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CHAPITRE 3 : Cadre méthodologique

3.5 Analyse du corpus

3.5.1 Stratégie d’analyse

3.5.1.1 Analyse de contenu thématique

L’analyse de contenu « thématique », consiste à : « [...] procéder systématiquement au repérage, au regroupement et, subsidiairement, à l’examen discursif des thèmes abordés dans un corpus, qu’il s’agisse d’un verbatim d’entretien, d’un document organisationnel ou de note d’observation » (Paillé & Mucchielli, 2012, p. 232). Le « thème » renvoie ici à un ensemble de mots qui rendent compte de ce qui est abordé dans un extrait du corpus (Paillé & Mucchielli, 2012). La démarche de thématisation consiste donc à identifier et noter les thèmes, tout au long de la lecture du texte, pour ensuite les regrouper et les fusionner – au besoin– et finalement les hiérarchiser (Paillé & Mucchielli, 2012). Au-delà de l’identification de thèmes, l’analyse de contenu s’appuie sur la construction d’hypothèses de compréhension

24 Dans l’ensemble, ces procédures renvoient aux trois étapes de l’analyse qualitative que Miles et Huberman (2003)

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« telles qu’elles émergent des données », mais aussi sur la clarification des liens existants entre données, thèmes et hypothèses conséquentes (Tesch, 1990). Le schéma suivant offre un aperçu de la démarche d’analyse de contenu thématique :

Figure 1. Processus d’analyse de contenu thématique25

Dans un souci d’intelligibilité, les procédures relatives au type d’analyse retenu sont présentées ici de manière linéaire. Dans les faits, l’analyse des données issues d’une étude de cas demeure un processus fondamentalement itératif : les différentes procédures sont souvent « combinées, articulées les unes aux autres, parfois même menées simultanément » (Albarello, 2011, p. 85).

Première lecture des données

L’analyse a été amorcée dès les premiers entretiens, avant même la retranscription, en s’appuyant sur l’écoute des enregistrements audio, les notes manuscrites prises en cours d’entretien et les données issues des documents institutionnels. Une fois tous les témoignages recueillis et retranscrits26, l’ensemble du corpus (données issues des entretiens et des

documents institutionnels) a fait l’objet d’une lecture « flottante » (Deslauriers & Mayer, 2000) qui a permis de nous imprégner du contenu. Les impressions et les idées ayant émergé

25 Inspiré du schéma « Composantes de l’analyse des données » (Miles & Huberman, 2003, p. 28)

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de cette première lecture ont été soigneusement notées en marge des documents de transcription et dans un document à part.

Quelques hypothèses de compréhension préliminaires ont ainsi pu être dégagées, notamment à l’égard de ce que les doctorant-e-s, les directeurs et directrices de thèse ainsi que les administrateurs jugent être facilitant ou contraignant dans le processus de formation doctorale. Comme Miles et Huberman (2003) le soulignent, l’analyse en continu permet de tester les hypothèses émergentes par des retours sur « le terrain »; à travers les entretiens subséquents, nos hypothèses ont pu se confirmer, se préciser ou encore être nuancées. Condensation et catégorisation du matériau récolté

Dans le cadre d’une étude de cas, une opération de « condensation des données27 » (Miles &

Huberman, 2003) est essentielle puisque la démarche repose sur matériau large, dense et d’origines variées. Il importe donc que ce matériau soit réduit, synthétisé et codifié avant qu’une analyse plus approfondie puisse être réalisée (Albarello, 2011).

Un processus de codification a ainsi été réalisé, lequel consiste à attribuer une abréviation ou un nom (un code) à un segment de texte (phrase ou paragraphe) en vue d’une classification (Miles & Huberman, 2003). Deux niveaux de codification ont été privilégiés aux fins de l’analyse. Dans un premier temps, une codification « descriptive » a servi à catégoriser les segments de textes avant d’en faire l’interprétation. Ce premier niveau de codification a été effectué sur l’ensemble des transcriptions et des documents institutionnels en fonction des objectifs de recherche, du cadre théorique et des éléments abordés lors des entretiens. À titre d’exemple, le code « bénéfices attendus » a été attribué aux différents extraits d’entretien dans lesquels les participant-e-s témoignent des bénéfices qu’ils espèrent retirer de l’obtention de leur diplôme alors que les codes « exigences » et « règles » ont permis d’identifier les passages de documents institutionnels ou les extraits d’entretiens portants sur les exigences et les règles officielles – ou implicites – de la formation doctorale en SHS.

27 Pour Miles et Huberman (2003), la condensation des données se définit comme « l’ensemble des processus de sélection,

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Dans un deuxième temps, un regard plus attentif sur le corpus a permis de procéder à une codification « thématique » des données, c’est-à-dire d’intégrer les catégories inférées lors de la codification descriptive à un nombre restreint de catégories plus synthétiques (thèmes) qui présentent un potentiel explicatif (Miles & Huberman, 2003). Cette codification thématique a permis de repérer et de regrouper les éléments récurrents dans les propos des trois types de participant-e-s ainsi que dans les données des documents institutionnels afin d’en faciliter l’analyse.

Les codes « thématiques » (Huberman & Miles, 2003) retenus sont inspirés des concepts du cadre théorique tout en s’appuyant sur l’objectif général de la recherche. À titre illustratif, d’emblée, il a été possible de circonscrire deux grands thèmes généraux : 1/facteurs individuels et 2/facteurs structurels. Ces deux thèmes offraient la possibilité d’examiner les données de manière exhaustive dans la mesure où ils permettaient de regrouper tant les aspects personnels, interpersonnels et contextuels du processus de formation doctorale en SHS.

Une réorganisation plus fine de ces deux thèmes généraux a permis d’amorcer l’interprétation des données. Par exemple, au thème général « Facteurs individuels » il a été possible d’associer les sous-thèmes « défis individuels » et « parcours personnel ». Tandis qu’en cours de processus quelques sous-thèmes ont été fusionnés pour faciliter l’analyse, certains autres comme celui de « type d’engagement personnel » ont émergé en cours d’analyse. Ces sous-thèmes ont eux-mêmes parfois été subdivisés dans le but d’affiner l’analyse (voir annexe 8 pour l’ensemble des thèmes et sous-thèmes retenus).

Somme toute, ce processus de codification a été effectué de manière systématique et rigoureuse afin d’organiser le contenu selon des catégories non seulement significatives, mais aussi exclusives les unes par rapport aux autres (L’Écuyer, 1990; Savin-Baden & Marjor, 2013). Afin de nous assurer de la fiabilité des résultats issus de notre démarche (Drapeau, 2014) et ainsi en renforcer la rigueur, l’ampleur et la profondeur (Denzin & Lincoln, 1998), l’orientation d’analyse privilégiée a été soumise à notre directrice de thèse lors de plusieurs échanges, puis par écrit. Ultimement, un tel processus d’analyse de contenu thématique a permis d’organiser les données selon deux niveaux : descriptif et compréhensif.

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Niveau d’analyse descriptif : description en profondeur du cas

Rappelons que l’une des particularités de l’étude de cas repose sur la possibilité qu’elle offre d’étudier un phénomène dans son contexte, ce qui rejoint l’idée de « contextualisation » de l’action propre à la perspective de Giddens. Ainsi, au terme du processus de codification explicité précédemment, il a été possible d’effectuer une description en profondeur du cas que constitue la formation doctorale dans les SHS, dans le contexte d’une université québécoise francophone urbaine. Cette description du cas est présentée au chapitre consacré à la présentation des résulats.

D’emblée, il a été question de décrire brièvement le contexte universitaire général au sein duquel s’inscrit le cas à l’étude (ex. type d’établissement, taux de diplomation, mandat de la faculté des études supérieures). Les spécificités du processus de formation doctorale en SHS, que révèle le cas, ont ensuite été minutieusement décrites. Ainsi, les aspects de « l’organisation objective » de la formation, c’est-à-dire sa nature et sa finalités officielles, sa structure et ses modalités formelles, les aspects formels du processus d’encadrement ainsi que les principales ressources officiellement mises à la disposition des doctorant-e-s, ont d’abord été mis en évidence. Les aspects de son « organisation tacite » ont également été circonscrits, en l’occurrence, le point de vue des doctorant-e-s, des directeurs et directrices de thèse et des administrateurs à l’égard de la nature et des finalités de la formation, du rôle et du profil attendu des doctorant-e-s, du rôle attendu des directeurs et directrices de thèse, des aspects tacites de la relation d’encadrement et des modalités de la formation, de ses aspects facilitants et contraignants ainsi que leur connaissance et perception des ressources mises à la disposition des doctorant-e-s. Offrir une description aussi détaillée du cas assure la cohérence interne des résultats (Drapeau, 2004).

Avant d’en arriver à une version suffisamment complexe, la description du cas a d’abord été réalisée sous la forme de tableaux, à partir des thèmes circonscrits lors du processus de codification. Au-delà d’une simple organisation des données, l’élaboration de ces tableaux comporte une dimension analytique « puisque le choix des variables mises en relation et le choix des modalités de chacune d’elles est dépendant de l’objectif de recherche et des hypothèses de travail, elles-mêmes définies par les éléments théoriques et les concepts auxquels [le chercheur] se réfère » (Albarello, 2011, p. 78). Un tel mode d’organisation des

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données offre la possibilité de tirer des conclusions préliminaires (Miles & Huberman, 2003). Notamment, il a été possible d’examiner si les doctorant-e-s de différentes disciplines des SHS partagent certaines pratiques ou façons de penser, de comparer leur perception à celle des directeurs et directrices de thèse et des administrateurs concernant les aspects facilitants et contraignants de la formation doctorale ou encore de confronter l’énoncé des règles et des exigences officielles qui se trouve dans les documents institutionnels à l’interprétation qu’en font le doctorant-e-s, les directeurs et directrices de thèse ainsi que les administrateurs. Afin de répondre aussi à la visée compréhensive de la thèse, l’analyse s’est poursuivie et complexifiée (Albarello, 2011).

Niveau d’analyse compréhensif : liens entre données empiriques et référents théoriques Si, lors d’une étude de cas instrumentale, le cas est appréhendé en fonction d’une théorie retenue à priori, sa portée compréhensive repose plus particulièrement sur une confrontation entre les données empiriques et les référents théoriques. Dans le cadre de la thèse, il s’agissait de tenter de répondre à la question de recherche en mobilisant les concepts de la théorie de la structuration de Giddens (2005).

Pour ce faire, nous avons favorisé ce que Yin (2012) nomme la « construction progressive de l’explication » (explanation building)28 qui consiste à effectuer – tout au long de l’analyse

– des allers-retours entre les données et le cadre théorique pour en dégager des pistes de compréhension. Il s’agit d’un « processus continu d’affinement par lequel on cherche à la fois des explications complémentaires et des explications rivales, contraires » (Albarello, 2011, p. 106). Par exemple, un premier regard sur les données donnait l’impression que la majorité des directeurs et directrices de thèse ainsi que des administrateurs considèrent les aptitudes intellectuelles comme le facteur le plus important pour progresser dans la formation doctorale. Un examen plus approfondi des données a permis de cerner des subtilités dans leur discours qui ont mené à nuancer et préciser cette interprétation initiale.

28 Yin (2012) propose quatre « techniques » pour construire l’explication en fonction des visées de la recherche et de

l’importance accordée aux concepts théoriques dans l’analyse : 1) la confrontation avec la théorie (pattern matching), 2) la construction progressive (explanation building), 3) les séries temporelles (time series analysis) et 4) les modèles logiques (replication logic).

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Dans un premier temps, les idées principales émanant des trois grands thèmes généraux et de leurs sous-thèmes ont été dégagées en s’appuyant sur les concepts de la théorie de la structuration de Giddens. Par exemple, dans le cas du thème « Parcours personnel », les notions de « raisons », « motifs » et « motivations » ont été mises en relation avec les « stratégies de progression » des doctorant-e-s permettant ici d’appréhender la formation doctorale comme une « quête » dont la nature est discutée plus avant dans le chapitre dédié à l’interprétation des résultats. De même, du sous-thème « culture de recherche », il est notamment ressorti l’idée selon laquelle le choix d’un sujet de recherche qui remet en question les dogmes dominants – dans une discipline donnée – peut nuire à la progression dans la formation doctorale. Parmi plusieurs autres, ces idées principales ont favorisé une meilleure compréhension des aspects facilitants et contraignants de la formation.

À un niveau d’analyse supérieur, la subjectivité du discours de l’ensemble des participant-e- s a été confrontée au contenu objectif des documents institutionnels. Il a ainsi été possible d’examiner, d’une part, dans quelle mesure le discours des directeurs et directrices de thèse et des administrateurs rejoint le discours institutionnel officiel, et d’autre part, à quel point les perceptions, les choix et les pratiques des doctorant-e-s sont le reflet d’attentes instituées. En mobilisant les concepts de « dualité du structurel » et de « récursivités des pratiques » de Giddens, il a été possible de mettre au jour des façons de faire et de penser, propre au milieu universitaire, qui peuvent soit faciliter soit nuire à la progression dans la formation doctorale. Il ressort notamment des analyses que les critères d’obtention de certaines initiatives de soutien à la réussite peuvent pénaliser les doctorant-e-s aux profils plus atypiques. Ultimement, il a été possible d’examiner comment l’interaction de facteurs individuels (ex. qualité de la relation avec le directeur ou la directrice de thèse) et structurels (ex. nature de la formation) peut influencer la progression dans la formation.

Enfin, les données sociodémographiques des participant-e-s ont permis d’affiner certaines explications, notamment en examinant si le genre et le fait de travailler à temps plein ou à temps partiel – en parallèle aux études doctorales –, peut influencer la façon dont les participant-e-s perçoivent les possibilités et les contraintes et orientent leur parcours de formation. De la même façon, en croisant les données relatives à ce qui incite les participant- e-s à persister malgré les difficultés (question d’introduction du guide d’entretien) avec, par

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exemple, celles sur l’obtention d’une bourse de recherche il a été possible de constater que les raisons qui ont initialement poussé les participant-e-s à s’engager dans les études doctorales ont une influence sur leur façon de percevoir les difficultés et sur leurs stratégies pour y faire face.

Afin d’assurer la crédibilité de nos interprétations (Drapeau, 2004; Merriam, 1988), aux premiers temps des analyses, celles-ci ont été soumises – par écrit ou lors d’un échange en personne – à une doctorante et un professeur ayant participé à la recherche ainsi qu’à un doctorant et un professeur des SHS issus du même établissement d’enseignement, mais n’ayant pas participé à la recherche. À la suite de leur corroboration, quelques interprétations à l’égard des aspects facilitants et contraignants de la formation, mais aussi des raisons, motifs et motivations à s’engager dans les études doctorales ont pu être nuancées. Ces premiers résultats ont par ailleurs été présentés, en 2014, dans le cadre d’une conférence au 82e congrès de l’Acfas29 afin de bénéficier de rétroactions supplémentaires de la part de

doctorant-e-s et professeur-e-s affiliés à différentes universités du Québec.

Nos résultats sont en outre présentés puis discutés au regard de l’état actuel des connaissances sur la formation et l’expérience des doctorant-e-s, mais aussi en considérant les études les plus récentes sur les pratiques d’accompagnement et de supervision aux cycles supérieurs, notamment ceux de Åkerlind et McAlpine (2015), Kandiko et Kinchin (2012), Grant et collaborateurs (2016), Nolte, Bruce et Becker (2015) ainsi que Woolderink, Putnik, van der Boom et Klabbers (2015), ce qui a permis d’en assurer la validité référentielle (Pourtois & Desmet, 2007). Plusieurs constats d’autres chercheur-e-s quant aux difficultés vécues au cours du processus de formation doctorale, notamment ceux de Gopaul (2015), Baptista (2015), Greene (2015) et Lester (2013) concordent aussi avec les résultats de la présente thèse, ce qui rend compte de son « potentiel confirmatif » (Huberman & Miles, 1991). Aux termes de la rédaction d’une première version complète de la thèse, les résultats ont fait

29Skakni, I. (2014, mai). Progresser dans la formation doctorale en sciences humaines et sociales: enjeux individuels et

obstacles structurels. Communication présentée au 82e congrès de l’Association francophone pour le savoir. Montréal:

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l’objet de deux conférences à l’été 201630 : l’une dans le cadre du symposium Pratiques

d’encadrement et postures de recherche des encadrants, au 84e congrès de l’Acfas à Montréal

et la seconde au 29e Congrès de l’Association Internationale de Pédagogie Universitaire

(AIPU), à Lausanne. Les échanges ayant suivi ont permi d’appuyer les constats issues du cas à l’étude, lesquels font écho au vécu et aux obsevations de chercheur-e-s et administrateurs d’autres établissements d’enseignement, tant au Québec qu’en Europe. On peut ainsi penser que les résultats de la thèse son bel et bien ancrés dans le contexte universitaire actuel et tendent à refléter les particularités de la formation doctorale dans les SHS.