• Aucun résultat trouvé

TRAUMATISME PSYCHIQUE

Dans le document tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012 (Page 44-48)

PLAN :

-Chapitre 1- ELEMENTS POUR UNE ANTHROPOLOGIE DE LA VICTIMITE

Introduction

1.1. La Fin de la Théodicée 1.2. Citoyenneté. Responsabilité

1.3. Les violences sexuelles et la question du genre.

1.4. L’humanité. L’humanitaire. L’ethnos 1.5. L’invention de la victimité contemporaine

1.6. La subjectivation de l’expérience. L’ère du traumatisme

-Chapitre 2- PREHISTOIRE ET HISTOIRE DE LA PSYCHOTRAUMATOLOGIE

2.1. Aux origines de la névrose traumatique 2.2. Modèles nouveaux du psychisme

2.3. Naissance et développements de la psychotraumatologie et de la victimologie

Introduction

Il en est de certaines notions et entités pathologiques dont le domaine de signification déborde de toutes parts leur espace originel de création et de validité car elles passent dans le langage commun où elles acquièrent d’autres sens, désignent et symbolisent de nouvelles sphères de l’expérience et de la pensée, autant individuelles que collectives.

tel-00658758, version 1 - 1 1 Jan 2012

Ceci vaut particulièrement pour le trauma ou le traumatisme psychique, dont l’histoire laisse à penser qu’aucune autre notion issue du monde médico-psychologique n’a eu son destin autant partie liée à sa fonction sur la scène sociale, aussi bien d’ailleurs dans ses moments de développement que dans ses éclipses.

Pour s’en convaincre il suffit de constater le volume exponentiellement croissant, depuis vingt cinq ans, de travaux, d’écrits, de formations, etc., qui lui sont spécifiquement consacrés ainsi que la diversité des domaines s’y intéressant, importance qui contraste pour le moins avec sa quasi disparition de la scène psychiatrique pendant la longue période qui a précédé cette effervescence. La notion de traumatisme, pourtant, n’est pas neuve puisqu’elle est née des premiers essais d’appréhension des troubles consécutifs aux accidents de chemin de fer et du travail, puis intimement associée à la grande révolution à l’origine de la psychologie clinique et de la psychopathologie que fut l’invention de l’inconscient au 19ième siècle ; mais jamais sans doute aucune entité clinique n’avait suscité1 une telle multiplicité d’usages et connu un tel succès.

Le terme, en tant que concept, relève certes du domaine scientifique : il y trouve son origine et continue d’y être travaillé comme tel. Mais il est également passé dans le langage commun où il vient désigner et donner sens à un certain registre d’expériences individuelles et collectives, est significatif d’un nouveau rapport à l’histoire, donne lieu à des politiques multiples et spécifiques2… Il est devenu une catégorie de notre expérience, de notre vision de nous-mêmes et de notre monde ; M. Foucault aurait pu dire qu’il est une catégorie participant de nos modes contemporains de gouvernement.

Ses enjeux sont donc autant psychologiques et psychopathologiques que sociétaux, et la compréhension de ses usages actuels est devenue indissociable d’une réflexion historique et anthropologique sur nos valeurs collectives (occidentales) actuelles.

Retracer l’histoire du trauma suppose alors qu’on en cherche les conditions de naissance et de développement non seulement dans le champ psy et son histoire propre, mais aussi dans le champ social duquel il participe également. Dans ce dernier, nous verrons le trauma psychique avoir partie liée à une figure du monde socio-juridique naissante, la victime, qui comme celle de l’enfant (P. Ariès, 1975) procède et participe d’un ensemble de nouvelles valeurs sous-tendues par « des options morales et politiques »3 émergeant à partir de la révolution de 1789.

Une histoire à deux faces du traumatisme se dessine alors qui donnera lieu au développement des deux grands chapitres composant cette première partie :

- une histoire des mutations que connaît notre univers socio-moral depuis, pour donner un point de repère, la fin du 18ième siècle et l’avènement des valeurs républicaines. L’analyse anthropologique

1 Hormis peut-être l’hystérie dans les années 1880-1900. Voir à ce propos L Crocq (1990a) : La névrose fin de siècle.

2 Fassin et Rechtman ont été les premiers en langue française à attirer notre attention sur ces « usages sociaux » de la notion de traumatisme notamment dans leur ouvrage L’empire du traumatisme.

3 Fassin D. (2002) La souffrance du monde. Considérations anthropologiques sur les politiques contemporaines de la compassion, L’évolution Psychiatrique.

tel-00658758, version 1 - 1 1 Jan 2012

des nouvelles « figures de l’intolérable »1 qui émergent et s’affirment dans des domaines aussi divers que le travail, l’éducation, la famille, le travail salarié…, durant les 19ième et 20ième siècles sera ici notre fil conducteur. Un terme synthétise cet ensemble apparemment protéiforme de nouveaux objets et de nouvelles politiques : la victimité. Ce néologisme se veut désigner autant des états de souffrance liés à des dommages et/ou préjudices que l’obligation qui se fait progressivement nôtre d’en assumer collectivement la charge. Elle est loin cependant d’être réductible au seul sentiment compassionnel et nous verrons que derrière cette sensibilité au fait victimal se profile et s’exprime une dimension anthropologique nouvelle, fondatrice d’une forme de lien social devenue primordiale : la responsabilité. C’est elle que l’on va voir supplanter l’ancienne culpabilité qui régissait le sens de nos existences dans un rapport de nature morale qui nous unissait d’abord et avant tout à Dieu, puis, dans sa « version » laïque, à la nature et à ses lois ; car avec la responsabilité c’est le « contrat social » qui devient premier, avec comme impératif la solidarité incarnée par « l’Etat providence » (F. Ewald, 1986).

Cette victimité et les multiples constructions concrètes à travers lesquelles elle se réalise et auxquelles elle donne lieu constitue, tenterons-nous de montrer, l’arrière-fond socio-anthropologique sans lequel le concept de traumatisme serait sans doute né, mais n’aurait indiscutablement connu ni son succès, ni ses développements multiples actuels. Il en va ici de l’émergence d’un sujet socio-juridique (le citoyen) qui se substitue progressivement au sujet moral (le fils de Dieu).

- Une histoire savante de la naissance et du développement de la notion de traumatisme, tel qu’on la voit apparaître durant la seconde moitié du 19ième siècle et constituer progressivement un enjeu conceptuel, disciplinaire, clinique, thérapeutique… ; une histoire des modalités théoriques et cliniques de construction d’un ensemble de savoirs élaborés à propos et à partir d’une question sociale. Soit comment différentes disciplines scientifiques ont su contribuer, sur la base de leurs méthodes, modèles et savoirs intrinsèques, à la réflexion sur un ensemble de questionnements de nature socio-juridiques, apporter des éléments d’analyse et de réponse à des questions qui leur étaient soumises et pour lesquelles elles n’étaient pas nécessairement préparées. Comment ces disciplines ont-elles su, ou non, faire leur ces questions et les problématiser ? L’histoire du traumatisme est ici l’histoire des constructions multiples auxquelles il a donné lieu, ainsi que des controverses à son propos, controverses dont le développement a partie liée aux disciplines engagées dans le débat et à leurs paradigmes : psychologie, psychiatrie, psychopathologie, biologie, neurologie, pharmacologie... Cette histoire du concept nous montrera à quel point il recouvre non seulement des modélisations très diverses mais aussi, plus récemment, des réalités cliniques et institutionnelles très hétérogènes.

Et à contre-courant des riches travaux historiques déjà à disposition, nous tenterons de montrer que, jusqu’à un certain point, cette histoire prend au moins autant sens à se lire comme une histoire des obstacles à l’émergence de la pensée contemporaine en matière de trauma que comme celle d’un ensemble de savoirs qui, par acquisitions et synthèses successives, ont conduit à l’état actuel de nos

1 Pour reprendre le titre d’un ouvrage dirigé par Fassin et Bourdelais (2005).

tel-00658758, version 1 - 1 1 Jan 2012

connaissances et de nos pratiques en matière de psychotraumatisme et de victimologie : une histoire des obstacles à l’émergence d’une question anthropologique et psychopathologique singulière sous-jacente –que nous dénommerons l’accident- autant que des résistances de la clinique psychotraumatique à se laisser absorber totalement par d’autres problématiques.

Le premier chapitre sera donc consacré à l’émergence de la victimité. Nous nous efforcerons d’y montrer que le fait victimal n’est pas homogène : il est une construction contemporaine résultant de la convergence en une même figure (fiction) sociale d’un ensemble de préoccupations émergeant en différents lieux de l’espace collectif occidental à partir de la deuxième moitié du 18ième siècle, la victime. L’histoire de sa constitution est donc faite de la convergence de plusieurs évolutions, d’abord indépendantes, dans l’ordre des représentations et des pratiques collectives, des disciplines qui s’y sont intéressées, dans des champs sociaux ayant leurs objets et leur temporalité propres.

Quant au second chapitre, il s’attachera à restituer l’histoire des constructions théoriques, cliniques et des dispositifs cliniques et institutionnels, élaborés en réponse. Les notions de trauma et de victime y seront centrales et étudiés dans les différentes acceptions qu’elles prendront en fonction des paradigmes et modèles à partir desquels elles seront successivement et synchroniquement pensées.

tel-00658758, version 1 - 1 1 Jan 2012

PARTIE A

Dans le document tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012 (Page 44-48)