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De la neurologie à la psychiatrie

Dans le document tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012 (Page 103-107)

2.1. Aux origines de la névrose traumatique

2.1.4. De la neurologie à la psychiatrie

2.1. 4.1. La querelle des névroses : prolongements et ruptures (1880-1914) a) De l’hystéro-traumatisme au pithiatisme

b) L’étiologie des maladies mentales entre hérédité et milieu pathogène c) Le modèle de l’intoxication par le choc et la confusion mentale

d) La clinique nouvelle des émotions confusionantes e) La psychiatrie de guerre entre commotion et émotion

Une différenciation clinique heuristique : syndromes commotionnels et émotionnels

f) Quelques retombées de l’évolution de la physiologie Le modèle de l’allergie émotionnelle

Le stress et le syndrome général d’adaptation de Seyle

2.1.4.2. Les pratiques nouvelles de l’expertise

a) Les accidents du travail et l’expertise en milieu civil

La névrose traumatique en pratique expertale. L’exemple de Ch. Vibert Une entité nouvelle : la sinistrose d’E. Brissaud

Usages et mésusages de la notion de sinistrose

La névrose traumatique : un groupement d’attente à la recherche de ses fondements

b) Pithiatiques et simulateurs : logiques de l’expertise en milieu miliaire au temps de la première guerre mondiale

Le spectre de la simulation

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Traitements

La psychanalyse sur le front des névroses de guerre

L’invention d’une nouvelle psychiatrie, la psychiatrie de l’avant

Conclusion

Introduction

Une lecture éclairée de certains traités chirurgicaux et des travaux des premiers aliénistes, comme celle proposée par C. Barrois (1988), G. Briole et al. (1994) et L. Crocq (2001b, 2005d), révèle qu’il existait dès le début du 19ième siècle (pour s’en tenir à l’époque moderne) un savoir clinique empirique relatif au pouvoir hautement perturbateur de certaines situations et événements sur l’esprit de ceux qui s’y étaient trouvés confrontés : guerres, accidents, agressions, catastrophes… 1 Ils mentionnent les observations des chirurgiens napoléoniens Larrey, Percy, Desguenettes qui décrivirent, notamment sous le terme expressif et imagé de « vent du boulet », des états de confusion et de stupeur chez certains soldats ayant été exposés au souffle des projectiles tirés par les canons adverses. Ils citent également P. Pinel qui, dans son Traité médico-philosophique de 1809, offre de nombreuses descriptions d’ « émotions morales » à l’origine de cas d’aliénation mentale ; mais c’est pour les rapporter aux quatre grandes formes que celle-ci peut prendre pour lui, à savoir la manie, la mélancolie, la démence et l’idiotisme. L Crocq (2005d) relève également que, parmi les 430 cas recensés par Paul Briquet dans son Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie de 1859, les deux tiers concernaient des femmes et des enfants battus et que, dans les « causes déterminantes » de l’hystérie, il mentionnait la frayeur et les mauvais traitements.

Mais il a fallu que se pose avec acuité un problème d’ordre juridique et in fine sociétal –celui de la reconnaissance et de l’indemnisation des troubles consécutifs à certains événements dits accidentels chez leurs survivants- pour que la médecine s’intéressât spécifiquement à la question et se voit dévolue la tâche d’établir (ou d’infirmer) la possibilité d’un lien de cause à effet entre un événement accidentel et l’apparition des troubles observés.

Il s’agissait principalement des accidents de chemin de fer, puis dans un second temps des accidents de travail, dont l’une des caractéristiques communes, particulièrement énigmatique pour l’époque, était qu’ils semblaient pouvoir être à l’origine d’états pathologiques aussi graves et symptomatiquement polymorphes que totalement disproportionnés par rapport au caractère bénin des blessures physiques observables qu’ils avaient éventuellement occasionnées.

Dès lors qu’invités à titre d’experts à donner leur opinion éclairée sur ces états dans les débats juridiques opposant les victimes aux Compagnies ferroviaires et à leurs experts, chirurgiens puis neurologues et psychiatres eurent à se doter de critères aussi objectifs que possible pour apprécier les situations qui leur étaient soumises. Or s’agissant d’un domaine jusqu’alors inexploré, tout ou presque restait à penser et à construire tant au plan clinique qu’étiopathogénique.

1 Pour des études très complètes, l’on se reportera aux différents travaux historiques que L. Crocq notamment a consacrés à la période de l’Antiquité et du Moyen-âge.

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C’est ainsi qu’entre 1865 et 1890 plusieurs modélisations virent le jour, chacune tentant d’établir un lien de causalité scientifiquement valide entre troubles observés et accident.

Ces différentes tentatives théorico-cliniques s’affrontèrent parfois avec force, donnant lieu à ce que l’on peut considérer comme un premier moment, fondateur et polémique, de l’histoire (ou plus justement de la préhistoire) de ce que, bien que conscients de l’anachronisme que constitue pour ces années l’usage d’un tel terme, l’on dénommera par commodité la psychotraumatologie.

Les travaux d’Hermann Oppenheim voient le jour dans ce contexte historique et offrent d’autant plus d’intérêt qu’ils représentent l’une des premières tentatives (et sans conteste la plus élaborée) d’édification d’une pathologie distincte de l’hystérie, de nature psychique et d’origine exo-traumatique, sur des bases qui ne soient pas celles de l’anatomo-pathologie et de la lésion organique localisée. S’opposant à Jean-Martin Charcot qui défendait la thèse de l’hystéro-traumatisme (et en deçà de l’étiologie héréditaire), Oppenheim soutient l’idée de névroses particulières qu’il baptise d’un terme dont il est l’inventeur, les névroses traumatiques.

Sur quelles bases une telle tentative pouvait-elle alors s’édifier, sachant que la distinction entre psychique et somatique est à l’époque encore bien floue et peu établie ?, c’est ce que nous allons nous attacher à reconstituer.

2.1.1. Un urgent besoin d’expertise

Les conséquences sanitaires de ces drames ferroviaires auraient pu ne susciter ni plus ni moins d’intérêt que celles engendrées par d’autres formes d’accidents si elles n’avaient été à l’origine de nombreux litiges juridiques opposant les accidentés aux compagnies ferroviaires ; si bien que la nature précise des dommages dont se plaignaient ces victimes devint une question juridique centrale à l’origine d’une pratique systématique de l’expertise, d’où des débats juridiques pouvant aller jusqu’à la caricature :

De tels cas voyaient invariablement les médecins des plaignants attester du sérieux de l’état dont ils se plaignaient, la profondeur de la souffrance des victimes et le caractère lointain de tout espoir de guérison, alors que la compagnie ferroviaire appelait des experts médicaux pour établir que les blessures de la victime étaient inexistantes ou grossièrement exagérées. 1

Il devenait donc urgent de disposer de connaissances fiables en la matière car de nombreuses questions restaient irrésolues : les troubles allégués relevaient-ils d’une véritable pathologie ou bien fallait-il y voir, comme le soutenaient les compagnies et leurs experts, la simulation soigneusement préparée d’états pathologiques, une escroquerie en quelque sorte ? Et si pathologie il y avait, devait-on, comme le plaidaient ces accidentés, l’imputer à l’accident lui-même ; et si oui, suivant de quels mécanismes étiopathogéniques ?

1 R. Harrington (2001) : The Railway Accident : Trains, trauma, and Technological Crises in Nineteenth-Century Britain, p. 38-39 (traduction personnelle), In Mark S. Micale and Paul Lerner (2001) Traumatic past.

History, Psychiatry, and Trauma in the Modern Age, 1870-1930, Cambridge University Press, p. 33-56.

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Entre janvier et mars 1862, le Lancet publie une série de 8 articles consacrés aux effets de la santé sur les usagers des trains, The influence of Railway Travelling on Public Healph, thème d’actualité que l’on trouve traité dans différents pays, dont la France avec l’étude du Dr Duchesne en 1853, dont les Annales d’hygiène publique et de médecine légale publient en 1859 un résumé détaillé.1

La question des accidents ferroviaires y tient une place de choix et est traitée par le Dr Waller Lewis, médecin-officier de la Poste britannique, qui avait conduit en 1859 une étude relative aux effets du train sur la santé des postiers ambulants. Il avait déjà à l’époque relevé qu’un certain nombre de ces agents ayant été impliqués dans des accidents et collisions souffraient d’un ensemble de symptômes significatifs : troubles du sommeil, rêves d’accidents, instabilité vasomotrice, acouphènes, intolérance aux voyages en train, sans présenter de blessures physiques apparentes (M.L. Cohen, 1996).

Dans un premier essai de synthèse, deux types de symptômes ou d’effets sont distingués et décrits par le Lancet : les premiers, conséquences immédiates de l’accident, consistent en des blessures, fractures et contusions de gravité variable, mais dont la nature et les moyens de les soigner sont connus ; les seconds surviennent quant à eux plus tardivement, de façon souvent insidieuse, comme des troubles de la mémoire, des étourdissements, douleurs au dos et à la tête, picotements aux extrémités… Leur atypicité, leur caractère énigmatique et inexpliqué, conduisirent à les qualifier de

« fonctionnels » :

Le terme fonctionnel est fréquemment utilisé pour décrire ces désordres, terme indiquant que l’on pensait que la blessure était localisée dans l’équipement nerveux contrôlant la fonction des organes affectés plus que la substance des organes eux-mêmes ; une explication qui donnait du poids à la suggestion du journal que l’origine de ces désordres résiderait dans une atteinte nerveuse, peut-être produite par la concussion violente des centres nerveux durant le choc. 2

Les connaissances médicales de l’époque offraient deux grands types d’hypothèses pour en rendre compte : celle, lésionnelle, de blessures de la moelle ou du cerveau et celle, physiologique, de troubles de la fonction nerveuse, pour laquelle le Lancet semblait pencher. Les débats étaient lancés.

1 Bibliographie : M. Duchesne Des chemins de fer et de leur influence sur la santé des mécaniciens et des chauffeurs, Annales d'hygiène publique et de médecine légale. - 1859. - série 2, N° 12, p. 16-28.

Pour une revue internationale de la littérature sur cette question, l’on peut également se référer à l’étude du Dr P.

Pietra-Santa : Etude médico-hygiénique sur l’influence qu’exercent les chemins de fer sur la santé publique, Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 1859, série, N° 12.

2 R. Harrington (2001) : The Railway Accident : Trains, trauma, and Technological Crises in Nineteenth-Century Britain, p. 40 , In Mark S. Micale and Paul Lerner (2001) Traumatic past. History, Psychiatry, and Trauma in the Modern Age, 1870-1930, Cambridge University Press, p. 33-56, traduction personnelle.

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