et

par conséquent des juges consulaires a toujours constitué le principal reproche adressé par les justiciables. A titre d’exemple, lorsque les membres d’un tribunal de commerce ont appartenu à la même École que l’une des parties, fût-ce Polytechnique, la Cour de cassation a jugé que la preuve du risque de partialité n’était pas rapportée333. Il en a été de même lorsque certains juges du tribunal de commerce appartenaient au même secteur d’activité, à savoir bancaire, que l’une des parties334. A été transmise à la Cour de cassation le 6 mars 2012, une question prioritaire de constitutionnalité rédigée en les termes suivants : « Les articles L.722-6 à L.722-16 et L.724-1 à L.724-6 du code de

seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective) mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) ».

329 CEDH, Affaire Hauschildt c/ Danemark du 24 mai 1989, req ; n°10-486/ 83 et X c/ Belgique du 26 octobre 1984, série A, n°86, req. N°9186/80.

330 CEDH, affaire X c/ France du 23 avril 1996, req. N°16839/90.

331 CEDH, 1er octobre 1982, affaire Piersack c/ Belgique, § 30 ; JDI 1985, 210, obs. P. Tavernier - Cass. Com, 16 octobre 2001, D. 2002, somm. 80 et s., obs. Derrida ; D. 2001, AJ, 3273 et s., obs. Lienhard ; JCP 2002, I, 109, n°3, obs. Pétel.

332 « La justice ne doit pas seulement être rendue, mais il doit être visible qu’elle l’est [rendue] », Lord Hewart ; cité par VARAUT (J.-M.), Le droit au juge, Quai Voltaire, Paris, 1991. Cette solution fut confirmée par l’arrêt De Cubber du 26 octobre 1984, Publ. CEDH, série A, vol. 86 § 26 « … en la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance » (selon l’adage anglais).

333 Cass. 2e civ, 13 juillet 2005, n°04-19962 ; Bull. 2005, II, n°206 ; Revue Procédures 2006, p. 40, obs. Fricéro.

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commerce sont-ils conformes à la Constitution, pris sous l’angle des principes d’indépendance, d’impartialité et de compétences professionnelles ? ». Les termes choisis ont démontré que son auteur contestait les

dispositions définissant le statut des juges des tribunaux de commerce. La Cour de cassation a considéré que la question « présente un caractère sérieux au regard des exigences qui s’attachent aux principes

constitutionnels de l’indépendance et de l’impartialité des magistrats ainsi que de la capacité professionnelle pour l’accès aux emplois publics »335 et a renvoyé ladite question au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a décidé que les règles du code de commerce relatives au mandat des juges des tribunaux de commerce sont conformes à la Constitution336. Les textes existants dans le code de commerce empêchent qu’un juge consulaire puisse participer à l’examen d’une affaire dans laquelle il a eu un intérêt direct ou indirect. Le Conseil a relevé que les juges sont élus pour une durée déterminée et qu’ils ne peuvent subir de pression. Leurs fonctions ne peuvent cesser que pour des motifs précis : fin du mandat électif, suppression du tribunal, démission ou déchéance. Les fonctions de juge-commissaire consulaire sont incompatibles avec le placement du juge sous le régime d’une procédure collective. En outre, la soumission à un organe disciplinaire pouvant sanctionner d’un blâme ou d’une déchéance les juges consulaires, conséquence d’un contrôle de l’autorité publique sur ces fonctions, est considérée comme une garantie institutionnelle suffisante. Le Conseil a mentionné le serment, preuve de l’engagement personnel des juges consulaires, et s’appuie sur les règles du dépaysement337 et sur l’obligation de se récuser ou de s’abstenir dans les cas de récusation et de suspicion légitime338.

Suite à cette question prioritaire de constitutionnalité et à la réponse du Conseil constitutionnel, il semble nécessaire de rappeler que le rapport parlementaire Untermaier de 2013339

a considéré le droit positif comme insuffisant et a préconisé dans sa proposition n°23 de reconnaître aux parties aux litiges relevant du contentieux général le droit d’obtenir, sur demande motivée et en début de procédure, le renvoi vers un autre tribunal de commerce. La proposition n°26 y a fait aussi écho, puisqu’elle a proposé d’assouplir la procédure de dépaysement prévue aux

335 Cass. com, QPC, 6 mars 2012, n°11-40102 ; LUCAS (F.-X.) , « Tribunaux de commerce : une QPC désobligeante », LEDEN 2012/4, n°63.

336 Cons. Const. 4 mai 2012, n°2012-241 QPC : « Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions relatives

au mandat des juges des tribunaux de commerce instituent les garanties prohibant qu’un juge d’un tribunal de commerce participe à l’examen d’une affaire dans laquelle il a un intérêt, même indirect ; que l’ensemble de ces dispositions ne portent atteinte ni aux principes d’impartialité et d’indépendance des juridictions ni à la séparation des pouvoirs ». – VALLANSAN (J.), « La pérennité constitutionnelle des

tribunaux de commerce », JCP E 2012, 1365 – VALLENS (J.-L.), « L’honneur des tribunaux de commerce est sauf : les tribunaux de commerce ne sont pas contraires à la Constitution », D. 2012, p. 1413 – FRICÉRO (N.), « Le tribunal de commerce : une juridiction conforme aux exigences constitutionnelles », D. 2012, p. 1626.

337 Article L.662-2 du code de commerce.

338 Article 1117 du code de procédure civile.

339 Rapport d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale, présentée par Mme C. UNTERMAIER et M. M. BONNOT, présenté le 24 avril 2013, n°1006, devant l’Assemblée Nationale, op. cit.

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articles L.662-2 et R.662-7 du code de commerce. L’article 120 du décret n°2014-736 du 30 juin 2014 a entériné cette proposition, puisque désormais, à côté du renvoi décidé d’office par le Président du tribunal saisi, l’alinéa 2 de l’article R.662-7 prévoit que le « renvoi peut également être demandé, par requête motivée du débiteur, du créancier poursuivant et du ministère public ».