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L’émergence d’un nouveau droit des entreprises en difficulté

SECTION I. Les liens nécessaires entre droit des procédures collectives et tribunal de commerce

B. L’émergence d’un nouveau droit des entreprises en difficulté

25. Les caractéristiques actuelles du droit des entreprises en difficulté. Le droit des

entreprises en difficulté revêt aujourd’hui trois caractéristiques : son caractère commercial en premier lieu, qui s’explique par le fait qu’à l’origine, le code de commerce de 1807 a réservé la faillite aux commerçants. Les professions civiles en sont exclues, la déconfiture s’appliquant. Désormais les artisans, les agriculteurs, mais encore les professions libérales sont concernées par les procédures collectives. En second lieu, le caractère collectif, ciment de la procédure, a permis que le principe de l’égalité entre les créanciers perdure depuis 1985 et ce, malgré la disparition de certains concepts qui y sont attachés tels que la masse des créanciers, le dessaisissement du débiteur ainsi que l’automaticité de l’affectation de son patrimoine à la collectivité des créanciers. Enfin, le caractère judiciaire impose que le tribunal se prononce sur l’ouverture d’une procédure collective par le biais d’un jugement dans lequel le tribunal désignera en cas d’ouverture l’ensemble des organes de la procédure. Comme l’a précisé M. J.-C. Magendie138, les jugements doivent constituer non seulement des décisions « de justice », mais aussi et surtout des décisions qui « font » justice, le juge devant apporter des réponses appropriées aux attentes des justiciables.

26. L’émergence d’un nouveau droit des procédures collectives. L’émergence du

contentieux des procédures collectives s’est traduite par l’essor des pouvoirs des autorités judiciaires et corrélativement, par un recul des pouvoirs des créanciers139. Dans les instances concernant l’entreprise ces derniers sont représentés, si bien qu’ils ne décident absolument pas de

137 Selon l’expression du doyen HOUIN (R.), « Permanence de l’entreprise à travers la faillite », in Liber

amicorum Baron Louis Frédericq, Faculteit Der Rechtsgeleerdheid, Te Gent, 1965, p. 609.

138 Conférence de M. J.-C. MAGENDIE, Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, Gaz. Pal. 29-30 mai 2002, p. 64.

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leur sort. Le législateur a progressivement intégré les contentieux dits subjectifs, engendrés par la défaillance de l’entreprise, dans un mode de traitement objectif des difficultés d’entreprise140. D’une part, irrigué par de nombreuses sources, le droit des entreprises en difficulté est lui-même à la base de mécanismes nouveaux tels que la réserve de propriété et propriété sûreté141, cession de contrat142, ou du réveil de mécanismes anciens auxquels il a donné un second souffle, comme celui de la compensation143. Pour autant, ce droit n’est pas toujours complétement unitaire. A côté du droit général des entreprises en difficulté, force a été de constater qu’un statut spécial en tout ou partie à certaines entreprises en difficulté a été forgé : au-delà de spécificités en matière agricole qui pourraient disparaître, ce sont les entreprises dans le domaine de la banque et de l’assurance qui sont concernées. Une telle défaillance a justifié l’adoption de règles spécifiques, d’origine européenne, illustrant l’européanisation et plus largement l’internationalisation de ce droit. Ainsi le traitement de l’entreprise est présenté comme un contentieux objectif comprenant des instances périphériques144 ou complémentaires145. Sont ainsi traités en un seul et même lieu, toutes les instances pouvant dépendre de la procédure telles que les instances en revendication, en attribution judiciaire d’un gage ou encore la vérification des créances. Dès lors, les questions relatives au traitement de l’entreprise sont réservées à un seul tribunal, tribunal dont dépend le juge-commissaire désigné lors du jugement d’ouverture.

27. Le doyen Ripert ne supportait pas l’idée que l’on puisse consacrer « un droit de ne pas

payer ses dettes »146. Pourtant force est de constater que notre droit actuel du droit des entreprises en difficulté offre un moyen de ne pas les payer toutes147. Désormais, d’un point de vue économique il est affirmé que ce n’est plus un crime de ne pas payer ses dettes, puisque l’on peut s’endetter sans le vouloir, parfois même sans le savoir. La procédure collective se révèle être un excellent de moyen

140 STAES (O.), Procédures collectives et Droit Judiciaire Privé, op. cit, n°13, p. 10.

141 Sur les rapports du droit des sûretés et des entreprises en difficulté, voir L’évolution générale des sûretés réelles

depuis 25 ans, in Ouvrage collectif de l’Institut fédératif de la Recherche Droit, Mutation des normes juridiques,

Université des Sciences sociales de Toulouse, Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit, 2005, Tome 1, p. 413.

142 CAGNOLI (P.), « Le droit des entreprises en difficulté, un droit dérogatoire, révélateur et précurseur au regard des procédures civiles d’exécution », in Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou

révélateur ? F. Macorig-Venier (dir.), Presses Universitaires Toulouse 1 Capitole, 2017, p. 183.

143 Sur les rapports du droit des obligations et du droit des entreprises en difficulté, voir BORGA (M.), in Le

droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? op. cit, p. 199.

144 DERRIDA (F.), « La notion de partie dans les décisions relatives au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises », D. 1989, chron. p. 77, n°1.

145 MÉLÉDO-BRIAND (D.), Nature du droit des entreprises en difficulté et systèmes de droit, op. cit, p. 289.

146 RIPERT (G.), « Le droit de ne pas payer ses dettes », DH 1936, chron., p. 57.

147 Cf. l’article L.643-11 du code de commerce. Il convient de préciser cependant que la règle n’est pas absolue et ne concerne pas la caution ou le coobligé, la caution étant amenée à payer avant ou après le jugement d’ouverture. En ce sens : Cass. com, 28 juin 2016, n°14-21810, GP 29 novembre 2016, p. 24, obs. Dumont-Lefrand ; GP 18 octobre 2016, p. 66, note Le Corre-Broly ; GP 26 juillet 2016, p. 35, note Berland.

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de purger tout son passif. Le droit des procédures collectives est devenu un droit de la négociation entre le chef d’entreprise et le juge. Si le crédit est un moteur de l’économie, la dette lorsqu’elle devient folle, est une maladie qui ruine les entreprises et les individus. Notre société use et abuse de l’endettement, les sociétés manquant de fonds propres ; la faillite ne peut plus être vue comme un déshonneur mais comme une défense légitime et naturelle du débiteur sujet à un endettement. Toute la difficulté est de trouver un équilibre entre les droits des créanciers qui ont fait confiance au débiteur en lui accordant un crédit et l’aspiration de ce débiteur à être libéré d’un passif devenu trop lourd afin d’éviter l’effet domino. Le législateur doit avancer avec une grande prudence dans la fourniture d’outils offerts aux entreprises en difficulté pour leur permettre de se restructurer, sans pour autant porter une atteinte trop grande aux partenaires du débiteur. Chaque loi intéressant le droit des entreprises en difficulté impose une pesée des intérêts en présence, rendant la matière très politique. Même si le rapport de force entre les créanciers et le débiteur a profondément évolué depuis 1985, le législateur s’efforce toujours de trouver un meilleur équilibre reposant sur un plus grand respect des prérogatives des créanciers lorsque la liquidation est prononcée, les atteintes à leurs droits devant être justifiées par l’objectif de sauvegarde de l’entreprise. En fin de compte, le taux de sauvetage des entreprises est directement lié à son importance148.

§ 2. L’institution judiciaire et le droit des entreprises en difficulté

28. Le modèle français du tribunal de commerce est une institution hybride entre le monde

économique et le monde judiciaire qui, tout en s’ancrant dans une longue tradition, s’est transformée et adaptée au fil de l’évolution de la société. L’institution du tribunal de commerce est fondamentalement chargée de régler les litiges entre les commerçants et de gérer les procédures collectives (A). Ainsi la nature des litiges délimite sa compétence et la qualité des parties. Mais il conviendra aussi de mettre en exergue le fait qu’il serait nécessaire d’élargir la compétence matérielle de ce tribunal à l’ensemble du contentieux économique et ce, quel que soit la qualité des parties. De la sorte, se posera la question de la création d’un tribunal des affaires économiques (B).

148 BOURBOULOUX (H.), « Les chiffres trompeurs : halte aux idées reçues ! La boîte à outils du Livre VI est performante », BJE juillet 2012, p. 206 ; PÉROCHON (F.), « A propos des chiffres de la sauvegarde… », Droit et

Patrimoine mars 2013, dossier, p. 46 et s ; LE CORRE (P.-M.), Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2017/2018, 9e éd., n°041.11.

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