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CHAPITRE 1 : Progresser dans la formation doctorale — éléments de problématique

1.2 Recherches sur la progression dans la formation doctorale : état des lieux

1.2.2 Progresser ou non dans la formation doctorale : facteurs à considérer

1.2.2.2 Facteurs liés aux modalités de la formation

Les facteurs liés aux modalités de la formation doctorale font référence à sa structure et son fonctionnement et en l’occurrence à sa durée, à la rédaction de la thèse, à la relation entre l’étudiant-e et le directeur ou la directrice de thèse ainsi qu’au sentiment d’isolement pouvant caractériser ce parcours de formation.

D’emblée, la longueur des études doctorales peut induire un effet de découragement chez plusieurs étudiant-e-s (Bourdages, 2001). Bon nombre d’entre eux dépasseraient d’ailleurs les délais d’achèvement prescrits par les établissements d’enseignement (Association canadienne pour les études supérieures, 2004; Elgar, 2003). Les résultats de recherche mettent toutefois en relief certaines disparités entre les champs disciplinaires et les programmes de doctorat. Notamment, les programmes qui comportent de petites cohortes d’étudiant-e-s présenteraient des taux d’abandon plus faibles et des délais d’achèvement des études plus courts que les programmes qui accueillent de grandes cohortes (Bair & Haworth, 2004). Ces disparités peuvent s’expliquer entre autres du fait que chaque programme suppose des exigences et des difficultés différentes pouvant influencer la longueur de la thèse. Comme

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le souligne Bourdages (2001), alors que dans certains domaines d’études la thèse est tout simplement considérée comme un processus d’apprentissage de la recherche, dans d’autres domaines, on la voit plutôt comme une démonstration d’habiletés en recherche et une contribution importante à l’avancement des connaissances. Cette dernière conception impliquerait une durée des études relativement plus longue.

En outre, tandis que, dans les SHS, l’étudiant-e effectue souvent sa recherche de façon solitaire, certains domaines des STIM8 offrent un milieu d’études plus cohésif. Le fait d’être

membre d’un groupe de recherche faciliterait la progression dans la formation et l’achèvement des études dans le temps prescrit, notamment en raison d’échanges plus fréquents avec le directeur ou la directrice de thèse (Di Pierro, 2007; Elgar, 2003). De plus, le type de recherche effectué et la méthodologie privilégiée peuvent influencer la durée des études doctorales. En soi, « penser prend du temps et le processus de recherche, surtout de type qualitatif, requiert un temps d’élaboration psychique qui est difficilement prévisible au départ » (Lafortune, 1989 citée par Bourdages, 2001, p. 131).

Il importe de noter qu’une recherche de Tanguay (2014) montre néanmoins que, chez les doctorant-e-s qui ont des responsabilités parentales, la possibilité de suivre la formation à temps partiel – ce qui allonge inévitablement le temps d’études – facilite leur progression dans la formation.

Rédaction de la thèse

L’étape de la rédaction de la thèse est exigeante et peut parfois dépasser les capacités du doctorant ou de la doctorante sur les plans financier, social ou émotionnel (Bourdages, 2001). Ainsi, bien qu’environ 30 % des abandons surviennent durant les trois premières années d’études, un nombre important d’étudiant-e-s abandonne au moment de la réalisation de la thèse (Bair & Haworth, 2004; Blum, 2010). Ces parcours, que les chercheurs étasuniens nomment « ABD » (All But Dissertation) (Berelson, 1960; Blum, 2010), s’observent plus particulièrement dans les disciplines des SHS où l’ampleur de la thèse (full dissertation)

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supplante celle du genre de thèse exigée, par exemple, en sciences de la nature (Sternberg, 1981). Toutefois, de plus en plus de doctorant-e-s, même en SHS, choisissent de rédiger une thèse « par articles » (thesis by publication), laquelle présente des enjeux particuliers en termes de progression dans la formation et d’implication de la part du directeur ou de la directrice de thèse (voir notamment Nethsinghe & Southcott, 2015).

Pour certains auteurs, mettre un terme à ses études à l’étape de la rédaction serait attribuable à un manque de préparation et de connaissances des exigences (intellectuelles, affectives et financières) de la tâche de recherche et de rédaction de la thèse ou encore à des lacunes dans la planification du temps et des priorités (Kluever, 1997). Entre autres, plusieurs doctorant- e-s éprouveraient des difficultés sur le plan méthodologique, de la structure du matériel, de l’écriture et de l’organisation du texte, de la présentation de la thèse ou se buteraient à des barrières psychologiques quant au démarrage de la tâche (Leduc, 1990). D’autres facteurs auraient également une influence négative sur la persistance au moment de la rédaction de la thèse : le manque de motivation, la peur, le stress et l’anxiété (Lovitts, 2005), le perfectionnisme et la procrastination (Germeroth, 1991; Green, 1997) et des attentes irréalistes vis-à-vis des études supérieures (Golde, 1998). Ultimement, le soutien du directeur ou de la directrice de thèse serait aussi capital.

Relation doctorant-e – directeur ou directrice de thèse

Il est généralement admis que la qualité de l’encadrement et de la relation entre l’étudiant-e et le directeur ou la directrice de thèse a une influence majeure sur la progression des doctorant-e-s (Barnes & Austin, 2009; Green, 1997; Lee, 2007, 2008; Litalien, 2012; Lovitts, 2001; Nettles & Millet, 2006; Park, 2007; Zhao, Golde, & McCormick, 2007). Le directeur ou la directrice de thèse contribue à la qualité de l’expérience doctorale de ses étudiant-e-s, tout en les aidant à prendre part à leur communauté scientifique, en offrant, par exemple, la possibilité de participer à des projets de recherche, de faire des présentations à des conférences ou encore de publier des articles scientifiques (Holland, 1998; Lovitts, 2001, 2005; Lyons et al., 1990). Plus particulièrement, l’accessibilité et la disponibilité du directeur ou de la directrice de même que sa compatibilité avec l’étudiant-e seraient favorables à la réussite de la thèse (Gemme & Gingras, 2006; Golde, 1998, 2000; O’Bara, 1993).

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Plusieurs auteurs s’intéressent aux dimensions de la relation de supervision (Eley & Jennings, 2005; Halse & Malfroy, 2010; Lee, 2007; Taylor & Beasley, 2005; Wisker, 2005), aux styles de supervision (Brown & Atkins, 1989; Deuchar, 2008) ou encore aux compétences que sous- tend ce rôle (Brassard, 2012; Halse & Malfroy, 2010). Barnes et Austin (2009) se sont intéressés plus particulièrement aux pratiques exemplaires de supervision (exemplary advising) dans le cadre des études doctorales. Ils concluent que les pratiques les plus fructueuses comportent à la fois une dimension intellectuelle et affective en plus d’être axées tant sur le développement scientifique que sur le développement professionnel plus large du doctorant ou de la doctorante.

Les travaux de Peura (2008) montrent en outre que la progression des doctorant-e-s sera facilitée dans un contexte où la communauté universitaire en général – et les directeurs et directrices de thèse en particulier – accorde de l’importance non seulement aux processus de recherche et de rédaction de la thèse, mais aussi à la situation de vie personnelle des étudiant- e-s. Les doctorant-e-s auraient besoin à la fois d’un soutien scientifique, social et psychologique; sans conseils et sans encouragements, ils progresseraient plus difficilement dans la formation (Lahenius & Martinsuo, 2011).

Néanmoins, les pratiques de supervision ne peuvent expliquer à elles seules la facilité ou la difficulté à progresser dans la formation doctorale (Kearns et al., 2008; Lahenius & Martinsuo, 2011; Maher et al., 2004; McAlpine, 2013). Parmi d’autres, les travaux de Faghihi, Rakow & Ethington (1999) montrent que c’est l’interrelation entre la supervision du directeur ou de la directrice, les conseils des membres du comité de thèse et les aptitudes en recherche de l’étudiant-e qui contribuerait significativement à la progression de celui-ci dans la formation. On constate d’ailleurs de plus en plus d’intérêt pour l’idée de « communauté de chercheurs » (community of researchers), une nouvelle forme de mentorat propre à la formation des apprentis-chercheurs (voir par exemple Nolte, Bruce & Becker, 2015).

Sentiment d’isolement

Le sentiment d’isolement des doctorant-e-s demeure une difficulté souvent passée sous silence dans le milieu universitaire (Lewis et al., 2004). Pourtant, l’isolement intellectuel et

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la solitude feraient partie des problèmes les plus importants auxquels sont confrontés les doctorant-e-s tout au long de leur parcours (Germeroth, 1991; Janta, Lugosi, & Brown, 2014; Leduc, 1990). De nombreux chercheurs ont montré les effets négatifs du sentiment d’isolement sur l’expérience et la progression des doctorant-e-s (Ali & Kohun, 2006, 2007, 2009; Hawlery, 2003; Kohun & Ali, 2005; Lewis et al., 2004).

Selon Ali et Kohun (2006), deux situations tendent à induire un sentiment d’isolement chez les doctorant-e-s. D’une part, l’impression d’être isolé peut s’installer chez l’étudiant-e parce qu’il éprouve une certaine confusion vis-à-vis des exigences et des attentes relatives à son programme d’études. Cette confusion peut rapidement mener à l’impression d’être laissé à soi-même et d’être dépassé par la situation. D’autre part, le sentiment d’isolement peut tout simplement être induit par un manque d’interactions et de communication avec des pairs étudiants ou des professeur-e-s tout au long la formation (Ali & Kohun, 2006; Golde, 2005). Plusieurs doctorant-e-s vivraient d’ailleurs difficilement le fait que leurs demandes récurrentes de soutien et de rétroactions sur leur travail demeurent souvent sans réponse (Austin, 2002; Nyquist et al., 1999). Nous verrons plus loin que le sentiment d’isolement est particulièrement présent chez les doctorant-e-s des SHS.