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Critiques doctrinales sur l’indépendance du juge consulaire. A la suite de la remise

SECTION I. Les bornes de la fonction de juge-commissaire

56. Critiques doctrinales sur l’indépendance du juge consulaire. A la suite de la remise

en question de l’indépendance des juges consulaires, le rapport parlementaire précité du 24 avril 2013 a repris cette problématique liée à ce mode d’élection. Le fait d’être des juges professionnels élus et non pas nommés par le pouvoir exécutif rend les juges consulaires certes indépendants de celui-ci mais pose le problème de leur indépendance à l’égard de leurs électeurs, lesquels sont précisément ceux qui sont susceptibles de relever de leur juridiction. La jurisprudence des juges du fond apporte malheureusement des réponses contradictoires233 à la problématique de l’interférence

230 Club Droits, Justice et Sécurité, op. cit., p. 17.

231 Club Droits, Justice et Sécurité, op. cit., p. 8 et 9.

232 Rapport d’information du 24 avril 2013, op. cit., p. 5.

233 Tantôt elle prend en compte l’existence des intérêts économiques du juge pour remettre en cause son impartialité. Tel est le cas par exemple lorsque les magistrats consulaires et l’une des parties sont liés par des rapports d’affaires (Nîmes, 23 avril 1998, JCP 1999, IV, 1318) ou encore, lorsqu’une communauté d’intérêts existe entre le juge et un repreneur potentiel d’une entreprise en difficulté (Montpellier, 8 juillet 1992, JurisData n°034312 ; rappr. à ce propos, la décision du Conseil supérieur de la magistrature rendue le 20 juillet 1994, citée et commentée par COMMARET (D.-N), « Une juste distance ou réflexions sur l’impartialité du magistrat », D. 1998, chron., p. 262 et s.

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de leurs propres intérêts économiques234. Il a toujours été observé par la doctrine235 qu’il est de bon sens d’éviter de nommer un juge-commissaire exerçant la même profession que le débiteur. Il est en effet « inopportun de placer un homme entre sa conscience et ses intérêts »236, afin d’éviter les pressions des autres commerçants.

57. Élargissement de l’assiette de l’électorat. Il est primordial de favoriser l’octroi de

qualité d’électeurs à de nouvelles catégories socio-professionnelles pour élargir l’élection des juges consulaires aux artisans237 mais également aux agriculteurs, la juridiction des tribunaux de commerce ne s’exerçant pas que sur les commerçants et les chefs d’entreprise238. Même si les

agriculteurs relèvent du tribunal de grande instance, ils sont impactés directement par les dispositions du Livre VI du code de commerce. Ils adoptent des méthodes de gestion et subissent des contraintes semblables à celles des sociétés commerciales. Un tel élargissement de la compétence matérielle des tribunaux de commerce permettrait que celui-ci ait une compétence traitant de l’ensemble des contentieux de nature économique et ce, quelle que soit la qualité des parties. L’idée de tribunaux des affaires économiques évoquée précédemment est concrétisée. Favoriser une telle ouverture de l’assiette de l’électorat peut inciter à une meilleure représentativité des différents corps de métiers au sein des juridictions mais aussi compenser avec les métiers du chiffre en général surreprésentés. Pour autant, il n’est pas question d’avoir recours à la technique controversée des quotas. En effet, cette idée semble malvenue du fait du risque de « remplissage » qui peut être effectuée par des juridictions en sous-nombre239.

58. Recrutement des juges consulaires. Dans sa décision du 4 mai 2012240, le Conseil Constitutionnel a affirmé la compétence du législateur pour modifier « les dispositions relatives aux

conditions d’accès au mandat des juges des tribunaux de commerce afin de renforcer les exigences de capacités

234 Cette problématique n’est pas une hypothèse d’école : « Les conflits d’intérêts sont … nombreux. Le cas le plus

fréquent est celui du juge consulaire cadre d’une banque créancière dans certaines affaires. De la même façon, le juge-commissaire peut être amené à rendre une décision mettant en liquidation judiciaire l’un de ses concurrents » : Rapport fait au nom de la Commission

d’enquête sur l’activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, Doc. AN, n°1038, t. I, p. 124 – Pour une illustration de cette affirmation, v. Colmar 5 décembre 2000, RTD com 2001, 247 et s., obs. Vallens : arrêt refusant qu’un juge-commissaire puisse être responsable du service contentieux d’une banque créancière de la société faisant l’objet de la procédure collective dont il avait à connaître.

235 CASTELLAN (S.-D.), Le juge-commissaire dans la faillite et le règlement judiciaire, Thèse, préface de G. Lambert, Université d’Aix-Marseille, 1964, p. 23.

236 CASTELLAN (S.-D.), Le juge-commissaire dans la faillite et le règlement judiciaire, op. cit, p. 24.

237 Proposition effectuée in Rapport n°121 présenté devant le Sénat par Monsieur Yves Detraigne, du 28 octobre 2015,

sur le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, p. 20, article 47 ; proposition n’ayant pas

été retenue à ce jour.

238 Articles L.721-3 et L.721-4 du code de commerce.

239 Il est fait référence aux juridictions de province disposant malheureusement d’un effectif réduit.

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nécessaires à l’exercice de ces fonctions juridictionnelles ». La légitimité à juger des juges consulaires tient au

mode d’élection mais aussi à la capacité des juges à comprendre et à trancher les litiges dont ils sont saisis. Afin d’évaluer la motivation, les aptitudes et la diversité des candidats sur la base de critères établis, le rapport Untermaier proposa de créer près chaque Cour d’appel des commissions formées de juges professionnels et de juges consulaires241. Ces commissions ont pour mission d’amener les candidats dans le cadre d’un entretien d’évaluation, à prendre la mesure des exigences attachées à la fonction souhaitée et d’éprouver leur motivation. A la suite de ces entretiens, une commission est en mesure d’établir les listes de candidats à l’élection en raison de leur aptitude. Cette proposition du rapport Untermaier a eu un écho certain dans le cadre du décret n°2017-1163 du 12 juillet 2017 qui a créé l’article R.722-22 du code de commerce242, imposant désormais aux candidats potentiels d’établir une déclaration d’intérêts précisant strictement certains éléments. Il semble nécessaire d’ajouter une nouvelle condition d’exclusion tendant à évincer du champ des

241 Rapport d’information du 24 avril 2013, op. cit., p. 6.

242 Article R.722-22 du code de commerce : « La déclaration d'intérêts des juges des tribunaux de commerce mentionnée au I de l'article L. 722-21 comporte les éléments suivants :

1° L'identification du déclarant :

a) Le nom, le prénom et la date de naissance du déclarant ;

b) L'adresse postale, l'adresse électronique et les coordonnées téléphoniques du déclarant ;

c) Les fonctions au titre desquelles le déclarant effectue la déclaration ainsi que la date de la prise de ces fonctions ; 2° Les activités professionnelles donnant lieu à rémunération ou gratification exercées à la date de la prise de fonctions et au cours des cinq dernières années précédentes :

a) L'identification de l'employeur ;

b) La description de l'activité professionnelle exercée ; c) La période d'exercice de l'activité professionnelle ;

3° Les activités de consultant exercées à la date de la prise de fonctions et au cours des cinq années précédentes :

a) L'identification de l'employeur ;

b) La description de l'activité professionnelle exercée ; c) La période d'exercice de l'activité professionnelle ;

4° La participation aux organes dirigeants d'un organisme public ou privé ou d'une société à la date de la prise de fonctions et au cours des cinq années précédentes :

a) La dénomination de l'organisme ou la société ;

b) La description de l'activité exercée au sein des organes dirigeants ;

c) La période pendant laquelle le déclarant a participé à des organes dirigeants ;

5° La dénomination de la société dans laquelle le déclarant détient des participations financières directes dans le capital à la date de sa prise de fonctions ;

6° Les activités professionnelles exercées à la date de la prise de fonctions par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin :

a) L'identification de l'employeur ;

b) La description de l'activité professionnelle exercée ;

7° Les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts exercées à la date de la prise de fonctions par le déclarant :

a) Le nom et l'objet social de la structure ou de la personne morale dans laquelle les fonctions sont exercées ; b) La description des activités et des responsabilités exercées ;

8° Les fonctions et mandats électifs exercés à la date de la prise de fonctions par le déclarant : a) La nature des fonctions et des mandats exercés ;

b) La date de début et de fin de fonction ou de mandat ;

La déclaration complémentaire prévue au sixième alinéa de l'article L.722-21 indique la nature et la date de l'événement ayant conduit à la modification substantielle des intérêts ».

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personnes éligibles les candidats ayant cessé leur activité professionnelle depuis plus de dix ans. Ce critère supplémentaire de sélection a eu pour objet d’exclure les juges ayant « décroché » depuis de nombreuses années de la vie des affaires.

59. Formation. L’argument tenant à l’absence de connaissance juridiques des juges

consulaires doit être relativisé. En effet, l’École Nationale de la Magistrature dispense aux juges consulaires nouvellement élus et volontaires une formation initiale de neuf jours243, comprenant huit modules d’un à deux jours, portant notamment sur la déontologie, l’organisation judiciaire, la rédaction des jugements, la procédure civile, le droit des contrats et des garanties, ainsi que des modules spécifiques portant sur les fonctions de présidence d’une chambre ou encore sur les missions du juge-commissaire. Cette formation de neuf jours est « à l’évidence insuffisante pour engranger

les connaissances suffisantes en procédure, droit commercial, droit des affaires, droit bancaire, droit de la construction, droit des assurances, et pour acquérir la technique de rédaction et de motivation des décisions »244. En matière de formation continue, l’École Nationale de la Magistrature organise chaque année deux journées de formation entièrement dédiée à l’actualité des procédures collectives. Le décret du 27 juillet 2018 a rendu cette formation dispensée aux juges consulaires obligatoire, s’agissant tant de la formation initiale que de la formation continue.

À la fin du premier mandat de deux ans, il conviendrait de créer un certificat d’aptitude aux fonctions de juge-commissaire avant justement que le juge consulaire soit « jeté dans l’arène ». Dans le cadre de la formation continue, il est nécessaire de fixer un volume horaire minimum de vingt heures annuelles et obligatoires à réaliser, à l’instar de la formation obligatoire et continue dispensée aux avocats. Cette formation gratuite ou à tout le moins défrayée, peut être dispensée par plusieurs biais cumulatifs : e-learning, conférences, colloques au sein des tribunaux de commerce, de l’Institut Français des Praticiens des Procédures Collectives (IFPPC), des Universités ou encore de l’École Nationale de la Magistrature. Tous les deux ans, les juges consulaires sont dans l’obligation d’obtenir une nouvelle certification afin de pouvoir continuer à siéger au sein de leur juridiction. L’objectif est de leur permettre d’acquérir une meilleure légitimité. En cas de carence du juge dans l’obtention de cette certification ou à défaut de suivi du volume horaire de formation, le juge en question est suspendu provisoirement.

243 Rapport d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale, présentée par Mme C. UNTERMAIER et M. M. BONNOT, présenté le 24 avril 2013, n°1006, devant l’Assemblée Nationale, op. cit.

244 Observations de l’USM sur le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, 23 mars 2016.

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