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SECTION II. Critiques et devoirs de la fonction même de juge-commissaire

B. L’impartialité appliquée au juge-commissaire

90. La notion d’impartialité est imputable au juge-commissaire dans son comportement (1),

qu’il soit personnel mais aussi professionnel. Ainsi lorsqu’une partialité est avérée, des sanctions sont applicables au juge-commissaire (2).

1. L’impartialité appliquée au comportement du juge-commissaire 91. Comportement personnel du juge-commissaire. La situation du juge consulaire qui

exerce une activité économique, génère des difficultés spécifiques qui s’ajoutent aux problèmes communs des juges et des magistrats. Certaines personnes extérieures à l’institution judiciaire (partie à un procès ou tiers intéressés, par exemple créancier, débiteur, média et/ou opinion publique) peuvent penser que les activités d’ordre privé du juge-commissaire influencent son comportement professionnel. Sur cette question, la Cour de cassation a adopté une position pragmatique et en adéquation avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, en adoptant une théorie des apparences selon laquelle les circonstances qui entourent la prise de décisions du juge peuvent justifier un doute légitime de partialité dans l’esprit du justiciable340. Plus généralement, l’impartialité du juge est toujours présumée341. Mais, ne s’agissant une fois encore que d’une présomption simple, il appartient au justiciable qui conteste, de la renverser en apportant la preuve d’éléments objectifs externes342. Ces éléments doivent permettre de suspecter un comportement partial dans l’affaire que le juge doit trancher.

Les relations personnelles entrepreneuriales du juge-commissaire constituent-elles un obstacle au jugement objectif de l’entreprise par ce dernier ? Le juge-commissaire qui estime en conscience ne pas pouvoir juger doit s’abstenir et demander son remplacement343. Cette solution

340 MONTÉRAN (T.), « Impartialité, droits de l’homme et QPC », Revue des Procédures collectives n°4, juillet 2015, étude 13.

341 CEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et de Meyere c/ Belgique, série A, n°43.

342 L’impartialité s’apprécie selon « une démarche objective », Cass. Ass. Plénière, 6 novembre 1998, 1ère

espèce, D. 1999, p. 1, concl. Burgelin.

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est souhaitable si la relation avec l’entrepreneur justiciable est publique. Une grande prudence s’impose pour le juge-commissaire qui entretient des relations avec le dirigeant de l’entreprise. Les liens commerciaux peuvent également amener le juge-commissaire à s’abstenir si un soupçon légitime naît d’un intérêt direct ou indirect du juge de l’affaire, ou encore de dépendance économique entre l’entreprise du juge-commissaire et celle du justiciable. En procédure collective, un juge consulaire doit éviter d’être désigné comme juge-commissaire dans la procédure d’une entreprise concurrente de la même profession, même s’il peut faire partie de la composition collégiale qui ouvre la procédure.

92. Comportement professionnel du juge-commissaire. Il s’agit de l’impartialité dite

« fonctionnelle », qui interdit de statuer plusieurs fois sur les mêmes faits, ou de statuer sur recours contre sa propre décision. Pour interdire à un même juge de juger deux fois, il faut analyser la portée des actes qu’il accomplit. Dans l’arrêt Morel c/ France du 6 juin 2000344, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que le juge-commissaire peut siéger dans la formation du tribunal de commerce qui statue sur le sort de l’entreprise, étant donné que les actes qu’il accomplit pendant la période d’observation, ont la nature d’actes provisoires et conservatoires, ce qui ne permet pas de suspecter sa partialité au fond. Pour que son impartialité soit suspectée, le juge doit être amené à apprécier les mêmes faits, et à prendre successivement des décisions juridictionnelles et non des mesures conservatoires. Mais la seule identité des parties ne suffit pas pour récuser le juge345.

Afin d’éviter certaines difficultés fonctionnelles, des dispositions législatives ont été prises : les articles L 651-3, L 652-5 et L 653-7 modifiés par la loi de 2005, relatifs aux responsabilités et sanctions des dirigeants, précisent que « le juge commissaire ne peut ni siéger dans la formation de jugement, ni participer au délibéré », et l’article 68 du décret n°2005-1677 du 28 décembre 2005 précise quant à lui que « le juge-commissaire ne peut siéger, à peine de nullité du jugement, lorsque le tribunal statue sur un recours formé contre un de ses ordonnances »346.

Depuis l’ordonnance du 12 mars 2014, l’article L.622-7 du code de commerce interdit au juge-commissaire de participer aux formations de jugement sous peine de nullité. La jurisprudence a sanctionné des présidents de tribunaux de grande instance statuant commercialement qui, ayant cité des dirigeants sociaux en comblement du passif et en extension de procédure collective, avaient

344 CEDH, 6 juin 2000, Morel c/ France ; D. 2001, somm. p. 1062, obs. Fricéro ; RTD Com 2000, p. 1021, obs. Vallens – v. aussi GOYET (C.), « Remarques sur l’impartialité du tribunal », D. 2001, chron. p. 328.

345 La Cour de cassation a jugé que la circonstance que la même chambre d’une cour d’appel soit appelée à statuer sur des contentieux répétitifs entre les mêmes parties ne saurait faire peser sur cette juridiction un doute légitime relatif à son impartialité : Cass. 2e civ., 14 octobre 2004, Bull. civ. II, n°457.

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rédigé des notes annexées aux citations pouvant laisser penser qu’ils ne disposaient pas de l’impartialité objective requise347.

Dans ces rapports avec les auxiliaires de justice, le devoir de « réserve » est le même que pour les magistrats. Les juges consulaires entretiennent des relations fréquentes avec les administrateurs, mandataires judiciaires, commissaires-priseurs ou encore les conseils des débiteurs. Le juge doit donc rester vigilant en maintenant une distance raisonnable. Mais il convient d’observer que la jurisprudence interprète les textes relatifs à la récusation de manière restrictive, notamment en ce qu’ils ne visent pas les relations entre le juge et les auxiliaires de justice. Dès lors, les difficultés relationnelles que l’avocat des requérants invoque avoir des juges consulaires, ne peuvent pas être qualifiées d’inimitié entre ces juges et la partie348. La chambre commerciale de la Cour de cassation a posé comme principe général que l’impartialité du juge se présume jusqu’à preuve contraire349. En l’espèce, le tribunal a été présidé par le juge-commissaire lui-même, et le dirigeant social n’a pas démontré en quoi ce fait justifiait ses appréhensions. Cela aurait été différent si le juge-commissaire avait exprimé son avis dans un rapport préalable350. Les différentes fonctions confiées au juge-commissaire ne constituent pas un risque « objectif » d’atteinte à l’impartialité du tribunal. Il conviendrait de prouver que les décisions prises antérieurement par le juge-commissaire justifient sa récusation pour remettre en cause l’impartialité du tribunal351. Cette situation du juge-commissaire est à comparer notamment avec celle du juge des tutelles352 ou celle du conseiller de la mise en état353.

2. La sanction de partialité du juge-commissaire

93. Sanctions de partialité. Comment est sanctionnée la partialité du juge-commissaire ?

Plusieurs réponses peuvent être apportées à cette question. Dans un premier temps, le juge peut s’abstenir lui-même supposant une cause de récusation, ou estime en conscience devoir s’abstenir354. Par conséquent, il est nécessaire de mettre en œuvre la procédure de récusation à l’initiative d’un plaideur ou une éventuelle sanction disciplinaire pour manquement aux devoirs de

347 Cass. com, 3 novembre 1992, Bull. civ. IV, n°345 ; Cass. com, 16 mars 1993, D. 1993, 538, note Vallens.

348 CA Versailles, 27 octobre 1997, GP 20-21 mars 1998, p. 1.

349 Cass. com, 16 octobre 2001, n°98-12568.

350 Cass. com, 18 mars 2003, n°00-12005.

351 Cass. com, 19 février 2013, n°11-28256.

352 Cass 2e civ, 5 mai 1993, n°91-19099 ; JCP G 1994, II, 22227, note Du Rusquec.

353 Cass. 1ère civ, 3 mars 1992, n°90-11088 ; JCP G 1993, II, 21992, note Du Rusquec.

354 Article 339 du code de procédure civile : « Le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir se fait remplacer par un autre juge que désigne le président de la juridiction à laquelle il appartient. Le remplaçant d’un juge d’instance est désigné par le président du tribunal de grande instance à défaut de juge directeur ».

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sa charge en application de l’article L.724-1 du code de commerce355. Le Conseil Supérieur de la Magistrature a sanctionné les magistrats pour partialité avérée lorsque, par exemple, un magistrat a commis une faute disciplinaire en ne se déportant pas alors qu’il avait entretenu des relations privilégiées avec l’une des parties356.

§ 3. De la problématique des décisions pouvant être rendues en opportunité

94. Par définition, la jurisdictio357 est le terme latin doté en droit romain de multiples sens358, traditionnellement employé en doctrine par opposition à l’imperium, pour désigner la mission de l’action de dire le droit. Si elle tend à disparaître de certains contentieux tels que ceux du référé359, la jurisdictio reste l’un des critères les plus incontestables de l’acte juridictionnel. Le droit des procédures collectives n’est pas original à ce titre. La confrontation méthodologique des faits et du droit est « Chose aisée, bien entendu, puisque, par définition, les analyses ne peuvent cesser avant d’avoir rendu la

comparaison possible »360. Le juge confronte les faits de l’espèce à une règle de droit donnée, vérifie la réunion de ses conditions d’application et en tire les conséquences. Lorsque l’opération de qualification elle-même fait difficulté, quand elle procède de la « logique floue »361, ou simplement lorsqu’elle reste « en une large part intuitive »362, c’est que le juge a commis une faute méthodologique. Celui-ci n’a pas effectué jusqu’à son terme le travail d’analyse qui lui incombait, sans que cela remette en cause son « honnêteté intellectuelle »363. Si au contraire, le travail a été effectué jusqu’à son terme : soit les faits de la cause correspondent à la règle de droit et le syllogisme juridique se forme, soit les faits ne rentrent pas dans le cadre du présupposé juridique et il apparaît que la règle de droit envisagée n’est pas applicable en l’espèce364. S’il apparaît qu’aucune règle possible ne soit véritablement applicable, le juge devrait, selon Motulsky, écarter la prétention « qui se confond avec la

355 Article L.724-1 du code de commerce : « tout manquement d’un juge d’un tribunal de commerce à l’honneur, à la probité, à la dignité et aux devoirs de sa charge constitue une faute disciplinaire ».

356 CSM 20 juillet 1994, 20 juillet 2000… n°112, 113, 115 du Recueil de décisions du CSM et du Conseil d’État - Sauf erreur, il n’y a pas de jurisprudence connue de la Commission nationale de discipline à ce jour.

357 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Assoc. H. Capitant, PUF, 11e éd., V° « Jurisdictio ».

358 A savoir la juridiction, pouvoir rendre la justice, action de la rendre, autorité, compétence, ressort.

359 MOURY (J.), « De quelques aspects de l’évolution de la jurisdictio (en droit judiciaire privé) », in Nouveaux

juges, nouveaux pouvoirs ? Mélanges Perrot, Dalloz, 1996, p. 303. Pour une analyse structurale du travail du juge en matière

de référé, v. BLÉRY (C.), op. cit, n°408 et suivants.

360 MOTULSKY (H.), Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, La théorie des éléments générateurs des droits

subjectifs, Thèse, préface de P. Roubier, Sirey, 1948, réédition présentée par Marie-Anne Frison-Roche, Dalloz, 2002,

n°66.

361 Sur les rapports entre qualification et logique floue, JANVILLE (M.), La qualification juridique des faits, Thèse, Paris II, 2002, n°118 et s.

362 JANVILLE (M.), La qualification juridique des faits, op. cit., n°1163.

363 JANVILLE (M.), La qualification juridique des faits, op. cit., n°447.

364 BOLARD (V.), L’équité dans la réalisation méthodique du droit privé. Principes pour un exercice rationnel et légitime du

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conclusion du syllogisme »365. Or, la doctrine commercialiste affirme volontiers que le juge ne statue plus en droit mais en opportunité366, que le règlement des procédures collectives utilise des techniques « de nature fondamentalement économique »367 ou encore qu’il remplace le contrôle de légalité par une appréciation en opportunité368 (A). D’où la conclusion logique de dire que les décisions rendues par le tribunal des procédures collectives ne seraient plus des actes juridictionnels. Afin de parer à cette critique, le juge-commissaire comme tout autre juge, peut faire appel aux standards juridiques pour compléter une norme légale lorsque cette dernière se révèle lacunaire (B).