• Aucun résultat trouvé

Herbert PAGE et la neuromimesis

Dans le document tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012 (Page 112-115)

2.1. Aux origines de la névrose traumatique

2.1.2. Les modèles chirurgicaux de la commotion

2.1.2.5. Herbert PAGE et la neuromimesis

C’est également à cette question que s’attache à répondre Herbert W. Page. Collègue d’Erichsen au Royal College of Surgeons de Londres et consultant pour la London and Western Railway Company, il est considéré comme le premier auteur à avoir proposé une théorie purement psychique du choc provoqué par les accidents ferroviaires. En 1883 il publie son premier ouvrage à partir de l’étude de 234 cas d’accidentés dont nombre d’entre eux, là encore, ne présentent aucune lésion apparente.

Deux grandes lignes d’arguments critiques à l’égard des thèses d’Erichsen sont avancées par Page : la réduction de la pathologie à un seul facteur étiologique, la commotion de la moelle, et la non prise en compte des facteurs mentaux, tout particulièrement le rôle de la peur et l’importance de l’indemnisation. Il affirmait ainsi :

Des causes purement psychiques pourraient expliquer le fait très remarquable qu’après une collision ferroviaire, les symptômes de choc général sont si communs, et si souvent sévères, chez ceux qui n’ont reçu aucune blessure corporelle ou qui ont présenté de petits signes de collapse au moment de l’accident. 2

Quant au rôle joué par la possibilité d’indemnisation, il l’argumentait de la façon suivante :

La connaissance d’une compensation possible…. tend, presque dès les premiers moments de la maladie, à colorer l’évolution et l’aspect du cas, avec pour devenir chaque jour qui suit une partie et un élément de la blessure dans l’esprit du patient, et affecter involontairement ses sentiments et ses sensations à l’égard des souffrances qu’il doit ressentir… Même dans les cas parfaitement authentiques… les actes de compensation sont un élément puissant de retard de la convalescence,

1J. E. Erichsen (1866), cité par R. Harrington (2001), op.cit., p. 45, traduction personnelle.

2 H. W. Page (1883), cité par E. Caplan (2001), Trains and Trauma in the American Gilded Age, p. 61, In M. S.

Micale and P. Lerner, Traumatic Past, Cambridge University Press, p. 57-77, traduction personnelle.

tel-00658758, version 1 - 1 1 Jan 2012

comme le prouvent des exemples innombrables où la vitesse avec laquelle la guérison survient dès que le règlement des dommages pécuniaires est effectué.1

Cependant, H. Page concevait parfaitement qu’à côté des cas de fraude délibérée il existât des situations où le désir de compensation puisse jouer de façon non volontaire et non consciente, et d’autres cas encore où l’indemnisation, même effective, puisse n’avoir aucun effet positif sur l’évolution de la maladie. Il en donne l’exemple suivant, précisant que l’obtention d’une pension deux ans après l’accident n’eut aucun effet positif sur les troubles :

[SW] reste couché pendant plusieurs jours après l’accident dans un état de grande dépression nerveuse, avec de la fièvre et un pouls rapide, incapable de manger ou de dormir. Il souffrait en même temps d’une détresse liée au fait qu’un ami assis à côté de lui dans le compartiment avait été tué ; et ceci semblait constamment peser sur son esprit. Les blessures corporelles progressaient rapidement vers la guérison… Mais même après deux mois, sa condition mentale montrait une perturbation émotionnelle extrême. Il se plaignait de souffrir constamment de dépression de l’esprit, comme si une peine le gênait. 2

Page s’appuyait sur les travaux de deux auteurs portant sur des domaines très différents : - ceux de John Furneaux Jordan sur les chocs chirurgicaux ;

- ceux de James B. Paget sur la neuromimesis.

Comme Morris, John Furneaux Jordan accordait un rôle non négligeable à la peur dans les chocs opératoires en raison de l’observation courante que leur intensité n’est pas toujours proportionnelle à la gravité des blessures. Il obtient en 1866 un prix pour sa publication intitulée Shock after Surgical Operations. Mais ce sont ses travaux sur les conséquences des accidents qui servent de référence à Page. J. F. Jordan écrit ainsi en 1873 :

La principale caractéristique des blessures ferroviaires est la combinaison d’éléments psychiques et corporels dans la causalité du choc, d’une façon telle que les premiers, ou éléments psychiques, sont toujours présents dans leurs formes les plus intenses et violentes. Les incidents d’un accident ferroviaire contribuent à former une combinaison des circonstances les plus terribles qu’il est difficile pour l’esprit de concevoir. L’ampleur des forces de destruction, la magnitude des résultats, le danger de mort imminent pour de nombreuses personnes et l’absence d’espoir d’échapper au danger, donnent naissance à des émotions qui en elles-mêmes sont amplement suffisantes pour produire un choc, voire même la mort elle-même … Tout ce qui peut avoir les effets les plus puissants sur le système nerveux est à l’œuvre dans un accident de chemin de fer, et ceci sans tenir compte de l’étendue ou de l’importance de l’atteinte physique. 3

Page reprend ce constat à son propre compte et écrit :

…et le même élément mental explique pourquoi des gens qui souffrent de membres cassés ou broyés dans des accidents de chemin de fer arrivent à l’hôpital dans un état de choc caractéristiquement plus sévère que celui dont souffrent des personnes avec des blessures similaires d’autres origines. 4

1 H. W. Page (1883), cité par A. Young (1995) : The Harmony of Illusion. Inventing Post-Traumatic Stress Disorder, Princeton University Press, New Jersey, p. 17, traduction personnelle.

2 H. W. Page (1883), cité par A. Young (1995), ibid., p. 18, traduction personnelle.

3 J.F. Jordan (1873), cité par R. Harrington (2001), op.cit., p. 43, traduction personnelle.

4 H. Page (1883), cité par A. Young (1995), op.cit., p. 17, traduction personnelle.

tel-00658758, version 1 - 1 1 Jan 2012

La seconde source théorique à laquelle puise Page est une série de travaux publiés en 1873 par un autre chirurgien britannique, James B. Paget (1814-1899), portant sur la « neuromimesis » (A. Young, 1995), terme qui désigne un phénomène survenant dans des circonstances particulières et rares, amenant des patients à présenter des symptômes imitant certaines pathologies. Transposant cette théorie aux accidents ferroviaires, Page formule l’hypothèse selon laquelle la peur serait à même de provoquer « des symptômes nerveux par la voie d’états hypnotiques volontaires » ; d’où l’apparition, mais aussi la possible disparition, des troubles répertoriés par Erichsen sous le terme de Railway Spine. H. Page concevait très clairement la neuromimesis comme un mécanisme volontaire, à la différence de Paget qui l’avait décrite comme un phénomène involontaire ; ce faisant, il laissait la porte ouverte à l’hypothèse insistante de la simulation consciemment jouée à des fins d’escroquerie, même s’il semblait ne pas y souscrire et évoquait un processus s’apparentant plus à une imitation non intentionnelle de la part de l’accidenté.

Il serait pourtant exagéré de faire de H. Page le premier tenant d’une explication purement psychique du trauma ; car si l’émotion, en l’occurrence la peur, semble constituer pour lui la cause première des troubles, ce qui continue d’importer pour lui c’est la recherche des atteintes somatiques engendrées par celle-ci. Et, récusant fermement les thèses d’Erichsen quant à la localisation spinale et lésionnelle des atteintes, il ne cessa de s’attacher à rechercher la nature de celles-ci, persuadé qu’étaient sans doute en cause des perturbations chimiques ou nerveuses secondaires (Harrington, 2001).

Il n’empêche, malgré l’oubli rapide dans lequel semble être tombée l’hypothèse neuromimétique, Page représente un jalon important dans l’histoire des premiers essais d’autonomisation des pathologies traumatiques ; car son travail est à la charnière des modèles chirurgicaux essentiellement fondés sur l’hypothèse des lésions organiques anatomopathologiquement circonscriptibles et des constructions neurologiques mettant l’accent sur les troubles fonctionnels des fonctions supérieures corticales. Il inaugure ainsi un recentrement significatif de la question étiologique de la moelle vers le cerveau, le passage du Railway spine au Railway brain, avec la proximité que cela introduisait avec certaines pathologies mentales (entendues comme corticales) telles l’hystérie1.

Jusqu’à lui, le domaine des accidents de chemin de fer était l’apanage presque exclusif des chirurgiens et, à travers eux des théories somatiques. En portant l’accent sur l’importance de la peur dans la genèse des troubles, Page eut l’immense mérite pour de nombreux neurologues de proposer une vision alternative aux positions organicistes jusqu’alors dominantes, sans pour autant invoquer de façon systématique la simulation quand celle-ci ne pouvait être prouvée.

1 Plusieurs auteurs, comme H.F.Ellenberger (1994), ont assimilé H. Page à un tenant de la thèse de l’hystérie, ce qui semble aller bien au-delà de sa pensée, ne serait-ce que parce que ses références étaient du domaine de la chirurgie bien plus que de la psychiatrie.

tel-00658758, version 1 - 1 1 Jan 2012

2.1.3. La querelle des névroses

Dans le document tel-00658758, version 1 - 11 Jan 2012 (Page 112-115)