• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : Résultats

4.2 Progresser dans la formation doctorale en SHS : possibilités et contraintes

4.2.1 S’engager dans la formation doctorale

Dans le cadre des entretiens, les doctorant-e-s ont rendu compte de « raisons » et de « motifs » plus ou moins pragmatiques les ayant mené-e-s à s’engager dans leur formation. Les raisons évoquées renvoient tour à tour au désir de répondre aux attentes d’autrui, à des préoccupations touchant la réalisation de soi, au besoin de se dépasser sur le plan intellectuel, à la volonté de développer des compétences professionnelles ou encore à celle de maximiser ses opportunités professionnelles. Quant aux motifs dont rendent compte les doctorant-e-s,

40 Rappelons que sous l’angle de la théorie de la structuration, les « raisons » renvoient à ce que l’acteur fait valoir pour

justifier une action accomplie ou en cours (pourquoi il s’est engagé dans une action), tandis que les « motifs » font référence aux désirs qui inspirent l’action (ce qu’on souhaite obtenir du fait de s’engager dans cette action).

114

s’ils sont intimement liés aux raisons précédemment évoquées, ils parlent avant tout des bénéfices que ceux-ci comptent retirer de l’obtention de leur diplôme.

4.2.1.1 Répondre à des attentes

Quelques participant-e-s disent s’être d’emblée engagés dans les études doctorales afin de répondre aux attentes de leur entourage. Certains évoquent ainsi les aspirations de leurs parents à leur égard, les attentes plus ou moins explicites de leur famille ou encore le fait d’avoir été encouragé par un-e professeur-e à envisager la formation doctorale :

Moi, quand j’ai fini ma maîtrise, mes parents […] me disaient : « pourquoi tu ne continues pas? Tu vas devenir prof à l’université! » Tu sais, mes parents voulaient que je devienne médecin, alors je suis juste allée en [profession x] et c’était la fin du monde pour eux! Aujourd’hui ils sont très fiers de moi […]. (Doctorante 4, Sciences sociales)

J’ai une cousine qui a fait un doctorat. Elle, elle faisait de la recherche en bio puis, je la connais pas beaucoup, mais tu sais tout le monde me disait que je lui ressemblais… Ça m’a peut-être influencée un petit peu. (Doctorante 3, Sciences sociales)

C’est dans le cadre de mon parcours à la maîtrise, j’ai eu le privilège de rencontrer un professeur qui m’a dit : « tu as tout ce qu’il faut et durant les prochaines années nous allons avoir besoin de quelqu’un. La personne qui va être embauchée doit avoir son PhD Vas le chercher. » (Doctorant 2, Sciences de l’éducation)

Pour un des doctorant-e-s, cette volonté de répondre à des attentes se manifeste différemment. Il raconte avoir été influencé par la frustration ressentie lors d’une situation professionnelle où on lui a explicitement fait comprendre que son statut de simple travailleur ne lui permettait pas d’exprimer son opinion :

[…] Et j’ai dit : « qu’est-ce que ça prend pour être autorisé à parler avec vous? » On m’a répondu : « ça prend un titre, ça prend un doctorat ». Donc ma réflexion a été de me dire que, si ça me prend un doctorat pour [être] autorisé à parler avec [lui], […] je vais aller faire un doctorat pour [lui] montrer que je peux [me permettre] de parler avec [lui]. Donc, c’est vraiment ça qui m’a amené à faire mon doctorat au départ! (Doctorant 9, Sciences de l’éducation)

115

4.2.1.2 Se définir, se réaliser

Pour d’autres doctorant-e-s, les études doctorales sont avant tout l’occasion de se s’épanouir et se réaliser sur le plan personnel. Alors que pour certains, « c’est vraiment une rencontre avec soi » (Doctorant 2, Sciences de l’éducation), un « séjour de soi dans la pensée » (Doctorant 29, Sciences sociales), d’autres utilisent le terme « vocation » pour illustrer ce que représentent pour eux les études doctorales et ultimement la profession de chercheur-e. Plusieurs rendent d’ailleurs compte d’un intérêt précoce pour les études doctorales, se manifestant déjà dans l’enfance ou à l’adolescence :

Moi je pense que j’ai toujours su que j’allais faire un doctorat. J’étais vraiment petite puis j’avais demandé à ma mère c’était quoi le plus [loin] où on peut se rendre à l’école. Ma mère m’avait dit : « je pense que c’est le doctorat ». […] Mais, surtout, j’ai toujours aimé l’école, j’ai toujours aimé apprendre puis je pense que c’est ça qui me passionne en fait, tu sais, c’est vraiment l’idée de vouloir en savoir [toujours] davantage. Nécessairement, il fallait que j’aille faire un doctorat et nécessairement, ça implique que je veux faire de la recherche. (Doctorante 11, Philosophie)

La formation doctorale est aussi vue comme l’occasion d’expérimenter une mobilité sociale ascendante, notamment chez les quelques doctorant-e-s s’étant révélés être les premiers de leur famille à réaliser des études universitaires. Parmi ces doctorant-e-s, certains abordent la question du prestige associé au titre de docteur, lequel renvoie plus particulièrement à un besoin de reconnaissance de leurs compétences :

Mes parents ne sont pas allés à l’université […] Il y a l’idée d’aller plus loin, peut-être, que ce qu’on fait mes parents. L’idée que le statut universitaire, je trouve que c’est un statut qui est fascinant quand on vient de l’extérieur. J’ai toujours vu les profs quand même vivre dans des bonnes conditions. Avoir ce côté assez intellectuel, disposer de leur temps… ce qui me semble être une grande richesse en fait. Donc, oui, il y a un peu cette fascination pour ce statut- là et ce mode de vie là. (Doctorant 6, Sciences sociales)

[…] je pense que je suis attiré par le prestige. Ce serait vraiment de publier ou de faire quelque chose qui ferait que j’aurais un nom. Je pense que c’est quelque chose qui m’anime. Mais, on dirait que c’est un motif qu’on ne veut pas trop s’avouer hein! […] Évidemment, ce n’est pas la même chose que vouloir passer à la télé puis avoir ses 15 minutes de gloire! (Doctorant 17, Philosophie)

Chez les doctorant-e-s s’étant engagé-e-s dans la formation pour répondre à des attentes ou pour se définir et se réaliser, les motifs qui président à cette décision, c’est-à-dire les

116

bénéfices qu’ils comptent retirer de l’obtention du diplôme, sont essentiellement liés à l’idée d’accomplissement personnel :

Le plus grand bénéfice? Je pense qu’il va être personnel honnêtement. Je pense que ça va être de la fierté avant tout. Je pense qu’à travers tout ce… pas juste le doctorat, mais tout ce cheminement-là, je vais avoir beaucoup changé moi- même, ma personnalité, ma vision du monde. Tu sais, comment le voir le monde, comment l’analyser puis tout ça. Je vais avoir changé. (Doctorante 11, Philosophie)

[…] en tout cas sûrement pas la richesse! Le fait d’avoir accompli quelque chose de grand! Le fait d’obtenir le plus haut grade d’études possible. (Doctorante 8, Lettres et Humanités)

4.2.1.3 Relever un défi intellectuel

D’autres participant-e-s expliquent leur choix de s’engager aux études doctorales par une passion pour le travail intellectuel. Cette passion se traduit notamment par le plaisir de se pencher sur des questions complexes, la volonté de peaufiner ses aptitudes intellectuelles ou encore de contribuer à l’avancement des connaissances dans un domaine :

D’abord, je me suis toujours vu comme un penseur. Quelqu’un qui aime penser. J’aime ça. J’avais 13 ans, j’étais assis sur le balcon chez un de mes amis puis on jasait de philo. J’ai aimé les cours de philo au cégep. La pensée intellectuelle est quelque chose qui m’a toujours intéressé, mais j’ai toujours eu aussi un intérêt pour la pratique de la relation d’aide, être proche des gens, être en discussion avec les gens. (Doctorant 12, Sciences de l’éducation)

Moi, j’ai toujours aimé me casser la tête sur des problèmes compliqués. C’est ce qui me passionne dans la vie; essayer de comprendre. (Doctorante 25, Sciences sociales)

Certains parlent aussi d’un vif intérêt pour un objet d’étude en particulier, de l’envie d’analyser en profondeur une problématique liée à leur pratique professionnelle ou encore d’offrir des outils aux praticiens de leur domaine :

J’avais un bon sujet que j’aimais. J’avais fait quelque chose à la maîtrise sur le [sujet x], puis je voulais l’approfondir, j’avais une bonne idée de ce que je voulais faire. (Doctorant 14, Lettres et Humanités)

Quand j’ai commencé mon doctorat, ce qui m’animait beaucoup c’était la volonté d’aider les futurs professionnels [de mon domaine] à avoir de meilleures connaissances sur [problème x]. (Doctorante 4, Sciences sociales)

117

Quelques participant-e-s parlent en outre d’un manque de stimulation intellectuelle dans l’exercice de leur profession les ayant menés à s’engager dans les études doctorales :

Je sentais qu’au [organisation x], j’allais avoir des possibilités d’emploi plutôt stables à assez court terme, puis c’est un beau milieu. C’est un milieu que je trouvais le fun aussi. Mais je trouvais que c’était peu stimulant intellectuellement parlant. Quand je dis « intellectuellement parlant », je veux aussi dire de manière [large]. Je m’intéresse beaucoup à la politique, à la sociologie, aux phénomènes sociaux en général. Puis, là, j’avais un peu l’impression de ne pas être là-dedans. (Doctorant 30, Sciences de l’éducation)

Les doctorant-e-s ayant de telles aspirations intellectuelles évoquent ainsi des motifs relevant du désir d’une contribution pertinente et originale au domaine de recherche dans lequel leurs travaux s’inscrivent :

Un des bénéfices qui, pour moi, n’a pas de prix et qui est vraiment important, c’est la publication d’une thèse. C’est de participer au savoir, c’est d’avoir été en mesure de créer des connaissances nouvelles, de participer à une réflexion. […] C’est de créer une œuvre, d’avoir une œuvre à moi. Une œuvre qui est rattachée au développement du savoir […]. D’être fière de ça, de publier… (Doctorante 27, Sciences de l’éducation)

[…] c’est un peu égoïste, mais c’est sûr que j’espère apporter quelque chose de nouveau à la recherche. C’est le but un peu « cliché » de la recherche; avoir contribué à la compréhension d’un problème X. Puis, j’espère pouvoir le faire. J’espère pouvoir amener les choses à un niveau supérieur. (Doctorante 35, Lettres et Humanités)

4.2.1.4 Développer ou consolider des compétences professionnelles

Pour certains participants, les études doctorales constituent, avant tout, un passage obligé pour obtenir l’emploi qu’ils convoitent. Si la majorité des doctorant-e-s interviewés dit d’ailleurs envisager une carrière universitaire, certains se sentent d’abord appelés par l’enseignement alors que d’autres parlent plutôt d’un intérêt marqué pour la recherche. Il est ainsi question d’acquérir les compétences nécessaires à l’exercice de la profession :

Moi, j’ai un objectif dans la vie puis c’est celui d’enseigner. J’ai travaillé avec ou pour des professeurs, à différents niveaux. Que ce soit en recherche, que ce soit de l’assistanat d’enseignement, de la correction de copies, ce genre de trucs là. Sont venues ensuite les charges de cours. J’ai adoré ça! Je pense être fait pour ça. C’est ce que je veux faire et c’est la raison pour laquelle je veux à tout prix

118

terminer cette année mon doc dans le but de pouvoir postuler justement sur des trucs plus importants. (Doctorant 29, Sciences sociales)

Je commençais à me rendre compte que, si je voulais en réalité me spécialiser dans la recherche, il fallait aller jusqu’au doctorat. Parce que, je veux être chercheur, et voilà, avec la maîtrise ce n’est pas suffisant pour [soumettre sa candidature] à des postes de chercheurs ou obtenir des bourses, du financement… (Doctorant 33, Sciences sociales)

4.2.1.5 Obtenir « le papier »

Enfin, quelques participant-e-s ont une vision de la formation plus pragmatique et souhaitent simplement « obtenir le papier », c’est-à-dire acquérir un diplôme de doctorat afin d’ouvrir leurs perspectives professionnelles :

[C’est] un papier stratégique pour faire des choses plus intéressantes plus tard. C’est vraiment ça. Parce que dans le domaine dans lequel je suis, l’enseignement est une option, la recherche est une option. Mais, contrairement à d’autres domaines où tu fais un doctorat et après ça tu es confiné [au milieu universitaire] et tu ne peux pas faire grand-chose d’autre, moi dans mon domaine d’intérêt qui est le [domaine x], je peux soit travailler dans des institutions internationales, des [institutions] mondiales ou dans des boîtes de consultants, et dans chaque cas, le doctorat est bienvenu. (Doctorant 7, Sciences de l’administration)

Ainsi, du côté des doctorant-e-s désirant développer des compétences professionnelles ou dont l’objectif principal est d’obtenir « le papier », ce qu’ils comptent avant tout retirer de l’obtention de leur diplôme, c’est la satisfaction d’occuper un emploi à la hauteur de leurs compétences et de leurs ambitions :

Ce que j’espère dans le fond pouvoir retirer, bien, il est déjà arrivé : j’ai obtenu un poste de prof d’université. C’est vraiment LE bénéfice. (Doctorante 5, Sciences de l’éducation)

Nous verrons ultérieurement que les raisons et les motifs pour lesquelles l’étudiant-e s’engage dans la formation doctorale peuvent influencer sa perception de ce qui est facilitant ou contraignant tout au long de son parcours d’études, mais aussi les stratégies qu’il ou elle met de l’avant pour progresser dans la formation malgré les défis qu’elle sous-tend.

119

4.2.2 Facteurs individuels de progression dans la formation doctorale en