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Nombre de compositions par commune Ligne de front fin septembre

Données 10 Métiers des pères

Échantillon : 71 déclarations de naissance

Sources : ADN, Série E, Sous-Série 3E – Registres paroissiaux et d’État-civil

Une majorité d’enfants semble provenir d’un milieu modeste puisque presque 70 % des pères indiquent exercer la profession d’ouvrier (journalier, homme de peine, mineur, cantonnier, presseur, tisseur, emballeur, etc.), d’ouvrier agricole (fermier, cultivateur, bûcheron, garde-chasse) ou d’artisan (maçon, charpentier, menuisier, verrier, forgeron, charron, sabotier…). Quelques élèves mentionnent également dans leurs copies le métier de leur père : mineurs, gardes-chasses et employés de chemin de fer. Maurice, âgé de 13 ans, précise par exemple, lorsqu’il raconte l’invasion de son village18 « Vers quatre heures du matin, mon père étant à la mine, on entendit des coups de canon répétés et venant de Bonsecours ». L’absence de presque la moitié des déclarations de naissance et surtout l’impossibilité de toucher au plus près les réalités sociales de chacune des situations invite à nuancer ce constat : chaque catégorie peut recouvrir des variations importantes quant au niveau de vie. Pourtant, presque aucun des métiers renseignés ne relève d’appartenance à des groupes sociaux aisés pour l’époque : pas de fonctionnaire moyen ou de haut-fonctionnaire, pas de profession juridique ou intellectuelle, pas de fraction possédante. La grande majorité des mères évoquées dans les registres de naissance sont déclarées comme ménagères (51 %), sans profession (21%) ou n’ont pas de profession

18 La contemporaine, F delta 1126/06/C. 133, composition de Maurice Soisson, 13 ans, élève à l’école de garçons de Fresnes (Nord). 22 22 5 2 13 2 4 1 0 5 10 15 20 25

Artisan Ouvrier Ouvrier

agricole

Autre Employé Instituteur Petit

commercant

Imprimeur

Classes populaires Petite bourgeoisie Bourgeoisie

moyenne N o m b re d e p ère s Métiers

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spécifiée (5%). On compte parmi les 23 % restantes presque uniquement des métiers de labeur : couturières, tisseuses, cultivatrices, presseuses, journalières…

L’enquête en milieu scolaire, malgré tous ses biais, semble donc présenter un avantage en regard d’autres sources enfantines, notamment les journaux intimes, généralement mobilisés par le chercheur : celui de laisser la parole à des milieux sociaux qui ne l’ont que très rarement. La demande de bourse d’une des élèves dont la composition existe encore aujourd’hui, Isabelle Thomé, 13 ans en 1920, précise ainsi qu’elle est « la fille de M. Thomé, Capitaine au 110ème régiment d’Infanterie à [illisible] dont la famille se compose de 4 enfants âgés de 19-18-13 et 3 ans. Nous ne connaissons pas d’autres ressources au Capitaine Thomé que sa solde d’officier19 ». Les enseignants, fervents défenseurs de « l’école du même », où les distinctions sociales n’ont pas leur place, ont sûrement joué un rôle important. La sélection des récits lors du déroulement de l’enquête entre parfaitement en adéquation avec l’idéal méritocratique républicain. Comme le rappellent Jacques et Mona Ozouf, « en couronnant l’enfant pauvre sur les estrades de la distribution des prix, l’école publique montre qu’elle n’entend rien céder aux inégalités héritées. Mais elle montre aussi qu’elle ne conçoit pas l’égalité, bien au contraire, comme antinomique de la hiérarchie des aptitudes et des travaux. Le classement est instrument de l’égalité20 ».

C. Un déséquilibre entre filles et garçons ?

Aux deux historiens de poser ensuite la question « Cette égalité est-elle aussi celle des hommes et des femmes ? ». Selon eux, oui : « Comme elle [l’école publique] le faisait pour la différence sociale, elle niait, ou plutôt elle ignorait la différence sexuelle, dans l’hommage rendu à l’égalité en tous de la raison21 ». Est-ce perceptible à travers l’enquête ? Si une place non négligeable est donnée aux filles (56 copies sur 135, soit 41 %), la parole reste majoritairement masculine (79, soit 58%). Cette répartition est en fait représentative – mais pas nécessairement corrélée – d’un déséquilibre au niveau des effectifs scolaires lors de la rentrée 1919 : le rapport annuel de l’inspecteur d’académie du Nord lors du Conseil général de juin

19 Archives départementales du Nord (ADN), 5 Z 1176. Correspondances échangées entre le sous-préfet et les maires des communes de l’arrondissement au sujet de l’enseignement. 1913-1933. Demande de bourse de l’élève Isabelle Thomé.

20 Mona et Jacques OZOUF, La République des instituteurs, Paris, Le Seuil, 1992, p. 277. 21 Ibid., p. 278.

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1920 montre que le nombre de filles présentes à l’école le premier jour de décembre 1919 est de 66 437 pour 88 521 inscrites (soit un absentéisme d’environ 25 %), et le nombre de garçons présents est de 88 771 pour 95 345 inscrits (absentéisme d’environ 7%)22. Plus de garçons que de filles sont ainsi présents à l’école lors de l’année scolaire 1919-1920, année où sont écrits les récits dans le département du Nord, d’où sont issues une très grande majorité des compositions du corpus. La répartition proportionnelle pour un corpus de 135 compositions au regard du nombre de garçons et de filles présents à l’école fin 1919 s’établirait ainsi à 58 copies de filles et 76 copies de garçons pour le département du Nord, ce qui est finalement très proche de la répartition réelle de notre corpus.

Peut-on voir dans ce relatif équilibre genré la trace du recteur Georges Lyon, qui s’implique personnellement dans la commission en charge du tri des copies en vue de l’Exposition23 ? Ce dernier est en effet, selon Philippe Marchand, « animé de la profonde conviction de l’égalité des sexes, encore loin d’être partagée par tous24 ». Dans un discours prononcé le 11 juillet 1925 lors d’une distribution des prix d’un collège de jeunes filles à Châtellerault, en Nouvelle-Aquitaine, le recteur met en avant « la multitude d’intelligences et d’énergies féminines, toutes préparées à remplir tant et tant de tâches devenues vacantes25 » au sortir de la Grande Guerre. Sa « foi dans la promotion de la jeune fille » a donc peut-être joué un rôle, même si aucun autre indice ne permet de confirmer cette hypothèse.

D. Plus l’écolier est âgé, plus il est sélectionné

Enfin, de la petite Thérèse Potvin, 9 ans, au presque adulte Georges Callewaert, 17 ans, l’enquête de l’académie de Lille offre à voir, chez les enfants dont les copies ont été sélectionnées, une variation d’âge assez importante. Cette variation est la même chez les filles

22 Cet absentéisme féminin est-il consubstantiel à l’expérience de la guerre et de l’occupation ? À la rentrée d’octobre 1920, l’absentéisme des filles rejoint celui-des garçons, c’est-à-dire environ 10 % (84 590 présents pour 92 525 inscrits, 78 900 présentes pour 86 259 inscrites), d’après P. MARCHAND, « La reconstitution de l’école primaire dans le département du Nord (1918-1926) », in Jean-François CONDETTE (dir.), La Guerre des cartables (1914-1918), Elèves, étudiants et enseignants dans la Grande Guerre en Nord-Pas-de-Calais, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2018, p. 457-471, p. 467.

23 Philippe MARCHAND, « Enseignants et élèves de l’académie de Lille… » art. cit., p. 152.

24 Philippe MARCHAND, « Georges Lyon : un grand recteur d’académie à Lille de 1903-1924 », in Jean-François CONDETTE et Henri LEGOHEREL (dir.), Le recteur d’académie : deux cents ans d’histoire, Paris, Cujas, 2008, p. 134-155, p. 141.

25 ADN, 87 J 19, discours prononcé lors de la distribution de prix du 11 juillet 1925 au collège de jeunes filles de Châtellerault.

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et les garçons. Dans les deux cas, il apparaît cependant que les enfants les plus âgés de l’école primaire ont été privilégiés au détriment des plus petits.

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