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CHAPITRE 2 : Cadre théorique

2.2 Théorie de la structuration de Giddens

2.2.1 Notions et concepts retenus aux fins de la thèse

2.2.1.2 Acteur compétent et action contextualisée

Pour Giddens, l’individu est un acteur compétent qui « n’est pas entièrement contraint par les structures [sociales], ni complètement libre de ses actes; il produit et reproduit la vie en groupe à partir des connaissances qu’il a des conventions, des contraintes et des règles sociales » (Bellemare & Briand, 2002, p. 6). En ce sens, par sa présence-même, l’individu contribue à ce que le système social dans lequel il évolue puisse aussi exister : il s’adapte au réel, apprend à composer de manière appropriée avec son environnement et se dote d’un réservoir de connaissances qu’il peut modifier à travers ses interactions et ses expériences.

Ainsi, les comportements des acteurs sociaux ne sont pas déterminés; ceux-ci ont des raisons de faire ce qu’ils font (Rojot, 2000).

La notion de compétence fait donc référence à « tout ce que les acteurs connaissent (ou croient), de façon tacite ou discursive, sur les circonstances de leurs actions et de celles des

13 Pour Giddens, le fait que les acteurs reproduisent certaines façons de faire ou de penser n’exclut pas qu’à travers le

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autres, et qu’ils utilisent dans la production et la reproduction de l’action » (Giddens, 2005, p. 440). Les acteurs sont compétents dans la mesure où ils sont « capables de comprendre ce qu’ils font, pendant qu’ils le font; cette capacité est inhérente à ce qu’ils font » (Giddens, 2005, p. 33). Cette capacité réflexive des individus à l’égard de leurs actions – ou « contrôle réflexif de l’action » – est constamment engagée à travers les conduites quotidiennes, dans divers contextes de l’activité sociale : elle confère au comportement humain un caractère orienté ou intentionnel. Une action intentionnelle suppose que « son auteur sait ou croit que cette [action] possède une qualité particulière ou conduit à un certain résultat et qu’il utilise cette connaissance ou cette croyance pour obtenir cette qualité ou atteindre ce résultat » (Giddens, 2005, p. 59).

Alors que dans la plupart des analyses on définit l’action comme une série d’actes qui correspondent directement à l’intentionnalité de départ (Kechidi, 2005), elle est plutôt considérée ici comme « un flot continu de conduites » (Giddens, 2005, p. 51), « un flot continu d’expériences vécues » (Rojot, 2000, p. 71). Une des particularités fondamentales de l’action envisagée du point de vue de Giddens réside d’ailleurs dans le fait qu’à tout moment, pour une situation donnée, l’acteur peut choisir d’agir autrement (Lazar, 1992). Cette capacité d’agir autrement implique la possibilité d’influencer le cours de ses propres actions, mais aussi le cours des actions d’autres personnes.

Ultimement, l’action ne renvoie donc pas à « l’intention de faire », mais plutôt à « la capacité de faire », ce que Giddens nomme « agentivité » (agency). Ainsi, « une action, individuelle ou collective, contient la recherche d’une cohérence entre les fins poursuivies et les moyens engagés : nous développons “l’action qui convient” aux fins poursuivies en fonction de nos [possibilités] et du contexte » (Kechidi, 2005, p. 357). Le contrôle réflexif de l’action implique donc en quelque sorte ce que nous pouvons appeler une « stratégie » d’action.

À l’égard de la façon dont les individus choisissent d’orienter leurs actions (stratégies d’action), Giddens établit une distinction entre les « raisons », les « motifs » et les « motivations ». Les raisons renvoient à ce que l’acteur fait valoir pour justifier une action accomplie ou en cours (pourquoi il s’est engagé dans une action), tandis que les motifs font référence aux désirs qui inspirent l’action (ce qu’on souhaite obtenir du fait de s’engager dans cette action). Quant aux motivations, elles sont vues comme le moteur de l’action, l’énergie

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déployée pour s’y engager, c’est-à-dire l’élan qui incite à persister dans une action. Si les acteurs sont généralement en mesure d’offrir une explication rationnelle quant aux raisons et motivations de leurs actions, ils ne sont pas toujours conscients des motifs sous-jacents.

Par ailleurs, la capacité réflexive n’implique pas seulement une « conscience de soi » (Giddens, 2005). Si les individus sont en mesure d’orienter leurs actions de manière réflexive, c’est qu’ils ont aussi une certaine connaissance du milieu et du contexte dans lesquels ils agissent. En effet, « “agir” dans la diversité des contextes de la vie sociale, présuppose une connaissance très précise des conventions sociales, de soi et des autres » (Giddens, 2005, p. 75). À cet égard, Giddens distingue la conscience discursive de la conscience pratique.

Conscience discursive et conscience pratique

La conscience discursive renvoie aux connaissances que les acteurs sont en mesure d’exprimer par le langage (oral ou écrit) à propos de leurs activités, de leurs pratiques, de leurs interactions, de leurs conduites sociales et des conditions dans lesquelles celles-ci prennent place. La conscience pratique fait plutôt référence aux connaissances tacites des acteurs, c’est-à-dire aux connaissances (ou croyances) qu’ils ont des façons de faire et de penser attendues dans un contexte d’interaction donné, mais aussi des conditions d’action que suppose ce même contexte, sans qu’ils ne soient en mesure – spontanément – d’en rendre compte verbalement. Cette conscience pratique se manifeste plus particulièrement à travers ce qui est tenu pour acquis : les conduites routinières, les façons de faire habituelles, les pratiques développées avec l’expérience et tout ce qui est fait de manière machinale au quotidien.

Selon Giddens, le « contrôle réflexif de l’action » n’opère qu’en partie au niveau de la conscience discursive. Pour lui, la connaissance et la compréhension des acteurs à l’égard de ce qu’ils font et de ce pour quoi ils le font, relève surtout de la conscience pratique. C’est donc plus particulièrement en fonction de leur conscience pratique que les individus orientent leurs actions. Il est dès lors nécessaire de chercher les motifs de l’action au-delà « de ce que les acteurs disent de ces motifs » (Bouchikhi, 1990, p. 69).

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Par ailleurs, connaître les règles et les normes sociales ne suppose pas la possibilité de prévoir de manière précise – ni de manière générale – toutes les situations dans lesquelles l’on peut se retrouver. L’acteur compétent dispose donc simplement « d’une capacité générale d’intervention dans un ensemble indéterminé de circonstances sociales » (Giddens, 2005, p. 71). L’action orientée n’est donc pas la stricte manifestation d’une intentionnalité; « c’est un moment qui met en jeu des conditions connues et inconnues pour des conséquences intentionnelles et non-intentionnelles » (Autissier, 1998, p. 6).

Contextualité de l’action et récursivité des pratiques

Bon nombre de pratiques et de comportement humains donnent lieu à des résultats ou des conséquences qui, au départ de l’action, n’étaient pas envisagées par les individus (Kechidi, 2005). Ceci peut s’expliquer notamment du fait que l’action humaine suppose une constante adaptation à des environnements changeants, mais aussi parce que « la finalité d’une action n’est jamais totalement déterminée; elle se précise au fur et à mesure du déroulement de l’action » (Kechidi, 2005, p. 356), dans un contexte donné. Ainsi, « toute réflexion sur l’action, sur les intentions et l’adaptation en cours d’action ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les situations d’action » (Kechidi, 2005, p. 356).

Pour Giddens (2005), il s’agit là de considérer la « contextualité » de l’action, c’est-à-dire le caractère situé de l’action et de l’interaction dans l’espace-temps, lequel suppose à la fois un cadre d’interaction, des acteurs co-présents et la communication qu’ils s’établissent entre eux :

Une situation d’action n’est pas uniquement un contexte extérieur à l’individu, elle n’est pas réductible à un événement. Une situation d’action « peut comporter non seulement des événements, mais les relations entre ces événements, et les relations des acteurs à ces événements » (Livet, 1994 cité par Kechidi, 2005, p. 357).

L’action contextuellement située suppose en outre une « routinisation des pratiques », c’est- à-dire le fait que le « caractère habituel, tenu pour acquis, de la vaste majorité des activités qu’accomplissent les agents dans la vie sociale de tous les jours [se traduit par] des styles

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coutumiers et des formes de conduites usuelles qui assurent un sentiment de sécurité ontologique » (Giddens, 2005, p. 443) lequel, en retour, favorise la récursivité de ces mêmes pratiques. Bref, les actions quotidiennes – même les plus anodines – sont réalisées dans le cadre de certaines règles, normes et routines (Kechidi, 2005) acceptées collectivement, de manière implicite ou explicite, dans un contexte donné. C’est ce qui contribue à maintenir dans le temps et l’espace certaines conduites et pratiques, même celles qui, en définitive, donnent lieu à des conséquences ou des résultats non désirés. Giddens nomme ce phénomène « la récursivité des pratiques. »

À l’égard des éléments qui précèdent, on peut penser que tout au long de leur formation, les doctorant-e-s orientent et construisent leur propre parcours en fonction de ce qu’ils connaissent et comprennent des règles et normes de leur milieu d’études et du milieu universitaire en général, mais ceci dans des conditions qu’ils ne choisissent et ne saisissent pas totalement, et avec des conséquences qu’ils ne contrôlent pas complètement (Bellemare & Briand, 2002).