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L’enquête de l’académie de Lille (mars juin 1920) Du ministère aux salles de classe, des salles de classe au fonds

Données 5 Nombre de compositions envoyées par classe

Echantillon : 76 questionnaires

Sources : La contemporaine, F delta 1126/02-05

Deux motifs principaux reviennent en permanence pour justifier la sélection des récits : ce sont soit « les meilleurs », soit les « plus intéressants59 » Or, pour une vingtaine d’instituteurs, d’institutrices, de directeurs et de directrices – sur les 195 qui évoquent d’une manière ou d’une autre les compositions dans leur questionnaire, soit environ 10 % des mentions – aucune des copies n’apparaît comme suffisamment bonne ou « intéressante » pour être envoyée. Comme pour la majorité des maîtres et maîtresses qui n’ont pas fait rédiger leurs élèves, la confusion des souvenirs et le niveau scolaire trop peu élevé des élèves apparaissent de nouveau parfois comme des justifications. L’instituteur de Condé-sur-Aisne écrit par exemple : « Interrogés par moi, les élèves actuels de l’époque, tous très jeunes à l’époque de l’invasion, n’ont que des souvenirs très confus de cette époque60 ». Cependant, pour la plupart de ces maîtres et maîtresses, le problème ne réside pas dans l’authenticité ou même la vraisemblance de ce que raconte l’élève, mais dans la valeur de son contenu. Pour l’instituteur

59 La contemporaine, F delta 1126/02 à 06, réponses aux questionnaires des instituteurs et des institutrices. 60 La contemporaine, F delta 1126/04/B. 664, réponse au questionnaire de l’instituteur de l’école de Condé-sur- Aisne (Aisne). 21 17 15 10 3 1 2 1 2 2 2 0 5 10 15 20 25 1 2 3 4 6 7 8 9 10 12 14 No m b re d e class es

Nombre de copies envoyées

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de Nouvion-sur-Meuse, dans les Ardennes, « les devoirs traités n’ont relaté que des choses insignifiantes61 ». De même pour l’institutrice de Mauregny-en-Haye, dans l’Aisne : « les copies de compositions françaises sont si peu intéressantes que je ne juge pas à propos de les envoyer62 ». La plupart des expressions utilisées – « aucune particularité intéressante », « que des choses insignifiantes », « aucun intérêt marquant », « rien de particulier » – laissent à penser que les compositions ont été rejetées car trop conventionnelles, sans originalité. Quel intérêt, en effet, pour ces maîtres et maîtresses, à envoyer ces récits dans le cadre d’une exposition qui doit justement présenter les circonstances les plus « remarquables » et les plus « pathétiques » de l’occupation allemande ?

L’étude des conditions pratiques de rédaction laisse donc apparaître une dichotomie entre les initiatives enthousiastes d’en haut, celles du ministre et du recteur, et la réalisation plus mesurée et plus conventionnelle d’en bas, menée par les instituteurs et les institutrices. La manière dont ces derniers ont compris la première enquête, initiée par le ministre, semble ainsi préjudiciable à la participation des enfants : les devoirs rédigés par les élèves ne sont peut-être pas considérés comme des documents « intéressants » dans le cadre d’une collecte de documents historiques. La deuxième enquête dirigée par le recteur Georges Lyon, plus prononcée et d’apparence plus classique, connaît meilleur sort. Mais la forme choisie pour faire parler les enfants, une composition, induit un tiraillement entre exactitude et mise en scène dans ce qui est attendu : la demande d’un « fait dramatique » dans les compositions pose particulièrement problème. La consigne choisie, la mise en application de la composition puis l’important tri ensuite opéré par les instituteurs et institutrices confirment par ailleurs le caractère conventionnel dont s’empreint cette sollicitation du vécu. Des matériaux qui ont été analysés se dessine donc un constat : la continuité pédagogique semble l’emporter – chez les instituteurs et les institutrices – sur la rupture provoquée par la Grande Guerre et l’occupation. Pour ces derniers, l’enfant reste avant tout un élève, et l’attention portée à l’exercice semble davantage relever d’une volonté de transmettre de beaux récits pour l’exposition ; manière, indirectement, de se mettre en valeur.

61 La contemporaine, F delta 1126/04/B. 654, réponse au questionnaire de l’instituteur de l’école de Nouvion-sur- Meuse (Ardennes).

62 La contemporaine, F delta 1126/05/Bx. 008, réponse au questionnaire de l’institutrice de l’école de filles de Mauregny-en-Haye (Aisne).

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Chapitre 3 – Les compositions, des salles de classe au fonds d’archives

L’ensemble des documents issus des deux enquêtes respectives du ministre André Honnorat et du recteur Georges Lyon devait normalement compléter les collections de la Bibliothèque-Musée de la Guerre. Or, aujourd’hui, le fonds de l’académie de Lille n’offre à voir que très peu de travaux enfantins. L’absence de devoirs d’élèves émanant de la première enquête s’explique par la faible résonance engendrée par l’appel du ministre à faire parler les élèves et, surtout, par le peu d’intérêt que semblent avoir accordé les maîtres, maîtresses, directeurs et directrices d’écoles à la parole enfantine dans le cadre d’une collecte de matériaux dits historiques. La disparition de la très grande majorité des compositions en ce qui concerne la deuxième enquête pose en revanche davantage question. La circulation pour le moins heurtée, jalonnée de plusieurs obstacles, de ces productions enfantines, des salles de classe au fonds d’archives, a ainsi entraîné une perte importante : 135 copies ont été retrouvées dans le fonds de l’académie de Lille, ce qui semble bien peu en regard des 1480 questionnaires de maîtres et de maîtresses encore existants1. Enfin, l’analyse en détail du corpus de compositions qui sont traitées dans notre étude témoigne de déséquilibres certains, notamment au niveau de la répartition spatiale, genrée, et des âges, mais comporte aussi quelques atouts inhérents à l’enquête en milieu scolaire, avec notamment la mise en avant d’une parole populaire et rurale. Quel rôle ont pu jouer les acteurs académiques, notamment la Commission mise en place pour trier les matériaux en vue de l’Exposition Internationale de Lille, dans la destruction de ces copies ? Quelle réception ces récits ont-ils connue lors de l’exposition ? Comment s’est organisé le versement de ces documents à la Bibliothèque-Musée de la guerre ? Une place spéciale a-t-elle été réservée aux récits des plus petits ?

1. Tri, réception, et conservation des devoirs des enfants

Le peu de documentation retrouvé quant à cette phase de retour des récits rend difficile, pour la première comme pour la deuxième enquête, l’analyse du tri, puis de la réception et de

1 Le nombre de questionnaires que contient le fonds est donné par Aldo BATTAGLIA dans « Le fonds de l’académie de Lille 1914-1920 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 101-102, n °1, 2011, p. 84-88, p. 86.

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la conservation de ces devoirs d’enfants. Il semble cependant que l’enquête du ministre André Honnorat ait – encore une fois – connu moins de succès que celle du recteur Georges Lyon.

A. La disparition des copies des deux enquêtes

Hormis quelques récits dont il est difficile de dire s’ils sont issus de la première ou de la deuxième enquête, car ils ne sont pas datés, le fonds de l’académie de Lille comporte surtout des compositions françaises issues de l’enquête du recteur. Les instituteurs, institutrices, directeurs et directrices ont sans doute joué un rôle important – nous l’avons vu dans le chapitre précédent – dans cette absence de devoirs d’enfants malgré l’appel du ministre. Mais les inspecteurs primaires et les inspecteurs d’académie chargés de faire remonter les documents collectés ont également pu détruire des travaux d’enfants. Dans un rapport envoyé le 22 mai 1920 à l’inspecteur d’académie du Pas-de-Calais, l’inspecteur primaire de la circonscription de Montreuil-sur-mer mentionne les documents qu’il a collectés :

Documents recueillis sur la guerre.

1- Lettres de soldats – 2

2- Correspondances de prisonniers – néant 3- Carnets de route – 5

4- Mémoires et souvenirs personnels – 4

5- Devoirs d’élèves – néant (ceux que j’ai reçu sont sans intérêt)2

L’inspecteur primaire a reçu des devoirs d’élèves mais ceux-ci, sans intérêt à ses yeux, sont condamnés au « néant ». À un premier obstacle, celui des instituteurs et des institutrices, s’en ajoute dès lors immédiatement un second : celui des inspecteurs primaires, chargés de rassembler les documents collectés. Le peu de rapports retrouvés dans le fonds de l’académie de Lille et aux archives départementales invite à ne pas généraliser, faute d’une étude réellement quantitative. Il semble cependant que l’absence de témoignages enfantins à la suite de cette

2 La contemporaine, Nanterre, F delta 1126/06/C. 181, rapport de l’inspecteur primaire de Montreuil-sur-mer à l’inspecteur d’académie du Pas-de-Calais, le 22 mai 1920.

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première enquête ne soit pas uniquement due au refus des maîtres et des maîtresses de faire participer leurs élèves, qui est malheureusement difficile à évaluer, mais aussi à une destruction des documents au fur et à mesure de leur transmission le long des différents échelons académiques.

Un nombre bien plus conséquent de devoirs d’élèves semble avoir été envoyé dans le cadre de la deuxième enquête, menée par le recteur Georges Lyon, puisque 7 % des 1480 instituteurs, institutrices, directeurs et directrices précisent, dans leur questionnaire, avoir envoyé des copies de leurs élèves. Or, seules 5% des compositions évoquées dans ces questionnaires ont été aujourd’hui retrouvés.

Données 6 – Questionnaires qui mentionnent des envois et dont les compositions ont été

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