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De la chirurgie à la neurologie

Dans le document tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012 (Page 115-119)

2.1. Aux origines de la névrose traumatique

2.1.2. Les modèles chirurgicaux de la commotion

2.1.3.1. De la chirurgie à la neurologie

Il n’est pas fortuit que l’hypothèse névrotique survienne au moment même ou l’on commence à se détacher des premières modélisations d’inspiration essentiellement chirurgicales privilégiant l’explication lésionnelle pour s’intéresser à la dimension émotionnelle du choc, renvoyant elle à des désordres du système nerveux, donc au sens strict du terme pour l’époque, au champ des névroses.

L’on pourrait d’ailleurs s’étonner que nous n’ayons jusqu’à présent fait mention chez les auteurs d’aucune référence explicite à l’hystérie. Dans les faits, Erichsen a soulevé l’hypothèse mais pour la récuser immédiatement. Page quant à lui la mentionne, sans toutefois l’assimiler au Railway spine.

C’est que sa conception dominante comme « folie hystérique » en faisait une forme d’aliénation mentale héréditaire, ce qui excluait a priori alors toute hypothèse étiologique de nature commotionnelle. Cependant, la neurologie, forte de ses succès dans la compréhension de certains troubles, commence à investir un domaine jusqu’alors l’apanage des médecins aliénistes et, à l’image des travaux de Charcot, à projeter ses modélisations sur le champ des névroses. En outre, les progrès effectués dans les méthodes cliniques d’examen commencent à ouvrir à des différenciations sémiologiques de plus en plus affinées qui participent à la redéfinition des entités pathologiques. Les névroses vont s’en trouver progressivement remaniées dans leur appréhension et leurs contours (P.

Bercherie, 1983).

Les premiers neurologues à s’intéresser au domaine du Railway spine ne manquent pas de relever des similitudes entre certains de ses symptômes et ceux des névroses, reprochant d’ailleurs souvent aux chirurgiens non seulement d’avoir grandement et de façon peu objective surestimés les cas de simulation, mais encore d’avoir investi dans un domaine clinique qui n’était en fait pas le leur et dont ils ne maîtrisaient pas les subtilités. Ainsi en 1891 A. Cullerre, se faisant l’écho des positions du neurologue bostonien C. Knapp, pouvait-il écrire :

Nous voyons trop à chaque instant combien les phénomènes psychiques les plus caractérisés sont méconnus ou faussement interprétés par des hommes d’ailleurs instruits et même savants, quand ils manquent de l’initiation nécessaire… il faut un neurologiste doublé d’un psychologue pour comprendre quelque chose à ces mille désordres nerveux qui succèdent aux accidents… 1

La porte s’ouvrait alors sur un nouveau débat, celui de la nature des troubles névrotiques en jeu, inaugurant ainsi un second chapitre de la préhistoire de la psychotraumatologie, celui constitué par le développement de constructions d’inspiration neurologique.

1 A. Cullerre (1891), op.cit., p. 270.

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Toutes les hypothèses vont être évoquées et, selon les auteurs et les cas étudiés, l’on verra formulé tantôt le diagnostic d’hystérie, tantôt de neurasthénie, d’hystéro-neurasthénie, voir même de neurasthénie hypocondriaque (A. Cullerre, 1891)…

Mais la grande controverse quant à la nature des troubles répertoriés sous le terme de Railway spine opposera les tenants des thèses défendues par l’Ecole de la Salpetrière affirmant avec Charcot

« qu’ils ne sont souvent que de l’hystérie, rien que de l’hystérie »1, à ceux développant la thèse d’une pathologie spécifique, comme le psychiatre allemand Hermann Oppenheim qui, à partir de 1884, invente une névrose nouvelle pour en rendre compte, la « névrose traumatique ».

C’est tout l’enjeu de ce second grand temps de l’histoire de la psychotraumatologie.

a) Putnam et Walton : Du Railway spine au Railway brain

Entrouverte par Page, la voie est véritablement commencée d’être explorée par deux médecins neurologues américains, George L. Walton et James Jackson Putnam (1846-1918) qui soutiennent à partir de 1883 l’idée d’une étiologie cérébrale, et non plus spinale, des troubles jusqu’alors désignés sous le terme de Railway Spine et que Walton, en toute logique, suggère de rebaptiser Railway brain (1883, 1884).

Là où Page s’en était tenu à développer l’hypothèse de facteurs mentaux dans la production des symptômes neuromimétiques, Putnam d’emblée évoque des troubles de nature hystérique ; une hystérie qui n’est pas simplement synonyme de vagues troubles fonctionnels, mais la manifestation d’atteintes de certains centres nerveux scientifiquement établies par les travaux modernes des neurologues, au rang desquels figure bien évidemment Charcot.

L’élément clinique qui autorise Walton et Putnam à faire le lien entre Railway spine et hystérie est l’existence dans un certain nombre de cas d’une anesthésie ou d’une hémianesthésie, signe alors considéré comme quasi pathognomonique de cette névrose. Ch. Vibert (1887, 1888), dans son Etude médico-légale sur les accidents de chemin de fer, offre une traduction complète du premier article de Putnam dans lequel trois exemples cliniques détaillés sont présentés2.

Putnam y reprend à son propre compte les conclusions de Manning Hodges qui, dans son travail de 1881 préconisait de distinguer dans ce qu’Erichsen considérait indifféremment comme des « spinal concussions », les cas présentant des lésions organiques de la moelle (et souffrant très certainement de myélite ou de méningite) et ceux où l’on n’observait que des troubles fonctionnels. Il affirme alors :

De plus récentes investigations limitent la part des lésions organiques, qui sont très rares dans les cas où il a eu seulement commotion. En même temps, je crois que les cas où il s’agit uniquement de troubles fonctionnels sont susceptibles eux-mêmes d’une classification. Quelques-uns au moins de ces cas peuvent être attribués, sans crainte d’erreur, à l’hystérie, terme qui grâce aux travaux de Charcot

1 J.-M. Charcot : Œuvres complètes. Leçons sur les maladies du système nerveux, Dix-huitième leçon, tome III, 1890, p.254-255.

2 Ch. Vibert, dans son long article intitulé « Etude médico-légale sur les accidents de chemin de fer », Annales d’Hygiène publique et de médecine légale, série 3, partie 1, N° 18, déc. 1887 ; partie 2 : 1888, N° 4, offre une traduction complète de l’article de Putnam de 1883.

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et de ses élèves, a perdu le caractère vague qu’il avait autrefois pour revêtir une signification plus précise et plus pratique. 1

Et de préconiser :

Dans un cas de commotion présentant des symptômes aigus (quelle que soit leur gravité apparente), il faut rechercher soigneusement s’il existe des troubles fonctionnels se rapportant à l’hystérie, et s’ils n’en donnent pas l’explication de l’état du patient. 2

b) Le démembrement clinique de la concussion de la moelle

Une seconde conséquence de cette « neurologisation » la concussion de la moelle et de son réexamen sous l’angle de perturbations du système nerveux en est la redélimitation de ses contours.

Les travaux de Philip Coombs KNAPP (1858-1920), médecin neurologue à Boston et enseignant les maladies du système nerveux à la Harvard Medical School en offrent l’exemple même.

D’emblée les positions de P. Knapp sont polémiques au sens où il entend se démarquer nettement tant des positions d’Erichsen que de celles de Page. Il écrit en introduction de son premier article sur la question :

Il est plutôt singulier que les deux travaux les plus élaborés sur ces affections du système nerveux qui sont supposées faire suite à des blessures aient été écrites par des chirurgiens et se soient appuyées sur des données procurées par des accidents de train. L’un de ces travaux dont l’influence n’est pas encore morte, s’appuie sur des idées concernant la pathologie du système nerveux datant de vingt ans et traite des formes d’atteintes du système nerveux central sous le terme trompeur de « concussion de la colonne vertébrale » ; l’autre, qui se lit comme le travail d’un plaideur attitré des compagnies ferroviaires, discute cas après cas de ce mystérieux trouble nerveux sans aucune mention de la condition des réflexes. 3

A partir de l’étude de 12 cas personnels dont il s’attache à dégager la symptomatologie, sa première tâche consiste à discuter les principales hypothèses ayant été jusqu’alors émises par ses devanciers concernant leur étiopathogénie pour les récuser toutes une à une :

- affections organiques bien définies (tabès dorsalis, myélites, pachyméningite, hémorragie ou abcès de l’encéphale, paralysie agitante, chorée…) ;

- commotion pure de la moelle telle que supposée par Erichsen ;

- l’hystérie de Charcot avec laquelle il ne parvient à trouver aucune ressemblance ;

- les hypothèses de Walton et Putnam, tenants des positions de Charcot en faveur de laquelle ils avaient avancé l’existence chez les accidentés d’hémianesthésies ;

- la neurasthénie.

Il s’attache particulièrement à contester la thèse de l’hystérie et affirme, après une étude attentive des cas présentés par Charcot, Rendu, Poupon, Lyon ou Berbez, qu’il s’avère incapable de trouver

1 J. J. Putnam (1883), cité par Ch. Vibert (1887) : Etude médico-légale sur les accidents de chemin de fer, Annales d’Hygiène publique et de médecine légale, série 3, N° 18, p. 328.

2 J. J. Putnam (1883), cité par Ch. Vibert, ibid., p. 330.

3 P. C. Knapp (1888) : Nervous affections following injury, Boston Medical and Surgical journal, vol. CXIX, No 18, p. 421, traduction personnelle.

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aucune ressemblance entre ceux-ci et ses propres observations, ne retrouvant jamais les caractéristiques de la grande hystérie et tout son cortège de symptômes présentés par les patients décrits par ces auteurs. Il conclut:

Le diagnostic de ces états n’est pas difficile et, dans les cas rapportés plus haut, ils n’étaient pas observables. J’ai déjà rencontré de tels états – grande hystérie, monoplégie hystérique et névrose articulaire ; mais je n’ai encore jamais vu ces conditions résulter d’un traumatisme. 1

Il en conclue que les Railway spine ou brain sont un rassemblement clinique composite dans lequel il s’attache à faire le tri et à distinguer cliniquement et étiologiquement différents états, par ailleurs connus de la médecine. Il en vient ainsi à repérer différents cas de figure : névrites périphériques, troubles purement psychiques liés à la violence des émotions, symptomatologies évocatrices de la neurasthénie, lésions organiques des centres nerveux, auxquelles il ajoute une hypothèse plus personnelle également formulée par Westphall en Allemagne et que reprendra également en France C. Vibert (1890), celle dans certains cas de possibles scléroses miliaires disséminées consécutives à de petites hémorragies ou concussions des centres nerveux.

Pour conclure, P. Knapp synthétise ainsi ses positions :

1. la commotion de la moelle, dans le sens strict du mot, quoique probable, est encore douteuse.

2. L’entorse du rachis, l’irritation spinale, la névrite périphérique, sont des complications fréquentes.

3. le traumatisme peut non seulement donner naissance à de graves lésions mécaniques du système nerveux central, avec des symptômes immédiats, mais aussi à un processus dégénératif chronique de marche insidieuse.

4. le traumatisme peut aussi donner naissance à diverses affections fonctionnelles du système nerveux, y compris les psychoses, la neurasthénie et l’hystérie.

5. l’hémianesthésie n’est pas caractéristique de l’hystérie ; elle se rencontre aussi dans d’autres états.

6. Les troubles psychiques : anxiété, hypocondrie, dépression, émotivité, incapacité d’appliquer l’attention, peuvent exister seuls, ou joints à d’autres états morbides.

7. la neurasthénie est souvent produite par le traumatisme ; l’hystérie rarement.

8. la neurasthénie et l’hystérie peuvent être surajoutées à une maladie organique, et obscurcir le diagnostic.

9. il existe un complexus symptomatique vraiment typique, avec troubles psychiques, paresthésie, lenteur et faiblesse des mouvements, exagération des réflexes. Ce complexus n’est pas rare, et est dû probablement à des lésions organiques.

10. le pronostic de cet état est grave. L’amélioration s’observe quelquefois, mais la guérison complète est exceptionnelle.

Dans un second article publié un an plus tard, On methods of examination in medico-legal cases involving suits for damages for real or supposed injuries to the brain and spinal cord, P. Knapp (1889) s’attache à décrire de façon détaillée et exhaustive la symptomatologie permettant selon lui au clinicien d’assoir un diagnostic différentiel sûr. Il y répertorie dans toute leur variété les symptômes

1 P. C. Knapp (1888), ibid., p. 450, traduction personnelle.

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psychiques, les symptômes moteurs, les réflexes, les symptômes sensoriels, les symptômes thoraciques, abdominaux, génito-urinaires. Ceci lui permet d’opposer au problème posé par la simulation la rigueur de l’examen clinique du spécialiste :

On suppose souvent que dans la majorité de ces cas il y a fraude ou tout au moins énorme exagération ; que la plupart des symptômes sont simulés et que les patients guérissent, aussitôt l’indemnité obtenue. Mais les neurologistes les plus récents ne fournissent aucun appui à cette théorie. Les suppositions de fraude et les cas de simulation nous sont fournis par des chirurgiens et souvent par des chirurgiens de chemins de fer dont le parti pris est trop évident. La pratique du chirurgien le familiarise surtout avec les phénomènes objectifs les plus accusés ; il est rarement expert en neurologie, aussi ses habitudes d’esprit le rendent-elles incapable d’apprécier à leur entière valeur des signes légers qui ont, aux yeux du neurologiste, une haute signification diagnostique. 1

Ce que P. Knapp opère ainsi, c’est, avec toute la rigueur sémiologique nécessaire, un véritable démembrement de l’entité conçue par d’Erichsen.

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