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Nombre de compositions par commune Ligne de front fin septembre

Données 11 Nombre de copies selon l’âge des enfants

Échantillon : 107 compositions

Sources : La contemporaine, F delta 1126/02 à 06

75 enfants sur les 107 dont on connaît l’âge – directement inscrit sur les copies, ou bien retrouvé dans les registres d’état-civil –, soit environ 70 %, ont entre 11 et 13 ans, ce qui correspond généralement à la dernière année où les élèves fréquentent l’école primaire26. Comme le laissaient penser les réponses aux questionnaires, les maîtres et les maîtresses ont surtout privilégié les élèves les plus âgés. De plus, un nombre important d’élèves (24, soit 22 %) ont 14 ans ou plus. Huit de ces copies sont en fait issues de l’école primaire supérieure de filles de Tourcoing où, on l’a vu, les élèves ont entre 14 et 17 ans27. Deux autres compositions

26 D’après Ferdinand BUISSON, « Certificat d’Études Primaires Élémentaires », Dictionnaire de Pédagogie de l’Instruction primaire, art. cit., « La loi du 28 mars 1882 a consacré l’institution du certificat d’études, en fixant à onze ans l’âge auquel les enfants peuvent se présenter à l’examen et en dispensant ceux qui l’ont subi avec succès de fréquenter plus longtemps l’école primaire ».

27 La contemporaine, 1126/05/B. 720. – Tourcoing (59), École primaire supérieure de filles : Travaux d’élèves, territoire occupé par les armées allemandes. – Du 8 juin 1920 au 9 juin 1920.

Il s’agit de l’unique cas où un établissement autre qu’une école primaire a été sélectionné. Cette école a été conservée dans le corpus enfin d’équilibrer la répartition filles-garçons et parce qu’elle permet une comparaison entre ces adolescentes qui poursuivent leurs études et les autres enfants de leur âge qui fréquentent encore l’école primaire et semblent donc en retard dans l’apprentissage.

2 6 12 42 21 11 5 5 3 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 9 10 11 12 13 14 15 16 17 No m b re d e co p ies

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de la commune de Neuville-en-Ferrain sont aussi rédigées par d’anciens élèves de l’école, âgés de 16 et de 17 ans et déjà entrés dans la vie active. En revanche, rien dans les 14 autres copies ne laisse à penser qu’elles ne soient pas écrites par des enfants qui fréquentent encore l’école primaire. Cet âge avancé pour les autres enfants peut s’expliquer par l’impact négatif qu’a occasionné l’occupation sur l’enseignement, et le retard qui a été accumulé chez certains enfants.

Il est aussi possible que certains aient, à l’image de cet instituteur de Neuville-en-Ferrain, invité d’anciens élèves restés dans la commune à réaliser l’exercice. Les maîtres et maîtresses qui ont fourni les copies de ces 14 élèves de 14 ans et plus ne précisent malheureusement rien à leur égard, il reste donc difficile de confirmer ces hypothèses. En revanche, uniquement huit copies, soit seulement 7 % du corpus, sont écrites par des enfants de 9 ou 10 ans, l’âge le plus bas retrouvé. Cette absence des plus petits est surtout due, on l’a vu, au refus des instituteurs et des institutrices de faire témoigner leurs élèves des premières classes (cours préparatoire et cours élémentaire, de 6 à 9 ans), ces derniers étant considérés comme trop jeunes pour se souvenir de l’occupation et pour la mettre en récit. Les plus petits des cours préparatoires venaient alors à peine de naître en 1914, et les plus grands du cours élémentaire n’avaient que trois ans. On verra dans le chapitre suivant comment les élèves eux-mêmes abordent – ou pas – le problème posé par leur âge et leur remémoration des événements.

La phase du retour des compositions – des salles de classe au fonds d’archive – laisse ainsi à la fois apparaître d’autres biais inhérents à l’organisation d’un concours scolaire pour le chercheur qui s’intéresse aux productions enfantines – avec notamment la destruction de la quasi-totalité des récits des enfants – mais aussi ce qu’elle peut lui apporter. L’école de la république a en effet pour elle, par cette pratique de concours, et malgré tous ses biais, de donner la parole à des acteurs qui ne l’ont normalement jamais.

A l’issue de ce cheminement, fait à hauteur d’adulte, entre ministère, salles de classe et fonds d’archive, les récits de guerre rédigés par ces enfants du Nord apparaissent comme le fruit d’une volonté politique et d’une expérience historique extraordinaire. Leur émergence en mai 1920 n’est pas inédite : déjà, pendant la guerre, les élèves avaient été invités à produire, dans le cadre scolaire, des devoirs plus ou moins autobiographiques, et plus ou moins dirigés, sur la manière dont ils percevaient le conflit. L’enquête menée par le recteur Georges Lyon a en revanche la particularité de constituer une forme de réappropriation régionale à partir d’une

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initiative nationale : les enfants du Nord, de par la place qu’occupe la figure enfantine dans le discours de guerre, de par, aussi, la sincérité et l’innocence qui leur sont souvent prêtées, de par, enfin, leur rôle émergent de porteur de la mémoire, constituent des témoins particuliers de l’occupation, dont les récits doivent pleinement contribuer à l’entretien et la perpétuation de cette mémoire. En théorie tout du moins.

La mise en place de l’exercice dans les salles de classe témoigne d’une certaine divergence entre l’enthousiasme de ceux qui lancent les enquêtes et la réalisation plus timorée de ceux qui l’appliquent. Les maîtres et maîtresses adoptent des positions plurielles, parfois contradictoires, envers l’exercice qui leur est demandé : une majorité le met en œuvre consciencieusement quand une minorité dit ne pas pouvoir, ou ne pas vouloir le réaliser. Beaucoup semblent attacher de l’importance à l’authenticité de ce qui est raconté, malgré le caractère paradoxal qu’induit l’écriture d’un témoignage au travers d’une composition, et l’étude en détail des récits dans les chapitres suivants montre que cette contradiction touche aussi les enfants. Aux yeux des instituteurs et des institutrices, ces exercices n’entrent donc pas nécessairement en rupture avec la pratique traditionnelle de la composition. Ils s’insèrent au contraire dans un héritage que la Grande Guerre ne vient pas modifier ou renouveler mais relégitimer.

Dans cette phase de « retour », subsistent encore certaines interrogations, notamment celle de leur réception lors de l’Exposition : l’absence quasi-totale de documentation à leur sujet témoigne-t-elle d’un impact somme toute limité ? Pourquoi, aussi, cette surreprésentation du département du Nord dans le corpus qui existe aujourd’hui ? Les récits analysés sont donc ceux qui auront été considérés comme les « meilleurs » aux yeux des adultes, ceux qui auront résisté à tous les obstacles qui ont jalonné leur parcours entre les salles de classe et le fonds d’archives.

Face aux 135 récits que l’enquête de l’académie de Lille nous offre à voir, une question simple émerge avant tout : que racontent les enfants ? L’étude des compositions des élèves entre directement en écho avec la « situation28 » dans laquelle ces derniers ont été amenés à les rédiger : parce qu’ils sont le produit d’un moule scolaire et qu’ils ont répondu aux attentes des adultes, leurs récits ne risquent-ils pas d’être, sur la forme comme sur le fonds, assez similaires ?

28 Michael POLLAK, L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Point, 2014 (1ère édition en 1990), p. 186.

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