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CHAPITRE 4 : Résultats

4.1 La formation doctorale en SHS : description du cas

4.1.2 Organisation tacite de la formation doctorale en SHS

4.1.2.1 Nature et finalités perçues de la formation

La conception qu’ont les participant-e-s de la nature et des finalités de la formation doctorale est un des éléments ayant émergé en cours d’analyse. D’emblée, les études doctorales en SHS sont considérées par les directeurs et directrices de thèse ainsi que par les administrateurs, comme un « rite de passage », comme une « épreuve initiatique » qui suppose un certain degré de souffrance et des sacrifices, ce que certains étudiant-e-s ne manquent pas de noter :

Je me souviens, le premier jour, on avait rencontré le directeur du programme de doctorat, à une toute première séance au doctorat. C’était monsieur [X], puis il nous disait : « vous allez traverser le désert […] Beaucoup d’entre vous vont survivre à ça, parce que vous voyez, nous on a survécu à ça. On a traversé le désert et on a survécu à ça. Vous êtes capables. » (Doctorante 28, Lettres et Humanités)

Cette idée de souffrance quasi inévitable est abordée par plusieurs des directeurs et directrices ainsi que par tous les administrateurs à travers des images fortes telles que « l’ascension de l’Everest », « une course de fond », « un marathon » qui suggèrent que « oui, par moments, tu vas souffrir » (Directrice 8, Sciences de l’éducation) et que « ceux qui survivent ont quelque chose d’héroïque » (Administrateur 1).

Quant à l’aspect initiatique, il se traduit notamment dans l’exigence implicite de comprendre et de s’approprier la « culture de l’écrit » (Directrice 8, Sciences de l’éducation) – propre au monde académique – qui marque le processus de formation, mais aussi par le fait que les études doctorales s’expérimentent à travers des « épreuves liées au rapport à soi » (Directrice 11, Philosophie), c’est-à-dire qu’il suppose que l’étudiant-e est constamment confronté-e à ses propres limites :

Le doctorat, c’est une épreuve. T’es dans une situation d’apprentissage qui t’amène à une forme de dépassement à tous points de vue. Donc, tu rencontres beaucoup d’inusité, beaucoup d’inconnu, ce qui te touche de manière holistique, pas juste sur le plan intellectuel. (Directeur 14, Sciences de l’éducation)

[…] c’est une épreuve, c’est une confrontation à soi constante, il me semble. C’est l’épreuve de ses propres capacités, de ses propres limites. Ce qui fait qu’à tout bout de champ tu es confronté à tes propres limites, à la possibilité d’échouer. Et finalement au fait que tu te dépasses ou pas. (Directrice 13, Philosophie)

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En ce sens, tant les doctorant-e-s que les directeurs et directrices ainsi que les administrateurs parlent de la nécessité d’une « implication profonde » (Directrice 11, Philosophie), d’un engagement de soi, voire de l’« abnégation » (Doctorant 22, Sciences de l’administration) que sous-tend le processus de formation doctorale :

C’est long, c’est dur, c’est exigeant. C’est sept jours sur sept! (Doctorante 8, Lettres et humanités)

Surtout au début, ça demande un investissement personnel. Faut vraiment avoir envie de le faire, faut avoir une motivation personnelle incroyable. (Doctorante 25, Sciences sociales)

Tu ne peux pas faire l’économie d’investir toute ta personne là-dedans. (Directeur 14, Sciences de l’éducation)

S’il est probable que cette idée d’« épreuve initiatique » se retrouve également dans d’autres domaines, elle semble exacerbée par l’aspect éminemment solitaire du processus de formation en SHS que plus du tiers des participant-e-s soulignent. Comme le choix du sujet de thèse y est généralement très personnel et ne s’inscrit pas systématiquement dans les projets du directeur ou de la directrice de thèse, certains doctorant-e-s déplorent n’avoir que rarement l’occasion de confronter leurs idées ou de simplement discuter de leurs travaux avec des collègues. Ainsi, au-delà de la solitude ressentie par exemple au moment de la rédaction de la thèse, quelques participant-e-s parlent d’isolement intellectuel, c’est-à-dire du fait de se sentir seul devant une tâche dont l’ampleur et la complexité demeurent difficiles à saisir de l’extérieur :

Quand tu reviens à la maison le soir, puis que ton conjoint/ta conjointe te demande : « puis as-tu passé une bonne journée? » Et que tu aurais voulu écrire une petite section de ta thèse, mais tu n’as pas été capable de l’écrire parce qu’il y a tel concept qui ne colle plus ou parce qu’il y a telle donnée qui ne s’est pas avérée la bonne. Peut-être que tu n’as pas eu une bonne journée. Mais ton conjoint ne comprend pas ça! Il ne comprend vraiment pas ça!! À moins qu’il soit en train de faire une thèse dans le même domaine, mais ça c’est rarissime! (Directeur 7, Droit)

À l’égard d’un processus intellectuel considéré par l’ensemble des participant-e-s comme hautement exigeant, quelques directeurs et directrices de thèse ainsi que des administrateurs évoquent l’importance de trouver malgré tout du plaisir dans la réalisation des études doctorales :

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Soyez sérieux, mais amusez-vous! […] ça devrait être de beaux moments, dans la vie, d’être aux études… (Administrateur 3)

[Selon certains de mes collègues], il faut qu’on souffre. Il faut souffrir pour faire un doctorat de qualité. Moi… non. Non. Je trouve que… au contraire! Je trouve au contraire qu’il faut les amener à y trouver du plaisir sinon ils vont lâcher! (Directrice 2, Sciences sociales)

Les finalités de la formation doctorale en SHS, tel que les conçoivent les participant-e-s , reflètent aussi cette idée d’épreuve initiatique vécue en solitaire. En effet, les directeurs et directrices de thèse ainsi que les administrateurs disent attendre de l’étudiant-e qu’il soit apte à réaliser une recherche d’envergure de manière autonome, mais aussi à faire preuve d’une certaine indépendance intellectuelle :

[...] ce qu’on demande aux gens, c’est de porter un regard réflexif sur une réalité relativement complexe. Donc, tu dois être capable de sortir du sens commun, de voir comment on peut comprendre cette complexité à la lumière d’écrits qui ne sont pas les tiens au départ, mais que tu sois capable, par la suite – au regard de ces connaissances-là – de te forger une tête à toi, de produire une connaissance qui soit différente. (Directeur 14, Sciences de l’éducation)

Si pour quelques doctorant-e-s, de même que pour plusieurs directeurs et directrices de thèse, il s’agit là de faire la démonstration d’aptitudes acquises antérieurement, pour la plupart des participant-e-s, les études doctorales ont plutôt la visée de permettre à l’étudiant-e de développer des compétences en recherche et au-delà :

Pour la majorité des gens, faire un doctorat, c’est apprendre à travailler. On s’illusionne sur le fait qu’on a appris sur le sujet. Oui, on a appris sur le sujet, mais ce sur quoi on a le plus appris, c’est sur soi-même... On a appris à travailler, on a appris à se mettre des limites, on a appris à dire non à un paquet de choses pour se concentrer sur une [seule], on a appris à structurer son temps… (Administrateur1)

Par ailleurs, dans certaines disciplines (ex. éducation, philosophie), il est implicitement attendu que l’étudiant-e fasse « l’expérience de sa propre pensée » (Directrice 13, Philosophie), ce qui suppose une réflexion sur soi et sur sa propre démarche intellectuelle :

Je crois que dans le milieu, on s’attend à ce que la personne ait fait une réflexion sur elle-même à titre de chercheur-e. Qu’étant donné qu’on est en [domaine X], on s’attend à ce que la personne ait cette capacité réflexive. (Doctorant 2, Sciences de l’éducation)

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La nature et les finalités de la formation, telles que le conçoivent les participant-e-s, ont ultimement une influence sur ce qui est attendu de la part des doctorant-e-s et des directeurs et directrices de thèse dans le cadre d’études doctorales.