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S’intéresser à la progression dans le processus de formation doctorale : enjeu

CHAPITRE 1 : Progresser dans la formation doctorale — éléments de problématique

1.3 S’intéresser à la progression dans le processus de formation doctorale : enjeu

théoriques actuels

Bien que les recherches passées et actuelles ont permis de circonscrire un ensemble de facteurs susceptibles d’influencer la progression dans la formation, on continue d’observer de faibles taux de diplomation au doctorat dans plusieurs établissements (Di Pierro, 2007; MESRT, 2013; Most, 2008). On peut déplorer que peu de modèles théoriques aient été développés pour étudier la question, mais aussi que les grandes enquêtes – souvent institutionnelles – ne présentent généralement pas de fondements théoriques (McAlpine & Norton, 2006). Sans mettre en doute la valeur heuristique des résultats des recherches menées jusqu’ici, cela incite à explorer de nouveaux angles d’analyse tout en considérant la complexité du processus doctoral. Bien qu’il soit vécu de manière unique et personnelle (Lahenius & Martinsuo, 2011), celui-ci nécessite qu’on l’appréhende à la fois du point de vue individuel, interpersonnel et contextuel.

Dans une telle optique, les travaux des chercheurs qui focalisent leur attention sur le profil sociodémographique et psychosocial des doctorant-e-s présentent la lacune principale de négliger l’importance des facteurs institutionnels et structurels (Elgar, 2003; Golde, 2005; McAlpine & Norton, 2006) lorsqu’il est question de progresser dans la formation. Par ailleurs, devant la nécessité de considérer à la fois les facteurs individuels, ceux liés aux modalités de la formation ainsi que ceux liés au milieu et au contexte d’études, il demeure hasardeux de tenter d’identifier un profil « type » de doctorant-e susceptible d’abandonner ses études ou encore de se rendre jusqu’à la diplomation. Il nous apparaît ici plus fécond de tenter de circonscrire des façons de faire et de penser, partagées par les acteurs universitaires (doctorant-e-s, professeur-e-s, administrateurs), qui ont le potentiel de favoriser la progression dans la formation ou, au contraire, de l’entraver.

En effet, dans la mesure où le phénomène des faibles taux de diplomation traverse les décennies et les frontières géographiques, il est possible d’y voir un problème systémique propre à la façon dont les acteurs universitaires, impliqués dans la formation doctorale, mobilisent et médiatisent les règles et ressources du milieu pour mettre en place les balises

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de la formation – dans le cas des directeurs et directrices de thèse et des administrateurs – ou encore pour orienter leur parcours de formation – dans le cas des doctorant-e-s. Il apparaît dès lors pertinent d’examiner comment ces derniers participent de la reproduction de façons de faire et de penser « admises » ou « attendues » dans le milieu universitaire. Une approche sociologique apparaît ici fort à propos dans la mesure où elle offre la possibilité d’examiner les relations entre les conduites individuelles et les structures sociales (Dubar, 2009). Toutefois, plutôt que de voir la formation doctorale comme un lieu de reproduction sociale au sens large – comme d’autres l’ont déjà fait – nous proposons de l’appréhender comme un processus de reproduction des valeurs et normes du milieu de la recherche en particulier. Il s’agit donc d’examiner si, en privilégiant certaines attitudes, conduites et pratiques – parmi les possibilités qui s’offrent à lui –, l’étudiant-e au doctorat reproduit des façons de faire et de penser susceptibles d’être plus ou moins facilitantes pour sa progression. En ce sens, l’expérience individuelle et ponctuelle des doctorant-e-s est vue comme partie prenante d’un contexte universitaire plus large – ancré dans le temps et l’espace – qui la module, mais qu’elle contribue aussi à perpétuer et à faire évoluer.

De même, alors que plusieurs chercheurs centrent leur attention sur les effets possibles de l’héritage familial, social et culturel – ou des prédispositions personnelles – sur l’expérience doctorale, nous nous proposons plutôt d’examiner si la « position » (Giddens, 2005) de doctorant-e, au sein du milieu universitaire, sous-tend d’emblée certaines possibilités et certaines contraintes. Bref, nous portons notre intérêt sur les choix, les attitudes, les conduites et les pratiques « situés » des doctorant-e-s, c’est-à-dire sur les façons de faire et de penser qu’ils mettent de l’avant au quotidien pour progresser dans la formation, en mobilisant les règles et les ressources de leur milieu d’études.

La thèse repose ainsi sur un questionnement fondamental à l’égard de la façon dont les doctorant-e-s perçoivent et expérimentent le processus doctoral dans le contexte universitaire actuel, mais aussi de la façon dont la formation est appréhendée par les directeurs et directrices de thèse ainsi que les administrateurs. Notamment, on peut se demander si les modalités et les exigences de la formation (ex. scolarité, examens prospectifs, rédaction de la thèse, soutenance) favorisent la progression des doctorant-e-s, et ce, plus spécialement dans les disciplines des SHS qui accusent des taux de diplomation plus bas. On peut aussi se

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questionner sur la façon dont ils s’approprient et mobilisent les normes, les règles et les pratiques qui prévalent dans leur milieu d’études de même que sur l’efficacité des initiatives – départementales et facultaires – de soutien à la réussite au doctorat. En ce sens, il apparaît légitime de s’interroger sur la façon dont peuvent interagir des facteurs individuels et structurels, lorsqu’il est question de progression dans la formation doctorale.

1.3.1 Question et objectifs de recherche

À la lumière des considérations qui précèdent, l’angle d’étude que nous envisageons est novateur : nous faisons l’hypothèse que c’est à la jonction d’enjeux individuels et structurels que se situe la problématique des faibles taux de diplomation au doctorat. Nous nous proposons ainsi d’examiner l’influence de l’interaction de facteurs individuels et structurels sur la progression des doctorant-e-s des SHS dans leur formation. En nous appuyant sur la théorie de la structuration de Giddens (2005), il s’agit somme toute d’examiner comment les doctorant-e-s orientent leur parcours de formation au regard des « contraintes structurelles » – au sens où l’entend Giddens9 – avec lesquelles ils et elles doivent composer dans leur milieu

d’études, en répondant à la question suivante : comment l’interaction de facteurs individuels et structurels, dans le cadre d’études doctorales en sciences de l’humain et du social, peut- elle influencer la progression dans le processus de formation?

Pour ce faire, cinq objectifs spécifiques ont été déterminés :

Objectif 1 : décrire comment les doctorant-e-s des SHS abordent et expérimentent les études doctorales en cernant la façon dont ils appréhendent les exigences, les normes, les règles et les ressources – officielles et implicites – relatives au processus.

Objectif 2 : comprendre comment ces doctorant-e-s orientent leur parcours de formation en examinant les stratégies (choix, attitudes, comportements, pratiques) qu’ils et elles privilégient pour progresser.

9 Pour Giddens, l’idée de « contrainte structurelle » renvoie aux limites d’un individu (ou d’un groupe d’individus) quant à

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Objectif 3 : expliciter la perception des directeurs/directrices de thèse et des administrateurs universitaires des SHS quant aux exigences, normes, règles et ressources – officielles ou implicites – relatives à la formation doctorale.

Objectif 4 : comparer la perception des trois types de participant-e-s quant aux aspects facilitants/contraignants de la formation doctorale et aux stratégies à privilégier pour progresser.

Objectif 5 : rendre compte de la portée systémique10 des faibles taux de diplomation dans

les disciplines des SHS en examinant dans quelle mesure le discours ainsi que les attitudes, les comportements et les pratiques valorisées par les trois types de participant-e-s sont le reflet d’attentes, de normes ou d’exigences instituées.

1.3.2 Pertinence de la thèse

La thèse constitue d’emblée une contribution aux connaissances sur l’expérience doctorale en contexte québécois. Elle permet aussi de documenter les particularités de cette formation en cours de processus, alors que la majorité des recherches s’appuient sur le témoignage d’étudiant-e-s ayant soit terminé leurs études et obtenu leur diplôme, soit abandonné leur programme. Menées hors du parcours doctoral, ces recherches permettent difficilement de porter un regard sur l’expérience des doctorant-e-s, au quotidien (Gardner, 2010; Golde, 2005).

L’originalité de la thèse réside notamment dans le fait que nous avons choisi de nous distancer des recherches axées sur la notion de « persévérance », laquelle incite à appréhender la problématique des faibles taux de diplomation au doctorat sous l’angle de la responsabilité individuelle, c’est-à-dire à focaliser sur la capacité du doctorant ou de la doctorante à progresser dans sa formation et sur les efforts qu’il est en mesure de fournir pour se rendre jusqu’à la diplomation. Nous portons plutôt notre intérêt sur les spécificités du processus de formation doctorale, ce qui permet d’envisager la problématique de manière

10 Considérer la « portée systémique » des faibles taux de diplomation renvoie ici au fait d’examiner à quel point la

persistance de ces faibles taux repose sur une reproduction, par les acteurs universitaires, de façons de faire et de penser « admises » dans les milieux d’études et dans le milieu universitaire en général, dont certaines – nous en faisons l’hypothèse — peuvent nuire à la progression dans la formation.

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globale, c’est-à-dire de l’étudier dans son contexte, en considérant à la fois ses aspects individuels et structurels. Nous nous intéressons plus spécialement au processus de formation doctorale dans les domaines des SHS puisque les taux de diplomation y sont généralement plus faibles et le temps d’études plus long. Très peu de recherches portent spécifiquement sur ce champ de formation.

Par ailleurs, les constats issus des recherches passées et actuelles semblent rarement faire l’objet d’une réappropriation de la part des différents acteurs impliqués dans la formation des doctorant-e-s. Il apparaît aussi que les recherches dites « institutionnelles » sont généralement menées de manière à répondre à des préoccupations administratives (ex. indicateurs de rendement), avec une considération moindre pour les aspects de la problématique liés au vécu des doctorant-e-s. En corollaire, les recherches universitaires, souvent axées sur l’expérience et la perception des doctorant-e-s, tendent à sublimer les questions organisationnelles ou institutionnelles relatives au processus de formation doctorale. La théorie mobilisée aux fins de la thèse offre ici la possibilité de concilier ces deux dimensions de l’objet d’étude.

La thèse permet d’ailleurs de contraster les points de vue des doctorant-e-s, des directeurs et directrices de thèse et des administrateurs, ce qui enrichit la compréhension de la problématique, en plus d’instaurer un dialogue pertinent entre les différents acteurs universitaires, comme le suggère Gaff (2002), à propos des aspects facilitants et contraignants de la formation doctorale. Elle offre également des pistes d’orientation pour affiner les pratiques d’encadrement au doctorat et éclairer les politiques institutionnelles de formation « à » la recherche et « par » la recherche ainsi que les politiques publiques de soutien aux doctorant-e-s (Leonard et al., 2006). Il s’agissait en outre d’une occasion pour les directeurs et directrices de thèse participants de faire le point sur la façon dont ils envisagent la formation de leurs étudiant-e-s. Mais avant tout, la recherche a tenu lieu, pour les doctorant-e-s participants, d’espace de réflexion sur leur expérience de formation. Le cadre théorique sur lequel s’appuie la présente thèse fait l’objet du chapitre qui suit.

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