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De l’hystéro-traumatisme au traumatisme névrogène

Dans le document tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012 (Page 197-200)

Introduction : l’héritage de Charcot

2.2.2. Evolution de la notion de traumatisme dans l’œuvre de Sigmund FREUD

2.2.2.1. De l’hystéro-traumatisme au traumatisme névrogène

a) Les premières études sur l’hystérie

L’on a vu comment Charcot, parti de l’étude des troubles moteurs dans l’hystérie, en était venu à concevoir l’importance d’un choc émotionnel initial dans leur survenue. Cependant ce choc ne faisait que révéler l’existence d’une diathèse sous-jacente qui seule pouvait donner un tel pouvoir traumatisant et désorganisateur à un événement. La preuve en était le caractère extrêmement variable de ceux-ci, tant dans leur nature que leur violence, avec toujours des effets parfaitement similaires, à savoir la survenue du syndrome hystérique.

Fort de ce modèle, Charcot a toujours récusé un quelconque intérêt à la notion de « névrose traumatique » inventée par Oppenheim, à qui il reconnaissait cependant le mérite d’observations cliniques rigoureuses mais faisait le grief d’une erreur de diagnostic : sa névrose spéciale n’était ni plus ni moins que la névrose hystérique ou neurasthénique telle que lui-même en avait montré la double étiologie, traumatique pour les circonstances déclenchantes, héréditaire pour ce qui concernait la maladie à proprement parler.

Tel est le point de départ de Freud et l’on trouve dans de nombreux passages de la Communication préliminaire datée de décembre 1892 intitulée « Le mécanisme psychique de phénomènes hystériques », chapitre introductif aux Etudes sur l’hystérie, des positions que n’aurait pas certainement pas désavouées le maître de la Salpêtrière. Il y a là une filiation toujours vivante et il n’est pas étonnant que l’écrit se donne comme point de départ la question de la névrose traumatique pour, tout comme Charcot, immédiatement en récuser l’intérêt. Certes une différence d’ordre clinique existe, que Freud et Breuer relèvent à plusieurs reprises, entre l’hystérie dite banale ou encore simple, et l’hystérie traumatique. Cette différence n’a pourtant de raison qu’au plan clinique puisqu’au plan étiopathogénique il convient de les réduire à une seule et même entité, l’hystérie traumatique. Mais l’on a malgré tout décrits deux modes de déclenchement : l’un dû à des traumatismes « partiels et concomitants », l’autre à un « grand traumatisme unique ».

Si donc, comme pour Charcot, il n’y a pas lieu d’autonomiser une quelconque névrose traumatique, la rupture avec l’approche neurologique de ce dernier se fait d’emblée nette sur plusieurs points :

a) certes un traumatisme initial joue un rôle déterminant dans l’éclosion de toute hystérie, mais sa nature en est émotionnelle, et non pas commotionnelle :

Dans la névrose traumatique, la maladie n’est pas vraiment déterminée par une passagère blessure du corps, mais bien par une émotion : la frayeur, par un traumatisme psychique. Nous avons, de façon

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analogue, constaté que la cause de la plupart des symptômes hystériques méritait d’être qualifiée de traumatisme psychique. Tout incident capable de provoquer des affects pénibles : frayeur, anxiété, honte, peut agir à la façon d’un choc psychologique et c’est évidemment de la sensibilité du sujet considéré (et également d’autres facteurs dont nous parlerons plus tard) que dépendent les effets du traumatisme. 1

b) Si c’est bien une émotion, et non une lésion, même fonctionnelle, qui est à l’origine des symptômes, c’est que cette émotion est restée attachée au souvenir de l’événement avec la même intensité qu’au moment de la survenue de celui-ci :

Nos observations prouvent que, parmi les souvenirs, ceux qui ont provoqué l’apparition de phénomènes hystériques ont conservé une extraordinaire fraîcheur et, pendant longtemps, leur pleine valeur émotionnelle. 2

A l’inverse, un certain nombre de facteurs peuvent jouer contre le pouvoir traumatique d’un événement : - le développement d’une réaction comportementale sur le moment, réaction qui peut être en elle-même « cathartique », c'est-à-dire libérer le sujet des affects pénibles provoqués ; - la mise en langage de cette réaction, qui peut avoir un même effet « abréactif » ; - l’intégration du souvenir « dans le grand complexe des associations », où il peut prendre place à côté d’autres événements et qui en modifient en retour sa représentation problématique.

c) La nature particulière de l’incident initial, qui joue un rôle déterminant dans la nature des symptômes et leur développement, même quand il est très ancien et remonte à l’enfance :

Mais en ce qui concerne la relation causale entre le traumatisme psychique motivant et le phénomène hystérique, il faut se garder de croire que le traumatisme agit à la façon d’un agent provocateur qui déclencherait le symptôme. Celui-ci, devenu indépendant, subsisterait ensuite. Mieux vaut dire que le traumatisme psychique et, par suite, son souvenir agissent à la manière d’un corps étranger qui, longtemps encore après son irruption, continue à jouer un rôle actif. 3

Ou encore :

L’expérience pourtant nous a enseigné que les symptômes les plus différents, qui passent pour être des productions spontanées et pour ainsi dire, idiopathiques, de l’hystérie, ont avec le traumatisme motivant un rapport aussi étroit que les phénomènes, si clairs à ce point de vue dont nous venons de parler. Nous avons réussi à retrouver les motivations de toutes sortes d’affections : névralgies, anesthésies les plus diverses et souvent très anciennes, contractures et paralysies, accès hystériques et convulsions épileptoïde que tous les observateurs avaient pris pour de l épilepsie vraie, petit mal et affections à tics, vomissements persistants, anorexie allant jusqu’au refus de toute nourriture, troubles de toutes sortes de la vue, hallucinations visuelles toujours répétées… 4

L’on voit ainsi tout le cortège des troubles hystériques réinterprété comme l’expression d’une expérience subjective d’un événement particulier, et non plus comme une sorte de déroulement, à travers le sujet et sans aucune participation de sa part, de l’idiopathie hystérique, c’est-à-dire d’un déterminisme tenant à la seule maladie et héréditairement déterminé par la diathèse. D’où la

1 S. Freud, J Breuer (1892) : Etudes sur l’hystérie, PUF, Paris, 1978, p. 3.

2 Ibidem, p. 6.

3 Ibidem, p. 3-4.

4 Ibidem, p. 2.

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célèbre formule : « c’est de réminiscences surtout que souffre l’hystérique » (p. 5), au sens où c’est le souvenir persistant de l’événement traumatique dans le psychisme qui continue d’alimenter la symptomatologie. Des patients hystériques ne témoignent-ils pas de ce que « … lors de chacun de leurs accès, ils ont la vision hallucinatoire de l’incident qui a provoqué la première attaque… » (p. 1).

Il existe cependant un mécanisme causal propre à l’hystérie, c’est la « conversion », c’est-à-dire la

« transformation d’une excitation psychique en symptôme somatique durable », mécanisme auquel obéissent tous les symptômes physiques répertoriés et étudiés notamment par Charcot (p. 67).

d) La nature et la finalité de la démarche clinique. Alors qu’elle est résolument expérimentale chez Charcot (ce qui n’exclut nullement, nous l’avons mentionné, qu’il développait également une approche thérapeutique), chez Freud et Breuer, elle ne se veut pas seulement démonstrative de mécanismes pathogènes, dont celui du rôle des émotions ; du moins la démonstration de l’étiologie émotionnelle passe par la recherche d’événements traumatisants dont la découverte et l’expression par le sujet ont pour effet de faire disparaître leur pouvoir pathogène. La démarche clinique est donc démonstrative du fait psychique de par la possibilité même de sa réversibilité, qui passe par la restitution à la conscience de l’événement :

Une preuve de ce fait nous est fournie par un phénomène extrêmement curieux et bien fait pour conférer à nos découvertes une grande importance pratique.

A notre très grande surprise, nous découvrîmes, en effet, que chacun des symptômes hystériques disparaissait immédiatement et sans retour quand on réussissait à mettre en pleine lumière le souvenir de l’incident déclenchant, à réveiller l’affect lié à ce dernier et quant, ensuite, le malade décrivait ce qui lui était arrivé de façon fort détaillé et en donnant à son émotion une expression verbale. 1

Possible réversibilité donc, sous certaines conditions qui d’ailleurs, nous l’avons vu, avaient été déjà conçues et décrites quelques années auparavant par P. Janet et que Breuer et Freud reprennent à leur compte, au prix de quelques ajustements terminologiques : verbalisation, abréaction cathartique, inscription de l’événement dans le grand complexe des associations.

Cette curabilité possible de la névrose suppose une approche clinique singulière, à sa mesure, car les événements initiaux supposés être à l’origine de la pathologie ne se laissent pas aisément débusquer et leur dévoilement se heurte souvent à plusieurs obstacles : soit ils sont passés dans l’oubli, soit les patients, n’ayant pas fait le lien entre ceux-ci et la survenue de la maladie, ne les évoquent pas spontanément, soit ils font montre de fortes réticences à les relater en raison des affects particulièrement pénibles qui leur sont attachés, soit enfin parce que le lien peut n’être plus que

«… symbolique entre le phénomène et sa motivation » (p. 3).

L’utilisation de l’hypnose et de la méthode suggestive y sont souvent nécessaires, inspirées par les travaux de Bernheim, Charcot et Janet :

Je décidais d’utiliser comme point de départ l’hypothèse suivante : mes malades étaient au courant de ce qui pouvait avoir une importance pathogène, il s’agissait seulement de les forcer à le révéler. Donc, lorsque je demandais au malade depuis quand il avait tel ou tel symptôme et d’où émanait ce dernier et qu’il me répondait : « je n’en sais vraiment rien », j’agissais de la façon suivante : j’appuyais une main sur le front du patient, ou bien je lui prenais la tête entre les deux mains en disant : « vous allez

1 Ibidem, p. 4.

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vous en souvenir sous la pression de mes mains. Au moment où cette pression cessera, vous verrez quelque chose devant vous ou il vous passera par la tête une idée qu’il faudra saisir, ce sera celle que nous cherchons. Eh bien, qu’avez-vous vu ou pensé ? 1

Mais l’on voit se profiler déjà une autre voie, d’ailleurs indiquée par l’une des patientes dont le cas sert d’illustration clinique, Mme Emmy Von N… :

Par un détour quelconque, j’arrivais à lui demander comment ses douleurs gastriques étaient survenues et d’où elles provenaient. Je crois que ces douleurs accompagnent toujours chez elle les accès de zoopsie. Avec assez de réticence, elle me répondit qu’elle n’en savait rien. Je lui donne jusqu’à demain pour s’en souvenir. Elle me dit alors, d’un ton très bourru, qu’il ne faut pas lui demander toujours d’où provient ceci ou cela mais la laisser raconter ce qu’elle a à dire. J’y consens et elle poursuit sans préambule… 2

Il en ressortira, entre autres choses, la prise de conscience « des causes souvent déterminantes de

« l’oubli » des souvenirs » (p. 87)

Ainsi, entre le symptôme et son éventuel substratum organique, d’origine héréditaire, un espace nouveau de compréhension s’est ouvert, ayant ses lois propres, celui des affects attachés à un événement et qui en font la particularité et l’importance, un vécu subjectif revoyant à des faits d’histoire personnelle, ainsi qu’à la possible abolition du pouvoir traumatique des émotions attachées à un souvenir, sous certaines conditions cliniques.

b) Une 1ière étiologie sexuelle des névroses

Freud n’en reste pas à ces premiers résultats et poursuit ses travaux dans une direction dont les titres de ses publications suivantes expriment très clairement l’orientation nosographique et étiologique concernant les névroses : Les névropsychoses de défense (1894), Obsessions et phobies (1894), Du bien-fondé à séparer de la neurasthénie un complexe de symptômes déterminé en tant que « névrose d’angoisse (1894), Sur la critique de la névrose d’angoisse (1895), L’hérédité et l’étiologie des névroses (1896), Nouvelles remarques sur les névropsychoses de défense (1896), Sur l’étiologie de l’hystérie (1896), La sexualité dans l’étiologie des névroses (1898)3.

Les hypothèses étiologiques s’y orientent délibérément vers la sexualité, cause des causes si l’on en croit Freud, et c’est à partir d’elle que les découpages nosographiques sont en grande partie réexaminés.

Les années 1894-95 en offrent un premier modèle d’inspiration physiologique (P. Bercherie, 1983) qui met l’accent sur les perturbations ou dysfonctionnements de l’activité sexuelle et ses effets pathologiques : la libido, faute de pourvoir s’investir sur des objets extérieurs, se retourne en quelque sorte contre l’organisme même. J. André, dans son introduction à Inhibition, symptôme et angoisse, voit dans cette première théorie étiologique sexuelle l’héritage ancien de la médecine des

1 Ibidem, p. 86.

2 Ibidem, p. 48.

3 Tous regroupés dans S. Freud : La première théorie des névroses, 2ième éd., Quadrige, 1997, Paris, PUF.

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