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La mise en avant des figures d’autorité, symboles de la brutalité allemande

Les récits des enfants, entre conformité à l’injonction scolaire et expression personnelle

Données 18 – Dénomination de l’Allemand dans les copies (les 15 mots les plus employés 4 )

B. La mise en avant des figures d’autorité, symboles de la brutalité allemande

Cette conduite uniforme des Allemands s’explique, selon les enfants, par une soumission passive à l’autorité. Dans le tableau qu’elle fait de l’Allemand, M. Leroy souligne que ce dernier « est le sombre exécuteur des hautes et basses œuvres de son chef ». Les copies des élèves mettent en relief plusieurs figures – l’officier, qui apparaît à 37 reprises, le gendarme, cité 24 fois, le commandant ou le chef, 22 fois – qui sont associées à des types d’action spécifiques : les « officiers », les « chefs » ou les « commandants » mènent les perquisitions,

9 La contemporaine, F delta 1126/05/Bx. 006, composition d’André Robert, âgé inconnu, élève à l’école de garçons de Busigny (Nord).

10 La contemporaine, F delta 1126/02/B. 286, composition de Georges Callewaert, 17 ans, pour l’école de garçons de Neuville-en-Ferrain (Nord).

11 Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, La guerre des enfants 1914-1918. Essai d’histoire culturelle, Paris, Armand Colin, 1993, p. 113. L’historien cite une quantité d’histoires relayées par la presse enfantine et les manuels scolaires, qui sont parfois très similaires à celles qu’on peut retrouver dans les rédactions des enfants.

12 Le logiciel TXM donne un indice de sous-représentation du mot « Boche » de -5,8 pour les filles : il apparaît 23 fois (sur 56 copies) chez les filles, et 81 fois (sur 79 copies) chez les garçons.

13 Philippe SALSON, « 1914-1918 : les années grises. L’expérience des civils dans l’Aisne occupée », thèse

soutenue à l’université Paul Valéry Montpellier III, Montpellier, sous la direction de Frédéric Rousseau, 2013, 1102 pages : « Le soldat allemand est alors souvent caricaturé, la comparaison animale étant très fréquente. », p. 998.

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ordonnent les enlèvements et décident des exécutions, trois actes qui – nous l’avons analysé –, sont particulièrement dénoncés par les élèves : « les officiers ordonnèrent bien souvent aux soldats de piller les logis pendant un temps déterminé14 » écrit par exemple Lucie, 17 ans. Robert, lui, dont l’âge n’est pas connu, raconte comment un officier ordonne l’exécution d’un vieillard : « Le vieux M. Lescot étant sourd, n’avait pas entendu qu’il fallait rentrer avant neuf heures […] L’officier voulut lui parler, mais le vieux était sourd et n’ayant pas compris, ne put répondre. Aussitôt l’officier commanda le peloton de se mettre en ligne et de le fusiller15 ». Les gendarmes, eux, contrôlent les civils, donnent des amendes, emprisonnent, et portent des coups aux enfants ou à leurs familles. Les sentinelles, enfin, 12 fois citées, rappellent aux occupés l’impossibilité de s’enfuir : « Je me rappelle la profonde indignation qui parcourut la ville quand une sentinelle tua une jeune fille à la frontière belge16», écrit Simone, 17 ans. Ces trois acteurs sont souvent mis en scène dans les « faits dramatiques » racontés par les élèves. Ils se livrent alors à des violences particulièrement extrêmes, en premier lieu sur les femmes et les enfants. Olga Gilles, dont l’âge n’est pas connu, raconte :

En octobre 1917, habitant la ferme du château de la Motte, le Caporal Hubert chef des perquisitions arriva chez nous furieux, demandant à ma sœur s’il y avait encore du vin au château. Intimidée elle hésita à répondre. « Je ne sais pas » aussitôt il la mit en joue disant de mieux le renseigner ou gare… Ma sœur répéta non : « je ne sais pas ». La saisissant alors par le bras et la serrant très fort la Caporal Hubert la conduisit au grenier lui disant : parle, dis tout ce que tu sais ou toi, capout… Ma sœur saisie tomba en syncope, le caporal Hubert la laissa et partit ? Pendant ce temps Maman et moi pleurions terrifiées.

L’image particulièrement dépréciative qui est donnée des figures d’autorité renvoie à une représentation partagée par l’ensemble des occupés durant le conflit, mais aussi par tous les Français en général. Dans leur questionnaire, les instituteurs et les institutrices insistent eux aussi sur la brutalité propre aux officiers ou aux gendarmes17. Cette mise en avant des figures

14 La contemporaine, F delta 1126/05/B. 720, composition de Lucie Godart, 17 ans, élève à l’école primaire supérieure de filles de Tourcoing (Nord).

15 La contemporaine, F delta 1126/05/Bx. 006, composition de Robert Tilmant, âge inconnu, élève à l’école de garçons de Busigny (Nord).

16 La contemporaine, F delta 1126/05/B. 720, composition de Simone Deleplace, 17 ans, élève à l’école primaire supérieure de filles de Tourcoing (Nord).

17 Philippe SALSON, « Dire l'occupation. Les instituteurs de l'Aisne rendent compte de l'occupation de 1914 à 1918 à leurs supérieurs », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 101-102, no. 1, 2011, p. 77-83 : « Les

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d’autorité permet surtout de reprendre certains stéréotypes inhérents au Boche, comme ici celui de l’Allemand porté sur la boisson. Les scènes racontées sont particulièrement violentes. Dans le récit d’Olga, la sœur finit par perdre connaissance. Désiré, âgé de 12 ans raconte, lui, comment le « chef de culture Willem », donne des coups de fouets à des enfants qui ne l’ont pas salué dans la rue18. Les coups sont alors si forts que « le pauvre Edmond avait les jambes toutes bleues ». Et l’élève de conclure : « Je plains les petits garçons en Allemagne ». On retrouve avec cette dernière remarque l’idée ancrée dans le discours scolaire comme dans la littérature juvénile que la discipline brutale du Boche n’est pas le fruit de la guerre mais bien inhérente à la Kultur allemande19. Toutefois, au-delà de cette volonté de dénoncer et de dramatiser, la récurrence de ce genre d’épisodes montre aussi la forte empreinte que semblent avoir laissée ces épisodes de violences qui, quand ils les concernent directement, ne semblent jamais inventés. En effet, à, l’image d’Olga, les enfants ne cachent pas la terreur qu’ont provoquée en eux ces confrontations.

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