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Lancement et partition de l’enquête dans le ressort de l’académie de Lille

L’enquête de l’académie de Lille (mars juin 1920) Du ministère aux salles de classe, des salles de classe au fonds

A. Lancement et partition de l’enquête dans le ressort de l’académie de Lille

Le 8 mars 1920, le ministre André Honnorat adresse une circulaire à l’ensemble des recteurs d’académie du territoire français. Celle-ci leur enjoint d’organiser la collecte de « manuscrits susceptibles de fournir à l’historien des données inédites soit d’ordre militaire, soit d’ordre psychologique […], notamment les correspondances de soldats et d’officiers au front ou dans les camps de prisonniers, les carnets de route (etc.)34 ». Ces documents ont alors vocation à alimenter la Bibliothèque-musée de la Guerre, une institution fondée en 1918, après que les époux Leblanc, un couple d’industriels parisiens, eut fait don à l’Etat, une année auparavant, de tous les documents en lien avec le conflit qu’ils avaient collectés pendant la guerre : des livres, des revues, des journaux de presse, des peintures, des dessins, des affiches, des photographies, 22 000 pièces au total35. Le ministre, passionné d’histoire, veut alors contribuer à la création de ce fonds documentaire devant servir à l’écriture scientifique de la Grande Guerre36. L’interprétation historique du conflit est alors indissociable du jeu politique et diplomatique entre vainqueurs et vaincus. Une grande question domine les débats : celle des responsabilités dans le déclenchement de la guerre mais aussi dans la pratique d’« atrocités37 » sur les civils belges et français lors de l’invasion en 1914. Les matériaux collectés constituent alors autant de preuves pour incriminer le camp adverse. Le ministre ne manque d’ailleurs pas

34 Bulletin de l’Instruction primaire de la Vendée, 54e année, mai 1920, p. 53. Cité par P. MARCHAND dans « Enseignants et élèves de l’académie de Lille… », art. cit., p. 148.

35 D’après la section « Repères historiques » du site internet de La contemporaine. En 1934, la Bibliothèque-musée de la Guerre est renommée Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC). En 2018, elle devient : La contemporaine. Bibliothèque, archives, musée des mondes contemporains. Lien hypertexte : http://www.lacontemporaine.fr/la-bdic/reperes-historiques. Consulté le 05/02/2020.

36 D’après P. MARCHAND, « Enseignants et élèves de l’académie de Lille… », art. cit., p. 148. 37 Alain PROST, Jay WINTER, Penser la Grande Guerre, Paris, Éditions du Seuil, 2004.

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de rappeler que l’Allemagne met elle aussi en place des centres de conservation documentaire. Son enquête s’inscrit donc dans la lignée des enquêtes académiques du temps de guerre qui faisaient des instituteurs et des institutrices des acteurs de premier plan dans l’écriture de l’histoire du conflit et la collecte de matériaux historiques : il faut en effet rassembler et conserver des traces du conflit pour façonner une histoire de la guerre qui légitime certaines revendications sur le plan national, pour le présent comme pour le futur. A ce stade, le ministre ne mentionne pas encore de potentiels travaux d’enfants.

Dans une deuxième circulaire datant du 31 mars, André Honnorat répond au recteur de l’académie de Lille Georges Lyon, qui lui avait alors demandé des précisions sur la nature des matériaux à collecter38. Cette correspondance est particulièrement importante, car elle fait la distinction entre les matériaux relatifs à la guerre dans son ensemble et ceux propres à l’occupation : « Parmi les documents dont il s’agit, on peut distinguer ceux qui intéressent toutes les parties du territoire et ceux qui concernent plus spécialement le ressort de votre Académie ». Dans la première partie figurent les correspondances de soldats et d’officiers, les correspondances de prisonniers, les carnets de route, les mémoires et souvenirs personnels rédigés par des militaires ou des civils, des papiers pris sur l’ennemi. La deuxième catégorie comprend, elle, les correspondances clandestines, les journaux et souvenirs rédigés par les habitants des territoires occupés, des documents concernant le ravitaillement et le prix des denrées ainsi que les papiers laissés par l’occupant allemand après son départ. André Honnorat précise même, à la fin de sa circulaire, « qu’une documentation spéciale sur l’état et la vie de l’enseignement à tous ses degrés dans votre ressort pendant l’occupation offrirait également un grand intérêt ». C’est donc le ministre, et non le recteur, qui lance une deuxième enquête concernant les régions anciennement occupées. Ce dédoublement ouvre un espace d’expression plus large aux civils, même si l’accent est mis sur une mémoire résistante, à la différence des autres départements, qui doivent fournir des documents avant tout relatifs à une mémoire combattante.

Les instructions du ministre sont ensuite transmises aux enseignants à travers deux canaux différents. La circulaire du 31 mars est d’abord publiée dans le numéro d’avril-mai du Bulletin de l’enseignement primaire du Nord – mais, curieusement, pas dans celui du Pas-de-Calais. Les

38 Cette circulaire est publiée dans la section « Lois, décrets, arrêtés et circulaires ministérielles » du Bulletin de l’enseignement primaire, Académie de Lille, Département du Nord, avril-mai 1920, « Lettres ministérielles relatives aux documents à recueillir pour la Bibliothèque de la guerre », p. 131. Voir Annexe 2, p. 244.

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consignes transitent également, courant avril, à travers les différents échelons académiques au moyen de notes de service. L’inspecteur d’académie du Pas-de-Calais transmet par exemple les instructions du ministre à l’inspecteur primaire de Lens dans une note datant du 16 avril39. Le fait que ce document ait été retrouvé dans le fonds de l’école de garçons de Pont-à-Vendin dans le Pas-de-Calais confirme que l’inspecteur primaire a lui aussi relayé la consigne aux établissements de sa circonscription. Les directeurs et directrices font alors lecture des consignes aux maîtres et maîtresses, notamment lors des réunions pédagogiques, comme pour le collège de jeunes filles Fénelon à Lille, le 30 avril40.

Données 1 – Circulation de l’enquête du ministre André Honnorat dans le ressort de l’académie de Lille (mars-mai 1920)

Sources : La contemporaine, F delta 1126/02-06 ; Bulletin de l’enseignement primaire, Académie de Lille, Département du Nord, avril-mai 1920 ; ADPdC, T 2829 – Pont-à-Vendin, École de garçons. Notes de service et instructions de l’Inspection primaire de Lens, puis de l’Inspection primaire de Béthune (3e circonscription), 1919- 1939.

Pour ce collège, les consignes du ministre ont donc mis un mois à parvenir. N’est-ce pas trop long ? Les inspecteurs d’académie, inspecteurs primaires et directeurs et directrices

39 ADPdC, T 2829 – Pont-à-Vendin, École de garçons. Notes de service et instructions de l’Inspection primaire de Lens, puis de l’Inspection primaire de Béthune (3ème circonscription), 1919-1939.

40 ADN, 2T 2296, procès-verbal de la réunion du conseil des professeurs du collège de jeunes filles de Fénelon à Lille, 30 avril 1920. Cité par P. MARCHAND, dans « Enseignants et élèves de l’académie de Lille… », art. cit., p. 149.

Date Circulation de l'enquête

8 mars 1ère circulaire du ministre André Honnorat aux recteurs d'académie

31 mars 2ème circulaire du ministre André Honnorat au recteur Georges Lyon

31 mars Circulaire du recteur Georges Lyon aux inspecteurs d'académie Courant

avril Notes de service des inspecteurs d'académie aux inspecteurs primaires Courant

avril Notes de service des inspecteurs primaires aux directeurs et directrices d'écoles 5 mai Rappel du ministre André Honnorat aux inspecteurs d'académie

7 mai Note de service de l'inspecteur d'académie du Pas-de-Calais aux inspecteurs primaires 10 mai Note de service de l'inspecteur d'académie du Nord aux inspecteurs primaires Fin mai Premiers renvois des inspecteurs primaires

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d’écoles ont-ils tous consciencieusement effectué leur tâche ? Et combien d’enseignants ont-ils remarqué la circulaire du 31 mars parmi la pléthore de lois, décrets, arrêtés et circulaires qui figurent chaque mois dans le Bulletin ? Il semblerait bien que les premiers résultats de l’enquête n’aient pas été à la hauteur des espérances du ministre, puisque ce dernier envoie une autre circulaire, le 5 mai, aux inspecteurs d’académie. Rappelant à nouveau les efforts entrepris en Allemagne et en Angleterre, le ministre « recommande d’une manière spéciale l’exécution de [sa] circulaire du 8 mars » et fixe une échéance à la date du 1er juin41. Cette fois, l’information circule beaucoup plus vite : deux jours après le rappel du ministre, l’inspecteur d’académie du Pas-de-Calais transmet les instructions aux inspecteurs primaires au moyen d’une note de service annotée de la mention « urgent42 ». De même pour l’inspecteur d’académie du Nord, le 10 mai43. Fin mai, les inspecteurs primaires commencent à envoyer les résultats de leur collecte44.

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