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Progresser dans la formation doctorale en sciences de l'humain et du social : individus et structure en tension

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Academic year: 2021

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Progresser dans la formation doctorale en sciences

de l’humain et du social :

individus et structure en tension

Thèse

Isabelle Skakni

Doctorat en administration et évaluation en éducation

Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

(2)

Progresser dans la formation doctorale en sciences

de l’humain et du social :

individus et structure en tension

Thèse

Isabelle Skakni

(3)

iii

RÉSUMÉ

La présente thèse porte sur les enjeux de la progression dans la formation doctorale en sciences de l’humain et du social (SHS). Dans la plupart des pays occidentaux, les administrations universitaires se disent préoccupées par les délais d’achèvement et les faibles taux de diplomation au doctorat. S’il est admis que les aptitudes intellectuelles ne suffisent pas pour progresser dans les études doctorales, les recherches menées jusqu’ici montrent que les modalités de la formation, ainsi que le milieu et le contexte d’études dans lesquels celle-ci s’inscrit ont des répercussions sur l’expérience doctorale. Peu d’études portent toutefois sur la façon dont l’interaction de facteurs individuels et structurels peut affecter la progression dans ce processus de formation. En nous appuyant sur la théorie de la structuration de Giddens (2005), nous postulons dès lors que certaines valeurs, traditions et pratiques propres au monde académique – perpétuées, volontairement ou non, par les acteurs universitaires – peuvent nuire à la progression des doctorant-e-s. Afin d’examiner la question, une étude de cas instrumentale à visée compréhensive (Stake, 1994) a été réalisée. Six facultés des SHS d’une université canadienne ont été ciblées pour constituer le cas à l’étude. Outre l’analyse d’un ensemble de documents institutionnels relatif à la formation doctorale dans le contexte étudié, 36 doctorant-e-s issus de 19 disciplines ainsi que quatorze professeur-e-s et cinq administrateurs universitaires (directions de programmes/doyens/vices-doyens) ont été rencontrés dans le cadre d’entretiens semi-directifs. Nos résultats ont dans un premier temps permis de tracer un portrait descriptif détaillé du cas à l’étude. Les particularités de l’organisation formelle et tacite de la formation doctorale en SHS dans le contexte étudié ainsi que les défis qu’elle sous-tend ont été circonscrits, de même que les stratégies à privilégier – du point de vue des participant-e-s – pour progresser dans la formation. Dans un deuxième temps, il a été possible de montrer, d’une part, que c’est bien à la jonction de facteurs individuels et structurels que se situe la problématique de la progression dans la formation doctorale en SHS et des faibles taux de diplomation qui la caractérisent. D’autre part, la portée systémique d’une telle problématique a été mise au jour : à travers leurs choix, leurs attitudes et leurs pratiques, les acteurs universitaires contribuent à la reproduction de façon de faire et de penser « attendues » ou « admises » dans leur milieu, dont certaines ont le potentiel de nuire à la progression dans la formation doctorale.

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iv

ABSTRACT

This thesis addresses the challenges of progressing through PhD training in the human and social sciences. In most Western countries, universities express concern about completion times and graduation rates at the doctorate level. While, admittedly, intellectual abilities alone are not sufficient to successfully progress through a PhD program, the current knowledge indicates that modes of training and the contexts and conditions in which the training takes place also have a major impact on the process. However, few studies examine how individual and structural factors interact and impact PhD students’ paths. Based on Giddens’ theory of structuration (2005), we postulate that some traditions, practices and mentalities specific to the academic world — perpetuated, deliberately or not, by the scholarly community — likely impede students’ progress and maintain low graduation rates over time. To address this issue, we opted for a comprehensive, instrumental case study approach (Stake, 1994). Six human and social sciences faculties at a Canadian university were selected to define the case. In addition to analyzing institutional documents pertaining to PhD training in this specific context, we carried out semi-structured interviews with 36 PhD students from 19 different programs, 14 thesis supervisors and five academic administrators (program directors, deans and vice deans). Our results first provided a descriptive overview of the case under study. The specificity and the underlying challenges of the formal and tacit organization of the selected PhD training context were outlined, as well as the strategies that participants considered the most effective to progress. Second, the results verified that the challenges of PhD training in the human and social sciences are situated at the junction of individual and structural factors. Moreover, these issues may be understood at a systemic level: through their choices, attitudes and practices, PhD students, thesis supervisors and academic administrators contribute to perpetuated “expected” or “taken for granted” ways of acting and thinking, some of which potentially hinder PhD students’ progress.

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v

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... iv

TABLE DES MATIÈRES ... v

Liste des tableaux ... ix

Liste des figures ... x

Dédicace ... xi

Remerciements ... xiii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : Progresser dans la formation doctorale — éléments de problématique ... 4

1.1 Faibles taux de diplomation au doctorat : mise en contexte ... 4

1.2 Recherches sur la progression dans la formation doctorale : état des lieux ... 7

1.2.1 Évolution des angles d’étude ... 7

1.2.2 Progresser ou non dans la formation doctorale : facteurs à considérer ... 20

1.2.2.1 Facteurs individuels ... 20

1.2.2.2 Facteurs liés aux modalités de la formation ... 23

1.2.2.3 Facteurs liés au milieu et au contexte d’études ... 27

1.3 S’intéresser à la progression dans le processus de formation doctorale : enjeux épistémologiques et théoriques actuels ... 30

1.3.1 Question et objectifs de recherche ... 32

1.3.2 Pertinence de la thèse ... 33

CHAPITRE 2 : Cadre théorique ... 35

2.1 Orientation épistémologique ... 35

2.2 Théorie de la structuration de Giddens ... 36

2.2.1 Notions et concepts retenus aux fins de la thèse ... 37

2.2.1.1 Système social et processus de structuration ... 37

2.2.1.2 Acteur compétent et action contextualisée ... 38

2.2.1.3 Le structurel ... 42

(6)

vi

2.2.2 Pertinence du cadre théorique au regard de l’objet d’étude ... 46

CHAPITRE 3 : Cadre méthodologique ... 49

3.1 Orientation méthodologique ... 49

3.2 Stratégie de recherche ... 51

3.2.1 Étude de cas ... 52

3.3 Sources de données ... 55

3.3.1 Population ciblée et participant-e-s ... 55

3.3.1.1 Doctorants et doctorantes ... 55

3.3.1.2 Directeurs et directrices de thèse et administrateurs ... 59

3.3.2 Sources documentaires ... 59

3.4 Méthodes de collecte de données ... 60

3.4.1 Entretien semi-directif ... 60

3.4.2 Analyse de contenu de documents institutionnels ... 63

3.5 Analyse du corpus ... 64

3.5.1 Stratégie d’analyse ... 65

3.5.1.1 Analyse de contenu thématique ... 65

3.6 Portée et limites méthodologiques de la thèse ... 73

3.7 Considérations éthiques ... 75

CHAPITRE 4 : Résultats ... 77

4.1 La formation doctorale en SHS : description du cas ... 77

4.1.1 Organisation formelle de la formation ... 78

4.1.1.1 Contexte universitaire général ... 79

4.1.1.2 Nature et finalités officielles de la formation ... 80

4.1.1.3 Structure et modalités formelles de la formation ... 84

4.1.2 Organisation tacite de la formation doctorale en SHS ... 92

4.1.2.1 Nature et finalités perçues de la formation ... 94

4.1.2.2 Statut et profil attendu de l’étudiant-e au doctorat en SHS ... 97

4.1.2.3 Rôle attendu des directeur et directrice de thèse en SHS ... 105

4.1.2.4 Rôle perçu de l’établissement d’enseignement au regard de la progression dans la formation doctorale ... 109

4.2 Progresser dans la formation doctorale en SHS : possibilités et contraintes ... 112

4.2.1 S’engager dans la formation doctorale ... 113

4.2.1.1 Répondre à des attentes ... 114

(7)

vii

4.2.1.3 Relever un défi intellectuel ... 116

4.2.1.4 Développer ou consolider des compétences professionnelles... 117

4.2.1.5 Obtenir « le papier » ... 118

4.2.2 Facteurs individuels de progression dans la formation doctorale en SHS ... 119

4.2.2.1 Défis psychologiques ... 119

4.2.2.2 Défis liés au travail de recherche ... 122

4.2.2.3 Qualité de la relation d’encadrement ... 124

4.2.2.4 Conciliation études doctorales-vie personnelle ... 126

4.2.3 Facteurs structurels de progression dans la formation doctorale en SHS ... 130

4.2.3.1 Organisation formelle de la formation : exigences, règles et modalités ... 130

4.2.3.2 Organisation tacite de la formation : culture universitaire et cultures de recherche . 142 4.3 Persister malgré les difficultés et les contraintes ... 150

4.3.1 Ce qui incite à persister ... 150

4.3.2 Stratégies de progression ... 152

4.4 La formation doctorale en SHS : portrait et constats préliminaires ... 162

CHAPITRE 5 : Interprétation des résultats ... 165

5.1 Progresser dans la formation doctorale en SHS : influence de l’interaction de facteurs individuels et structurels ... 166

5.1.1 Le contrôle réflexif de l’action ... 167

5.1.1.1 Quête de soi ... 170

5.1.1.2 Quête intellectuelle ... 172

5.1.1.3 Quête professionnelle ... 173

5.1.2 Le normatif ... 175

5.1.2.1 La formation doctorale en SHS comme épreuve initiatique ... 175

5.1.2.2 De l’épreuve initiatique à la norme de sacrifice ... 177

5.1.2.3 De la norme de sacrifice aux modalités, règles et exigences de la formation doctorale ... 178

5.1.2.4 Des défis structurels aux défis individuels ... 179

5.1.2.5 De l’initiation à la récursivité des pratiques ... 182

5.2. La formation doctorale sous tension ... 183

5.2.1 La nature et les finalités de la formation doctorale comme symptômes systémiques 183 5.2.2 Individus et système en tension ... 186

5.2.3 Au-delà de la tension, un potentiel de transformation? ... 187

(8)

viii

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 195

ANNEXE 1 Courriel de recrutement ... 213

ANNEXE 2 Formulaire de consentement doctorants et doctorantes ... 214

ANNEXE 3 Formulaire de consentement professeurs et professeures ... 217

ANNEXE 4 Guide d’entretien doctorants et doctorantes ... 221

ANNEXE 5 Questionnaire sociodémographique ... 223

ANNEXE 6 Guide d’entretien directeurs et directrices de thèse ... 225

ANNEXE 7 Guide d’entretien administrateurs et administratrices ... 227

(9)

ix

Liste des tableaux

Tableau 1. Taux de réussite au doctorat au Québec, entre 1997 et 2007, selon la durée des études ... 5

(10)

x

Liste des figures

Figure 1. Processus d’analyse de contenu thématique ... 66 Figure 2. Interaction de facteurs individuels et structurels sur le plan du contrôle réflexif de l’action ... 170 Figure 3. Interaction de facteurs individuels et structurels sur le plan normatif ... 177

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xi

Dédicace

(12)

xii

The most dangerous phrase in the language is, " We've always done it this way."

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Remerciements

Au regard des enjeux individuels et structurels qui marquent les études doctorales en sciences de l’humain et du social, progresser et persister dans la réalisation de la présente thèse aurait été impossible sans le soutien humain, pédagogique, matériel et technique dont j’ai bénéficié au cours des dernières années.

Je tiens d’abord à remercier ma directrice de thèse, la professeure France Picard, dont j’admire la capacité à faire preuve d’une grande rigueur et d’un détachement zen tout à la fois. Merci, France pour ta flexibilité, ta disponibilité, ta confiance ainsi que tes conseils judicieux. Merci également pour les inestimables opportunités de réseautage que tu m’as offertes.

Il m’importe ensuite de remercier mon mentor, le professeur Bruno Bourassa, dont le soutien moral indéfectible, la rigueur et l’infinie disponibilité ont contribué à développer et consolider ma confiance en mes compétences et ma valeur en tant chercheure.

J’adresse en outre mes plus sincères remerciements aux 36 doctorant-e-s ainsi qu’aux 20 professeur-e-s qui m’ont accordé de leur précieux temps et qui ont fait preuve d’une grande générosité en me donnant accès à leur conscience « discursive » et « pratique » dans le cadre des entretiens de recherche.

Je tiens aussi à remercier Nathalie Hébert pour le travail de transcription effectué de manière extrêmement professionnelle. Je souligne au passage l’appui financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) sous la forme d’une bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand-Bombardier, laquelle m’a permis de me concentrer pleinement sur la réalisation de la présente thèse, mais aussi de vivre décemment malgré mon statut prolongé d’étudiante. Je dois également souligner le soutien matériel, technique et financier que m’a offert le Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail (CRIEVAT) ainsi que l’ouverture, la générosité et les bons mots de sa directrice, la professeure Geneviève Fournier.

(14)

xiv

Je remercie également la professeure Annie Pilote pour les opportunités d’enseignement qu’elle m’a offertes, mais aussi pour son soutien et ses conseils ainsi que la « lattitude » pédagogique qu’elle m’a généreusement offerte.

Mille mercis aussi à Andy, Anne, Christine, Dominique, Michaël et Simon pour les nombreux échanges intellectuels et humains qui m’ont aidé à maintenir ma motivation à travers les années.

Je souhaite par ailleurs remercier pour son soutien et ses encouragements mon amie et complice académique, Karine Vieux-Fort, avec qui j’ai notamment développé une expérience empirique unique du processus d’édition scientifique.

J’aimerais également exprimer ma grande reconnaissance à Joëlle et Carlos qui, même à distance, ont cette faculté de vous faire voir le bon côté des choses. Merci à Laure et Alex (et Talia) pour leur affection et leur amitié.

Un merci tout particulier à Johanne, ma mère spirituelle et de cœur, responsable en partie des plus belles choses que j’ai réussi à accomplir dans ma vie.

Il m’importe d’exprimer toute ma reconnaissance et mon affection à ma meilleure amie Marie-Christine, la plus loyale, la plus motivante, la plus conciliante et la plus compréhensive des amies. Merci, Marie, t’es la meilleure « cheerleader » que la Terre ait portée!

Enfin, je souhaite exprimer ma plus profonde reconnaissance à mon fils Gaël et à mon conjoint Jonas, les deux hommes sans qui ma vie n’aurait pas autant de saveur. Merci Gaël, pour ton intelligence, ta sensibilité ainsi que la richesse et la profondeur de notre relation. Merci aussi pour ce « Surmoi gaëlien » qui n’est jamais bien loin! Et toi, Jonas, merci pour cette force tranquille dont tu m’enveloppes et qui me permet d’aller au-delà de mes limites. Mais, par-dessus tout, merci pour cette relation unique et indescriptible qui se maintient dans le temps et dans l’espace.

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1

INTRODUCTION

La présente thèse aborde les enjeux de la progression dans la formation doctorale en sciences de l’humain et du social (SHS). Dans la plupart des pays occidentaux, alors que le nombre de personnes qui s’engagent dans les études doctorales ne cesse de croître, les administrations universitaires se disent préoccupées par les délais d’achèvement du doctorat et par les faibles taux de diplomation, qui se maintiennent entre 50 % à 60 % depuis des décennies (Most, 2008). S’il est admis que les aptitudes intellectuelles ne suffisent pas pour progresser dans les études doctorales, plusieurs recherches montrent que les modalités de la formation, mais aussi le milieu et le contexte d’études dans lesquels celle-ci s’inscrit, ont des répercussions sur l’expérience doctorale (Gardner, 2010; Lovitts, 2005).

S’intéresser à la progression dans la formation doctorale nécessite donc de considérer à la fois les enjeux individuels, interpersonnels et contextuels de ce processus. Si l’expérience individuelle et collective des doctorant-e-s se construit à travers leurs interactions avec des pairs étudiant-e-s, des professeur-e-s et des administrateurs au sein du milieu d’étude, la formation s’inscrit aussi dans un contexte sociopolitique et économique plus large qui exerce des pressions sur le milieu universitaire et, en l’occurrence, sur les façons de faire en recherche et en enseignement.

On peut dès lors se demander comment les règles, les normes et les exigences (formelles et informelles) ainsi que les valeurs, les traditions et les pratiques inhérentes au contexte universitaire actuel, peuvent influencer la progression des doctorant-e-s dans la formation, et ce, plus spécialement dans les disciplines de l’humain et du social qui accusent des taux de diplomation plus bas. On peut se questionner en outre sur la façon dont les doctorant-e-s – mais aussi les directeurs et directrices de thèse ainsi que les administrateurs (directions de programmes, doyens et vices doyens) – s’approprient et mobilisent les normes, les règles et les pratiques qui prévalent dans leur milieu d’études, de même que sur l’efficacité des initiatives – départementales et facultaires – de soutien à la réussite. En d’autres mots, il apparaît légitime de s’interroger sur la façon dont peuvent interagir des facteurs individuels et des facteurs structurels, lorsqu’il s’agit de progresser dans la formation doctorale.

(16)

2

Si d’emblée peu de données sont disponibles sur l’expérience et la formation des doctorant-e-s québécois, la pertinence d’aborder l’objet d’étude sous cet angle repose sur le constat d’un nombre limité d’approches théoriques mobilisées pour étudier les défis de la progression dans la formation doctorale. Sans mettre en doute la valeur heuristique des résultats des recherches menées jusqu’ici, cela incite à explorer de nouveaux angles d’analyse tout en considérant la complexité du processus de formation doctorale.

Ainsi, aux fins de la présente thèse, la question est appréhendée sous l’angle de la théorie de la structuration de Giddens (2005), c’est-à-dire en considérant la relation dialectique entre l’action des doctorant-e-s (leurs choix, leurs stratégies, leurs pratiques) et les aspects structurels (ex. ressources, règles, normes, exigences, traditions) des milieux de recherche en SHS, et du milieu universitaire en général.

Pour ce faire, la thèse est divisée en cinq chapitres. Le premier chapitre aborde les enjeux fondamentaux de la progression dans la formation doctorale, lesquels s’inscrivent dans un questionnement plus large sur l’expérience et la formation des doctorant-e-s en SHS. Dans le but de faire état des connaissances sur ces questions, un aperçu de l’évolution des angles d’analyse privilégiés par les chercheur-e-s depuis les années 1970 est d’abord présenté. Puis, un ensemble de facteurs susceptibles de favoriser ou de nuire à la progression dans la formation doctorale est ensuite exposé. Mis en lumière à travers les limites des recherches menées jusqu’ici, les enjeux épistémologiques et théoriques que sous-tend la problématique sont finalement circonscrits afin de démontrer la pertinence de la thèse.

Le deuxième chapitre rend compte du cadre théorique retenu aux fins de la thèse, en l’occurrence la théorie de la structuration de Giddens (2005). La spécificité de cette théorie est abordée à travers une définition approfondie de ces concepts fondamentaux, puis sa pertinence au regard de l’objet d’étude est discutée.

La méthodologie de recherche fait l’objet du troisième chapitre. Dans un premier temps, l’orientation méthodologique de la thèse est exposée. Puis, la stratégie de recherche (étude de cas instrumentale) ainsi que les sources (documents institutionnels, doctorant-e-s, directeurs et directrices de thèse, administrateurs) et les méthodes de cueillettes de données (entretien semi-directif, analyse documentaire) retenues sont décrites et justifiées au regard

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3

de l’objet d’étude. Les particularités ainsi que les différentes étapes de la stratégie d’analyse sont ensuite exposées. Enfin, la portée et les limites méthodologiques de la thèse ainsi que les considérations éthiques relatives à sa réalisation sont abordées.

Les résultats de la recherche sont présentés au chapitre 4. Afin de répondre à des objectifs tant descriptifs que compréhensifs, ces résultats sont présentés en deux temps. Une description en profondeur du cas à l’étude offre d’abord un portrait détaillé de l’organisation formelle et tacite du contexte à l’étude. Cette description révèle ultimement comment, au regard de la formation telle qu’elle se présente formellement, les doctorant-e-s des SHS tendent à aborder et à expérimenter les études doctorales, mais aussi comment les directeurs ou directrices de thèse ainsi que les administrateurs sont susceptibles d’appréhender la formation. En prenant appui sur la théorie de la structuration de Giddens, les facteurs individuels et structurels qui influencent la progression dans la formation doctorale en SHS sont ensuite circonscrits en contrastant la perception qu’en ont les trois types de participant-e-s. Les stratégies privilégiées par les doctorant-e-s pour progresser dans leur formation, ainsi que les stratégies jugées effectives par les directeurs ou directrices de thèse et les administrateurs sont finalement mises en relief.

Enfin, le chapitre 5 est consacré à l’interprétation des résultats. Ce chapitre offre plus particulièrement des pistes explicatives pour comprendre dans quelle mesure l’interaction de certains facteurs individuels et structurels, qui se manifestent notamment à travers des façons de faire et de penser « attendues » ou « admises » dans le contexte à l’étude, ainsi que dans le milieu universitaire et le monde de la recherche en général, ont le potentiel de faciliter ou de nuire à la progression dans la formation doctorale en SHS. À cet égard, la théorie de la structuration de Giddens offre deux angles d’interprétation: 1/ le niveau du contrôle réflexif de l’action qui relève des choix, des pratiques et des stratégies d’action des acteurs et 2/ le niveau normatif qui renvoie aux règles, normes et attentes – aussi bien formelles que tacites – de la formation doctorale telle qu’elle est susceptible de se présenter en SHS.

En conclusion, une synthèse des principaux résultats permet de mettre au jour la portée heuristique de la thèse ainsi que ses limites, mais aussi de proposer de nouvelles pistes de recherche.

(18)

4

CHAPITRE 1 : Progresser dans la formation doctorale

— éléments de problématique

Ce premier chapitre aborde les enjeux fondamentaux de la progression dans la formation doctorale, lesquels s’inscrivent dans un questionnement plus large sur l’expérience et la formation des doctorant-e-s en SHS. Afin de rendre compte de l’état des connaissances sur ces questions, un aperçu de l’évolution des angles d’analyse privilégiés par les chercheurs au cours des dernières décennies est d’abord présenté. Puis, un ensemble de facteurs susceptibles de favoriser ou de nuire à la progression dans la formation doctorale est ensuite exposé. Mis en lumière à travers les limites des recherches menées jusqu’ici, les enjeux épistémologiques et théoriques que sous-tend la problématique sont finalement circonscrits afin de démontrer la pertinence de la thèse.

1.1 Faibles taux de diplomation au doctorat : mise en

contexte

Au cours des dernières décennies, la plupart des pays occidentaux ont adopté des politiques visant à stimuler les activités des universités en matière de recherche et d’innovation. Ces politiques ont permis de soutenir la performance des universités tout en contribuant au développement de la formation aux cycles supérieurs (CSE, 2010; OCDE, 2014). Partout dans le monde, un nombre grandissant de personnes entreprennent aujourd’hui des études doctorales (OCDE, 2014;Shaienks, Gluszynski & Bayard, 2008; The group of eight, 2013). Au Canada, si en 1972 les universités accueillaient au plus 13 500 doctorant-e-s (Shaienks et al., 2008), ce nombre avait triplé en 2009-2010 pour atteindre environ 43 700 inscriptions (Association canadienne des professeures et professeurs d’université, 2012) puis 47 480 inscriptions en 2011-2012 (ACPPU, 2015). Au Québec, le nombre de doctorant-e-s est passé de 7 000 à un peu plus de 14 000 entre 1990 et 2010 (Conseil supérieur de l’éducation, 2010; Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2011a), pour ensuite atteindre 15 552 en 2011-2012 (ACPPU, 2015).

À l’instar de ce qu’on observe dans la plupart des pays occidentaux, les faibles taux de diplomation qui caractérisent les études doctorales tendent toutefois à se maintenir dans le

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5

temps (Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, 2013). En effet, depuis des décennies, entre 50 % et 60 % des doctorant-e-s, en moyenne, réussissent à mener à terme leur formation (Di Pierro, 2007; Lovitts, 2001, 2005; MELS, 2011b; Most, 2008; Tinto, 1993). Par exemple, aux États-Unis, où plus de 50 000 diplômes de doctorat sont décernés chaque année, on observe que seulement 41 % des doctorant-e-s arrivent à compléter leur formation en sept ans et que 57 % le fait en dix ans (Council of Graduate Schools, 2008). Au Québec, 1774 diplômes ont été décernés à la même période (Statistiques de l’enseignement supérieur, 2014), le taux moyen de diplomation est de 39 % après 6 ans (MESRST, 2013). Le tableau qui suit offre un aperçu de l’évolution des taux de diplomation au doctorat, au Québec, selon la durée des études.

Tableau 1. Taux de réussite au doctorat au Québec, entre 1997 et 2007, selon la durée des études1

1 Source : Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (2013). Principaux

indicateurs et statistiques de base sur les universités québécoises:

http://www.mesrs.gouv.qc.ca/fileadmin/administration/librairies/documents/chantiers/PolitiqueFinancementUniv/Docum ent_Accompagnement_Chantier_Financement.pdf

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Par ailleurs, les taux de diplomation au doctorat varient passablement selon le champ disciplinaire. Au Québec, par exemple, ce taux de diplomation est de 72,9 % en Sciences de la santé, de 71,4 % en Sciences pures, alors qu’il est plutôt de 51,3 % en Sciences humaines, de 41 % en Lettres et de 40 % en Droit2. Cette disparité entre les grands champs disciplinaires

se manifeste aussi sur le plan de la durée des études : en 2005-2006, dans les universités canadiennes, la durée médiane la plus courte pour l’obtention du diplôme se trouvait dans les programmes de génie (quatre ans et demi) et la durée médiane la plus longue dans les programmes de sciences sociales (six ans et quart) (King et al., 2008). De telles données sur la durée médiane des études doctorales, selon les disciplines, ne sont pas disponibles pour le Québec. On sait néanmoins que pour la cohorte de 2006, en moyenne, 16 trimestres ont été nécessaires pour compléter la formation3.

Les enjeux de la persistance des faibles taux de diplomation ainsi que du temps nécessaire pour compléter une formation doctorale sont à la fois sociétaux, organisationnels et humains. D’un point de vue sociétal, parce qu’il s’agit des chercheur-e-s et des professeur-e-s d’université de demain, chaque doctorant-e qui met définitivement un terme à ses études peut être vu comme la perte d’un talent scientifique (Fischer & Zigmond, 1998; Tinto, 1993), ce qui a des incidences sur l’avancement des connaissances, mais aussi sur la prospérité d’une nation et la qualité de vie de ses citoyens (Parkin & Baldwin, 2009). Pour les établissements d’enseignement, les conséquences financières sont d’ailleurs importantes (Sauvé et al., 2006; Smallwood 2004). À titre d’exemple, une recherche menée à l’Université Notre-Dame en Indiana (É.U.) révèle qu’une baisse de 10 % du taux d’abandons au doctorat permettrait de sauver près d’un million de dollars (Smallwood, 2004).

Sur le plan humain, parce que les études doctorales exigent un important investissement de temps, d’efforts et d’argent de la part de l’étudiant-e, la décision d’y mettre un terme peut être vécue péniblement (Lovitts 2001; Sternberg, 1981). Si l’arrêt définitif des études

2 Taux de réussite après 8 ans des étudiant-e-s nouvellement inscrits à temps plein à l’automne 2006 selon le domaine de

leur première inscription. Source : MEES, direction de l’enseignement et de la recherche universitaires, Gestion des données sur l’effectif universitaire.

3 Durée moyenne (sur une période de 8 ans) pour les nouveaux inscrits à temps plein à l’automne 2006 avant l’obtention de

leur sanction. Source : MEES, direction de l’enseignement et de la recherche universitaires, Gestion des données sur l’effectif universitaire.

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7

constitue à la fois une perte des coûts relatifs à la formation et une perte de gains potentiels (Bair et Haworth, 2004; Shaienks et al., 2008) – bien que l’étudiant-e n’ait pas perdu son temps et ait acquis des connaissances et des compétences –, le coût émotionnel peut s’avérer le plus élevé. Souvent vécu comme un échec ou un deuil, mettre un terme à ses études doctorales peut en effet engendrer un trouble semblable à un « choc post-traumatique » (Magner, 1994 cité dans Kerlin, 1995) et en mener certains à la dépression, voire à la tentative de suicide (Hinchey & Kimmel, 2000). L’état des connaissances sur l’expérience doctorale et les enjeux de la progression dans la formation font l’objet de la prochaine section.

1.2 Recherches sur la progression dans la formation

doctorale : état des lieux

Tandis que les recherches sur la réussite et l’abandon des étudiant-e-s du premier cycle universitaire foisonnent, les connaissances sur les enjeux de la progression dans le processus de formation doctorale demeurent plus limitées. Plusieurs chercheurs se sont tout de même penchés sur la question au cours des dernières décennies. Sans prétendre à l’exhaustivité, la recension des écrits réalisée dans le cadre de la thèse a permis d’observer certaines tendances quant aux angles d’analyse privilégiés par les chercheurs, des années 1970 à aujourd’hui. Il a ainsi été possible de délimiter un ensemble de facteurs susceptibles de favoriser ou encore de nuire à la progression des doctorant-e-s dans leur formation.

1.2.1 Évolution des angles d’étude

Si dans les années 1960 certains se penchaient déjà sur le phénomène de la « persévérance » des doctorant-e-s (Berelson, 1960; Renetzsky, 1967; Tucker, Gottlieb & Pease, 1964), les premières recherches sur la question ont surtout été menées vers la fin des années 1970 et n’ont cessé de se multiplier au cours des années 1980. C’est toutefois à partir des années 1990 qu’un réel intérêt scientifique pour la progression des doctorant-e-s dans leur formation s’est manifesté. Cet intérêt semble s’être consolidé au tournant des années 2000 et continue aujourd’hui de gagner en importance. L’évolution dans le choix des angles d’analyse privilégiés par les chercheurs à travers le temps s’inscrit dans le contexte sociopolitique et les préoccupations du moment quant à la réussite des doctorant-e-s.

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Années 1970-1980

Les premières recherches publiées sur la progression dans la formation doctorale – majoritairement étasuniennes – sont menées dans un contexte où les administrations universitaires sont contraintes d’en faire plus avec des ressources moindres, alors que le nombre d’admissions aux études postsecondaires tend à augmenter (Zusman, 1994 cité par Kerlin, 1995). Au cours des années 1970 et 1980, la durée des études et les taux de diplomation commencent déjà à interpeller les administrations universitaires. On parle alors de « persévérance » des doctorant-e-s et celle-ci est généralement étudiée au niveau départemental ou du programme d’études alors que les recherches sont le plus souvent conduites dans une perspective descriptive (Kerlin & Smith Kerlin, 1994). Dans la mesure où il s’agit – à l’époque – d’un champ d’investigation en émergence, les années 1970 et 1980 peuvent être vues comme une période d’exploration quant aux différents facteurs susceptibles d’influencer la progression dans la formation doctorale.

La majorité des recherches menées au cours de cette période focalisent sur des facteurs individuels tels que les aptitudes intellectuelles et la performance académique (Malaney, 1988). D’une part, afin de sélectionner les meilleurs candidats, de nombreuses recherches institutionnelles visent à examiner le lien entre les résultats à certains tests d’admission dans les programmes de doctorat et la diplomation ou non des doctorant-e-s (Burnham & Hewitt, 1972; Hackman, Wiggins & Bass,1970; Harris, 1976; Hirschberg & Itkin, 1978; Howard, 1981; Lemp, 1980; Mann, 1977; Nagi, 1974,1975; Porozny, 1970; Sternberg & Williams, 1997; Traw, 1973; Williams, Harlow & Gab, 1970; Willingham, 1974).

On cherche, d’autre part, à circonscrire les caractéristiques de la personnalité ou les aspects de la situation personnelle qui favorisent ou non la progression d’étudiant-e-s au profil différent dans un même contexte d’études. On tente, par exemple, de comparer les traits de personnalité des étudiant-e-s qui obtiennent leur diplôme de ceux qui abandonnent au moment de la rédaction de la thèse (Hobish, 1979; Wagner, 1986; Weiss, 1987) ou encore d’évaluer l’influence des caractéristiques cognitives, affectives et sociodémographiques sur la durée des études (Muszynski, 1988). Certains chercheurs accordent aussi une importance particulière à la motivation des doctorant-e-s (Clewell, 1987; Decker, 1972, 1973; Grissom,

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1985; Hassan-Shahriari, 1983; Hirschberg & Itkin, 1978; Hugeley, 1988; Macht, 1978; Mah, 1986; Nagi, 1974, 1975; Porozny, 1970; Schultz, 1983; Swoboda, 1978).

Des chercheurs se penchent par ailleurs sur la question de la progression dans les études doctorales du point de vue des aspects financiers. On cherche à connaître l’incidence de l’aide financière sur la décision de mener à terme ou non ses études doctorales (Abedi & Benkin, 1987; Malaney, 1984; Martin, 1985) ou encore du fait d’occuper un emploi (Grissom, 1985; Jones, 1987; Reeble, 1975; Sauer, 1986; Schultz, 1983; Swoboda, 1978; Whitacre, 1987). Dans une perspective plus sociale, on s’intéresse aussi à l’expérience et à la progression des femmes qui s’engagent dans la formation (Berg & Ferber, 1983; Solmon, 1976; Vartuli, 1982; Wong & Sanders, 1983) ainsi qu’à celles des doctorant-e-s issus de minorités culturelles (Anderson & Hrabowski, 1977; Clewell, 1987; Davis, 1981; Delaney, 1981; Dolph, 1983; Frasier, 1993; Girves & Wemmerus, 1988; Mah, 1986; Ott, Markewich & Ochsner, 1984).

Quelques recherches sont également fondées sur l’idée que la décision de quitter ou non la formation peut être influencée par des facteurs relatifs au programme d’études (voir entre autres Benkin, 1984; Decker, 1972, 1973; Jacks, Chubin, Porter & Connolly, 1983; Matchett, 1988), aux caractéristiques du département (Girves & Wemmerus,1988) ou encore à la relation avec le directeur ou la directrice de thèse (Berg & Ferber, 1983; Dickinson, 1983; Dolph, 1983; Girves & Wemmerus, 1988; Nagi, 1974, 1975; Sauer, 1986; Tierce, 1984). Enfin, plus rarement, des chercheurs s’intéressent à l’interaction de facteurs liés à l’étudiant-e l’étudiant-et à l’établissl’étudiant-eml’étudiant-ent d’l’étudiant-ensl’étudiant-eignl’étudiant-eml’étudiant-ent sur l’l’étudiant-expéril’étudiant-encl’étudiant-e dl’étudiant-es doctorant-l’étudiant-e-s l’étudiant-et ll’étudiant-eur progrl’étudiant-ession dans la formation. Cook et Swanson (1978) ont ainsi examiné la relation entre les caractéristiques personnelles des doctorant-e-s et les spécificités du programme de doctorat pour prédire s’ils se rendraient jusqu’à la diplomation. De même, Girves et Wemmerus (1988) proposent un modèle conceptuel basé sur l’interaction entre les caractéristiques de l’étudiant-e et du département pour expliquer la progression des doctorant-e-s dans leur formation.

Si, somme toute, au cours des années 1970-1980 on tente plus particulièrement de circonscrire les facteurs susceptibles de favoriser ou non la progression des doctorant-e-s

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dans leur formation – d’un point de vue souvent individuel –, la portée des résultats de recherches demeure généralement localisée (Kerlin & Smith Kerlin, 1994). Au tournant des années 1990, la nécessité d’envisager la problématique de manière plus large et plus globale se fait sentir.

Années 1990

Le début des années 1990 semble constituer un moment charnière dans le champ de la recherche sur la formation doctorale. En plus d’être soumises à des restrictions budgétaires et de voir augmenter le nombre d’inscriptions aux cycles supérieurs, les administrations universitaires appréhendent une pénurie de professeur-e-s (El-Khawas, 1993; Kerlin, 1995). Dans un tel contexte – et dans la mesure où les doctorant-e-s constituent la relève académique –, on observe non seulement un éclatement quant au nombre et aux types de recherches publiées sur la formation et la progression des doctorant-e-s dans leur formation, mais le champ de recherche semble aussi s’élargir sur le plan international (voir notamment Booth & Satchell, 1996; Hockey, 1994, 1996a, 1996b en Angleterre; Kyvik & Tvede, 1998 dans les pays scandinaves; Brennan, 1998; Evans & Pearson, 1999; Pearson, 1999 en Australie). Durant cette période, en plus de chercher à circonscrire de nouveaux facteurs pouvant influencer la progression dans la formation doctorale, on tente de construire des modèles explicatifs ou prédictifs. D’un côté, on appréhende la question de la formation des doctorant-e-s d’un point de vue macrosocial et, de l’autre, comme l’on constaté Maki et Borkowski (2006), on commence à s’intéresser à la qualité de l’expérience doctorale et à son influence sur la progression des doctorant-e-s.

Dans la foulée des travaux d’Isaac (1993) – qui a notamment mis en lumière l’inexistence de banques de données nationales sur les taux d’abandon des doctorant-e-s aux États-Unis –, de plus en plus de recherches sont menées à grande échelle, dans le souci d’examiner les taux d’abandon et de diplomation de l’ensemble des étudiant-e-s inscrits dans un établissement d’enseignement ou pour effectuer des comparaisons entre les établissements. On constate à cet égard l’émergence de grandes enquêtes nationales comme celle de Bowen et Rudenstine (1992). À partir de 35 000 dossiers académiques, ceux-ci ont examiné les délais d’achèvement et le taux d’abandon d’étudiant-e-s issus de six disciplines dans dix universités étasuniennes, sur une période de 24 ans. Parmi leurs principales recommandations, ils

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soulignent la nécessité d’améliorer la qualité des études doctorales au niveau départemental et de favoriser un meilleur soutien des étudiant-e-s par les professeur-e-s.

Dans la même veine, les recommandations issues d’un rapport intitulé Reshaping the graduate education of scientists and engineers (Comitee on Science, Engineering, and Public Policy, 1995) offre un point de vue nouveau à l’époque : il faut repenser la formation doctorale pour la rendre plus adaptable, plus polyvalente et plus en phase avec les changements technologiques. Ce constat sous-tend la nécessité d’offrir aux étudiant-e-s plus d’options sur le plan de la scolarité (cours, séminaires) et du développement des compétences en recherche, une meilleure information quant aux exigences et finalités de la formation ainsi qu’un accompagnement plus soutenu dans les sphères académiques et non-académiques du parcours doctoral.

En parallèle à ce type de grandes enquêtes conduites à partir de questionnaires ou fondées sur des données statistiques, on cherche encore à expliquer ce qui distingue – sur le plan individuel – les doctorant-e-s qui mettent un terme à leurs études de ceux qui progressent jusqu’à la diplomation. L’idée selon laquelle seuls les plus doués et les plus méritants se rendent jusqu’à la diplomation semble d’ailleurs prégnante. Certains chercheurs suggèrent que la nature même des études aux cycles supérieurs tend à exercer une forme de « sélection naturelle » des candidats les plus performants (voir Herrnstein & Murray, 1994). En opposition à cette perception, qui se rapproche du « darwinisme social4 » selon certains

(Kerlin, 1995), de plus en plus de chercheurs soulignent la nécessité d’examiner la question du point de vue des doctorant-e-s.

Des recherches comme celle de Kerlin (1995) et Hawley (1993) ont ainsi apporté un éclairage intéressant sur la façon dont les doctorant-e-s perçoivent le milieu universitaire et leur formation. Dans le cadre de ses travaux, Kerlin (1995) a recueilli le témoignage de 31 doctorantes et doctorants étasuniens qui rendent compte, entre autres, de leur perception à l’égard d’un processus de formation qu’ils considèrent comme étant davantage politique

4 Le « darwinisme social » est une doctrine selon laquelle les inégalités entre les peuples, les inégalités de classes, mais

aussi les inégalités d’intelligence entre les individus ont une origine « naturelle ». Dans sa version radicale, le darwinisme social prend la forme de l’eugénisme (McAll, 1999).

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qu’intellectuel. Plusieurs participants déplorent le fait d’avoir l’impression de vivre un processus initiatique (hazing process) fondé sur le respect de règles implicites dont il n’avait jamais été question aux autres niveaux d’enseignement universitaire.

Ce constat rejoint celui de Hawley (1993) qui soutient que pour arriver à progresser aux études doctorales, les doctorant-e-s se doivent d’être observateurs, perspicaces et stratégiques. En d’autres mots, l’incertitude et l’imprévisibilité qui caractérisent le processus doctoral (Smith, 1995) induisent la nécessité, pour les doctorant-e-s, d’apprendre à décoder les règles et les normes de leur milieu d’études pour ajuster leurs comportements en conséquence.

L’ambiguïté du processus doctoral étant particulièrement marquée au moment de la rédaction de la thèse, plusieurs recherches ont aussi été menées dans le but de comprendre pourquoi les doctorant-e-s ont tendance à abandonner au cours de cette étape (voir entre autres Hanson, 1992; Kluever, 1997; Green, 1997). Mais, au-delà des difficultés relatives aux aspects implicites de la formation doctorale, les recherches menées du point de vue des doctorant-e-s mettent en relief l’importance de la qualité dedoctorant-e-s interactiondoctorant-e-s vécuedoctorant-e-s dandoctorant-e-s le milieu d’étudedoctorant-e-s sur la progression dans le processus de formation doctorale.

À cet égard, Tinto (1993) apporte un éclairage théorique pertinent. Il propose un modèle d’analyse longitudinal de la persévérance des doctorant-e-s, inspiré de sa théorie de l’abandon au premier cycle universitaire (Tinto, 1987). Ce modèle est fondé sur les notions d’interaction académique et sociale en contexte universitaire et, ainsi, sur l’idée que la possibilité de progresser dans la formation doctorale passe nécessairement par une intégration à la fois sociale et académique au sein du département et de la discipline d’études. À notre connaissance, le modèle de Tinto constitue la toute première prise en compte – à portée empirique – du contexte et de l’environnement d’études comme facteurs pouvant exercer une influence sur la progression des doctorant-e-s dans leur formation. Il met en exergue la pertinence, voire la nécessité d’appréhender la problématique en considérant à la fois les facteurs individuels et les facteurs relatifs au milieu et au contexte d’études.

De ce fait, si on avait déjà constaté que les SHS présentent généralement des taux de diplomation plus bas que les autres champs disciplinaires (AWM Foundation 1991; Baird,

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1990; Ferrer de Valero, 1996), certains soulignent que le mode de socialisation dont bénéficie les doctorant-e-s diffère selon les grands champs disciplinaires (Delamont, Parry & Atkinson, 1997). Plusieurs s’intéressent dès lors à la socialisation des doctorant-e-s dans leur milieu d’études (Baird 1990, 1993; Golde, 1998; Kirk & Todd-Mancillas, 1991; Turner & Thompson, 1993), alors que d’autres cherchent à approfondir les connaissances sur les spécificités de la relation entre le directeur ou la directrice de recherche et leurs doctorant-e-s comme facteurdoctorant-e-s facilitant ou non la progredoctorant-e-sdoctorant-e-sion dandoctorant-e-s la formation (Baird, 1990; Golde, 1998; O’Bara, 1993).

La méta-synthèse de Bair et Haworth (1999), basée sur une recension de 118 recherches menées entre 1970 et 1998 aux États-Unis, offre un portrait des facteurs les plus consensuels à l’aube des années 2000 concernant la progression dans la formation doctorale. Elle révèle que les taux de diplomation varient de manière importante selon l’établissement d’enseignement, mais aussi en fonction du champ et du programme d’études. De même, la culture départementale et les difficultés liées à la rédaction de la thèse auraient une influence significative sur la progression des doctorant-e-s. En revanche, mis à part les résultats aux Graduate Record Examinations5, les indicateurs de réussite académique ne permettraient pas

de prédire qu’une personne poursuivra ses études doctorales jusqu’à la diplomation. Enfin, l’occupation d’un emploi de même que tout autre facteur d’ordre financier permettraient difficilement de prédire si une personne réussira à obtenir le diplôme ou non.

Années 2000

S’il est dorénavant admis que la décision d’un étudiant ou d’une étudiante de mener à terme ou non ses études doctorales repose sur l’interrelation de plusieurs facteurs (Golde & Dore, 2001; Lovitts, 2001; Gardner, 2008), on s’intéresse dès lors avant tout aux interactions du doctorant ou de la doctorante dans son milieu d’étude ainsi qu’au contexte dans lequel s’inscrit la formation. Au cours des années 2000, ce contexte est caractérisé par l’émergence de nouveaux programmes d’études et de nouveaux types de populations étudiantes, mais aussi par une tendance à vouloir améliorer et actualiser la formation aux cycles supérieurs en

5 Le Graduate Record Examinations est un test dont la passation est requise pour être admis dans la plupart des universités

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général – et aux études doctorales en particulier. Cette dernière tendance apparaît d’ailleurs, pour plusieurs, comme un enjeu international (Maki & Borkowski, 2006).

En effet, on souligne de plus en plus l’importance du rôle de la « production » de savoirs pour le succès économique, ce qui rend la formation doctorale essentielle pour les nations voulant jouer un rôle de premier plan dans une « économie du savoir » (Nerad, Trzyna & Heggelund, 2008). Les détenteurs de doctorat sont considérés pour leur apport potentiel à l’innovation, à la recherche et au développement, c’est-à-dire pour leur capacité de bien performer dans des situations professionnelles complexes axées sur le savoir (Nerad, Trzyna & Heggelund, 2008). Dans le but d’améliorer les taux de diplomation, on cherche à circonscrire et à distinguer ce qui caractérise les pratiques de formation et les contextes d’études favorables ou défavorables à la progression des doctorant-e-s dans leurs études. De grandes enquêtes sont ainsi menées pour examiner la satisfaction des doctorant-e-s quant à leur expérience de formation. Notamment, en 2001, la National Association of Graduate-Professional Students (NAGPS) a interrogé 32 000 étudiant-e-s ou diplômés récents dans 1300 programmes de doctorat à travers les États-Unis. Leurs réponses au National Doctoral Program Survey a permis de constater que la majorité d’entre eux se dit satisfaite de la formation reçue. Toutefois, l’enquête révèle une insatisfaction marquée des participants à l’égard de leur préparation au rôle d’enseignant et à une possible carrière hors de l’université. Plusieurs participants déplorent également la faible représentation des doctorant-e-s issus de communautés culturelles minoritaires dans leur programme d’études.

Dans la même optique, Golde et Dore (2001) ont interrogé 4000 doctorant-e-s étasuniens sur leur satisfaction à l’égard de leur formation à partir du Survey of Doctoral Education and Career Preparation. Ils révèlent que, de manière générale, les répondants sont satisfaits de leur programme d’études et de la relation avec leur directeur ou directrice de recherche, mais que plusieurs d’entre eux éprouvent une insatisfaction, voire une incompréhension à l’égard des exigences et des attentes relatives au processus doctoral. Les résultats de l’enquête mettent aussi en lumière la perception de certains répondants quant à une inadéquation entre leur expérience de formation, leurs aspirations professionnelles et les possibilités d’emploi et de carrière. Les enjeux liés à l’employabilité des détenteurs d’un diplôme de doctorat suscitent d’ailleurs de plus en plus d’intérêt (voir notamment Archer & Davison, 2008;

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Castelló, McAlpine & Pyhalto, 2015;Tomlinson, 2007, 2008; McAlpine & Amundsen, 2015; Jackson & Michelson, 2015).

Les modalités de la formation doctorale – et les exigences qu’elle sous-tend – semblent ainsi devenir une préoccupation majeure au cours des années 2000. On veut repenser la formation pour mieux préparer les doctorant-e-s à travailler dans une économie mondiale du savoir (Nerad, Trzyna & Heggelund, 2008). Tandis que l’idée de standardisation et d’évaluation des programmes de doctorat gagne en importance, les administrations universitaires et les professeur-e-s interagissent avec des populations étudiantes de plus en plus diversifiées (Cockrell & Shelley, 2011). Au regard de la progression des doctorant-e-s dans leur formation, cette contradiction incite plusieurs chercheurs à se pencher sur les difficultés vécues par les étudiant-e-s au parcours ou profil atypique et sur les inégalités sociales qu’il est possible d’observer dans certains contextes de formation doctorale.

On s’intéresse, par exemple, à la progression des doctorant-e-s qui étudient à temps partiel (Gardner & Gopaul, 2012; Neumann & Rodwell, 2009; Watts, 2008), qui sont parents (Lester, 2013;Tanguay, 2012) ou à ceux qui suivent leur formation à distance (Ivankova & Stick, 2003; Wilkinson, 2002). Sur le plan des inégalités sociales, l’attention est portée entre autres aux doctorant-e-s de première génération (Gardner & Holley, 2011) ou issus de minorités culturelles tels que les doctorant-e-s afro-américains et hispaniques aux États-Unis ou au Canada (Barker, 2011; Gopaul, 2011; Griffin & Muniz, 2015) et les doctorant-e-s maoris en Nouvelle-Zélande (Grant, 2010a, 2010 b; Henry, 2007; McKinley, Grant, Middleton, Irwin & Williams, 2011).

D’un point de vue théorique, si peu de modèles ont été proposés jusqu’ici pour étudier et expliquer l’expérience et le processus de formation doctorale, la théorie de la socialisation semble la plus fréquemment mobilisée au cours des dernières années (voir notamment : Delamont, Atkinson & Parry, 2000; Gardner, 2007, 2008, 2009; Gardner & Gopaul, 2011; Gardner & Gopaul, 2012; Golde, 2000; Hakala, 2009a, 2009b; Lovitts, 2001; Mendoza, 2007). Néanmoins, outre les travaux de Tinto (1993), à notre connaissance, seul le modèle de socialisation aux études doctorales de Weidman, Twale et Stein (2001) (The Weidman,

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Twale and Stein graduated students framework6) a fait l’objet d’une réappropriation de la

part de plusieurs chercheurs. Ce modèle, basé sur quatre stades de socialisation (anticipatrice, formelle, informelle et personnelle) prend en compte : 1/ la formation doctorale comme une expérience façonnée par la culture universitaire; 2/ les processus d’interaction, d’intégration et d’apprentissage que la formation implique; 3/ l’acquisition de connaissances ainsi que l’implication et l’investissement personnel que ces processus supposent. En résumé, les doctorant-e-s sont vus ici comme étant socialisés à travers leurs interactions avec des professeur-e-s et des pairs dans un contexte départemental et disciplinaire particulier, tout en étant influencés par leur parcours antérieur, leurs expériences et leurs dispositions personnelles de même que par leurs réseaux sociaux personnels et professionnels.

À ce jour, le recours à la théorie de la socialisation a permis d’expliquer comment les valeurs et les normes véhiculées dans le milieu de la recherche en général (ex. favoriser la recherche appliquée) peuvent influencer la façon dont sont socialisés les doctorant-e-s et comment le milieu d’études ainsi que la culture disciplinaire peuvent influencer leur expérience de formation et leur progression. Cette théorie a en outre été utile pour mettre en relief les difficultés que comporte la formation doctorale pour les étudiant-e-s issus de communautés culturelles minoritaires ou encore de milieux sociaux moins favorisés.

Plusieurs auteurs soulignent néanmoins les limites de la théorie de la socialisation pour comprendre et expliquer l’expérience et la progression des doctorant-e-s. Les principales critiques sont les suivantes : 1/ elle suppose une conception de la formation trop monolithique (Gardner, 2008; Gopaul, 2011) alors qu’on sait qu’au quotidien elle est vécue de manière très personnelle (Lahenius & Martinsuo, 2011) et 2/ le doctorant ou la doctorante y est vu comme étant en quelque sorte assujetti aux règles, normes et pratiques de sa discipline et de la culture universitaire alors qu’on peut considérer qu’il a la capacité de façonner et d’orienter lui-même ses apprentissages et son parcours (Hopewood, 2010).

Pour pallier ces limites, des approches théoriques alternatives sont proposées. Entre autres, Gardner et Holley (2011) mobilisent les concepts d’habitus et de capital économique, culturel

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et social de Bourdieu (1986, 1977a, 1977b7) pour étudier l’expérience de formation des

doctorant-e-s de première génération aux États-Unis. Gopaul (2011) articule ces mêmes concepts de Bourdieu avec la théorie de justice sociale de Young (1990) pour expliquer les inégalités vécues au cours du processus doctoral par les femmes et les étudiant-e-s issus de minorités culturelles. Si à l’égard des difficultés vécues par les étudiant-e-s atypiques, la théorie de la socialisation permet d’appréhender la formation doctorale comme un processus d’acculturation, une approche centrée plutôt sur les inégalités sociales permet d’affiner la compréhension du phénomène par la mise au jour d’aspects de la formation qui opèrent comme des mécanismes de reproduction des inégalités (Gopaul, 2011). On considère ici que, généralement, les études doctorales demeurent l’apanage d’une élite, et qu’en l’occurrence, l’origine sociale a une influence majeure sur la capacité d’un doctorant ou d’une doctorante à progresser dans la formation et à persister jusqu’à la diplomation.

Toujours afin d’offrir une alternative à la théorie de la socialisation, des chercheurs en psychologie ont recours à des théories et concepts qui rendent compte de la liberté et de l’autonomie dont disposent les doctorant-e-s dans le processus doctoral. Notamment, Lahenius & Martinsuo (2011) – tout en soulignant l’importance du soutien des pairs pour progresser dans la formation – proposent un modèle théorique fondé sur le concept d’« apprentissage autonome » (self-regulated learning) par lequel les doctorant-e-s sont considérés comme les participants actifs de leur processus de formation. Ici, les doctorant-e-s orientent et contrôlent leur propre procedoctorant-e-sdoctorant-e-sudoctorant-e-s d’apprentidoctorant-e-sdoctorant-e-sage et doctorant-e-sont en medoctorant-e-sure de doctorant-e-se fixer différents buts en fonction du contexte. C’est en quelque sorte la capacité de saisir les occasions d’apprentissage qui leur permet de progresser avec plus ou moins de facilité (Boud & Lee, 2005). De même, pour Hopewood (2010), plutôt que d’être soumis à une structure institutionnelle qui façonne et oriente son parcours, les doctorant-e-s agissent en interprétant les attentes et les normes du milieu académique en fonction de ses intentions et de ses émotions. À partir d’une approche socioculturelle de l’apprentissage par les pairs (peer learning), cet auteur met de l’avant l’idée qu’en internalisant les significations et les ressources de l’environnement externe – ce qui s’effectue dans divers contextes d’interaction

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avec des pairs – celles-ci s’actualisent dans les pensées et l’action du doctorant ou de la doctorante en fonction de son histoire personnelle et culturelle.

Par ailleurs, d’un point de vue méthodologique, les grandes enquêtes – et autres études fondées sur des méthodes quantitatives – offrent notamment, au cours des années 2000, la possibilité de tracer un portrait général des aspects satisfaisants et insatisfaisants des études doctorales du point de vue des doctorant-e-s. De manière complémentaire, les approches qualitatives permettent de rendre compte de la complexité de la formation ainsi que des enjeux personnels et interpersonnels qu’elle sous-tend. Il est dès lors possible de documenter de manière fine, par exemple, les répercussions du sentiment d’isolement (voir par exemple Kohun & Ali, 2005), du soutien des pairs (entre autres : Lahenius & Martinsuo, 2011) ou de la qualité de la relation avec le directeur ou la directrice de thèse (ex. Barnes & Austin, 2009) sur l’expérience de formation des doctorant-e-s. Et tandis que certains chercheurs utilisent le terme « survivre aux études doctorales » pour illustrer le degré de difficulté qu’elles sous-tendent (McIlveen, George, Voss, & Laguardia, 2006), on s’interroge aussi sur le sens qu’attribuent les doctorant-e-s au fait de s’y engager (Bourdages, 2001).

Une autre caractéristique des recherches sur la progression des doctorant-e-s, menées au cours des années 2000, se traduit par le fait qu’on tente de plus en plus de diversifier, voire de confronter les points de vue. Notamment, Barnes et Austin (2008) se sont intéressées à l’efficience des pratiques de supervision du point de vue des directeurs et directrices de recherche, tandis que Gardner (2008) a comparé la façon dont les doctorant-e-s et les professeur-e-s d’un même département peuvent expliquer l’abandon au doctorat. De même, McKinley, Grant, Middleton, Irwin et Tumoana Williams (2011) ont interrogé des doctorant-e-s maoris et leurs directeurs ou directrices de thèse pour connaître leurs perceptions respectives de l’expérience doctorale en contexte néo-zélandais.

Qui plus est, à l’instar d’une tendance que l’on peut observer dans d’autres domaines, les recherches qui s’appuient sur une méthodologie mixte (qualitative et quantitative) gagnent en importance. C’est le cas, par exemple, de la recherche d’Ivankova et Stick (2007), sur la progression dans la formation doctorale « à distance », qui ont interrogé des doctorant-e-s à partir d’un questionnaire en ligne et ont ensuite mené des entretiens individuels par téléphone (avec suivis par courriels) pour approfondir leur analyse. Par ailleurs, afin de circonscrire les

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facteurs qui influencent la durée des études doctorales, Wao et Onwuegbuzie (2011) ont analysé les données démographiques et académiques de plus de 1000 étudiant-e-s ayant obtenu leur diplôme entre 1990 et 2006, qu’ils ont par la suite couplées avec les résultats d’entretiens individuels et d’entretiens de groupe focalisé (focus group) menés respectivement auprès de doctorant-e-s et de professeur-e-s.

Enfin, les recherches récentes focalisent de plus en plus sur le développement de l’identité académique des doctorant-e-s et postdoctorant-e-s (voir par exemple Baker & Pifer, 2014 ou McAlpine, Amundsen & Turner, 2013a), sur le rôle de supervision des directeurs et directrices de thèse et ses répercussions sur le cheminement des apprentis-chercheurs (voir notamment Woolderink, Putnik, van der Boom, & Klabbers, 2015), de même que sur la préparation professionnelle des doctorant-e-s (McAlpine & Emmioglu, 2014; Thiry, Laursen & Loshbaugh, 2015) et le parcours professionnel des détenteurs de diplôme de doctorat (McAlpine, Amundsen & Turner, 2013b; McAlpine & Emmioğlu, 2014).

Somme toute, on peut faire le constat d’un déplacement progressif d’un intérêt pour les enjeux du processus de formation doctorale, d’abord local et axé sur les caractéristiques de l’étudiant-e, vers un ensemble complexe de facteurs à la fois individuels, liés aux modalités de la formation (structure, normes, exigences) et liés au contexte et au milieu d’études. À travers le temps, la problématique a été appréhendée à plus grande échelle, notamment à partir de grandes enquêtes nationales, en plus de devenir un intérêt scientifique international. On observe aussi que les premières recherches, généralement menées par questionnaire, ont graduellement laissé place à plus de recherches axées sur le point de vue des acteurs universitaires (doctorant-e-s, professeur-e-s, administrateurs et administratrice) et sur les aspects plus subjectifs de l’expérience doctorale. Toutefois, peu de modèles théoriques sont proposés pour appréhender la problématique dans toute sa complexité. Au regard des résultats des recherches menées à ce jour, la section qui suit rend compte des principaux facteurs considérés comme étant facilitants ou contraignants, lorsqu’il est question de progresser dans la formation doctorale.

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1.2.2 Progresser ou non dans la formation doctorale : facteurs à

considérer

Les résultats des recherches passées et actuelles permettent de cerner un ensemble de facteurs susceptibles de favoriser ou de nuire à la progression dans les études doctorales. Aux fins de la présente recherche, ces facteurs ont été classés en trois catégories : 1/facteurs individuels, 2/facteurs liés aux modalités de la formation et 3/facteurs liés au milieu et au contexte d’études.

1.2.2.1 Facteurs individuels

Au-delà des aptitudes intellectuelles – qui ne constituent pas systématiquement un gage de réussite au doctorat (Lovitts, 2005) –, les facteurs individuels renvoient ici à certaines caractéristiques personnelles qui tendent à favoriser ou non la progression aux études doctorales, de même qu’au profil sociodémographique et aux aspects de la situation personnelle des doctorant-e-s pouvant influencer la décision de poursuivre jusqu’au bout leur formation.

Caractéristiques personnelles

Bien qu’on ne puisse délimiter un profil psychologique type pouvant favoriser la progression dans les études doctorales (Lovitts, 2005), certains traits de personnalité – que l’on attribue généralement aux gens ayant des aptitudes élevées à la créativité (Amabile, 1996) – pourraient faciliter la progression tout au long de la formation. Il s’agirait notamment d’un haut degré d’autonomie et de discipline personnelle, de la propension à vouloir atteindre de hauts standards d’excellence, du locus de contrôle interne, d’une tendance à prendre des risques, de la tolérance à l’ambiguïté ainsi que de la capacité à retarder la gratification et, par le fait même, de la capacité à poursuivre une tâche malgré les frustrations (Lovitts, 2005). Selon Sternberg (1997), les étudiant-e-s qui s’engagent dans les études doctorales ont généralement été performants aux autres niveaux d’enseignement, la plupart en répondant avec succès aux exigences dès le premier essai. Ils n’ont donc pas l’habitude d’échouer ni de continuellement réviser et bonifier leur travail. Dans la mesure où le travail de recherche se veut fondamentalement itératif, certains étudiant-e-s vivraient mal les frustrations qu’un tel processus sous-tend. Même des étudiant-e-s réputés pour avoir excellé aux autres niveaux

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d’enseignement peuvent éprouver de réelles difficultés aux études doctorales, et ce, plus particulièrement au moment d’effectuer la recherche et de rédiger la thèse (Lovitts, 2005). Par ailleurs, les aptitudes pour la gestion du temps et la planification ainsi que la tendance à rechercher activement de l’aide se retrouveraient souvent chez les doctorant-e-s qui se rendent jusqu’à la diplomation (Lahenius & Martinsuo, 2011; Maher et al., 2004). En somme, la capacité d’autorégulation constituerait un atout appréciable pour réussir à progresser dans les études doctorales (Pintrich, 2000; Zimmerman, 1990)

Caractéristiques sociodémographiques et situation personnelle

La difficulté à délimiter un ensemble de facteurs « prédictifs » de l’obtention ou non du diplôme de doctorat est particulièrement manifeste lorsqu’on se penche sur le profil sociodémographique et la situation personnelle des doctorant-e-s. Les résultats des recherches menées en ce sens sont souvent contradictoires et lorsqu’ils semblent probants, il est souvent nécessaire de les nuancer.

Les conclusions de plusieurs recherches montrent ainsi que les variables démographiques telles que l’âge et le genre ne permettent pas de discriminer ceux qui obtiennent leur diplôme de ceux qui ne l’obtiennent pas (Bair & Haworth, 2004). Néanmoins, à l’instar de Germeroth (1991) ainsi que Martin, Maclachlan et Karmel (2001) qui ont constaté que l’âge pouvait influencer la progression d’un doctorant ou d’une doctorante dans sa formation, Park (2005a) est arrivé à la conclusion que les étudiant-e-s les plus jeunes ont tendance à obtenir leur diplôme dans une proportion plus grande que leurs pairs plus âgés. L’examen des dossiers académiques d’une cohorte de 1376 étudiant-e-s lui a permis de constater que les taux de diplomation des étudiant-e-s de plus de 40 ans étaient significativement plus faibles, ce qu’il explique par le fait qu’à cette étape de leur vie, plusieurs jonglent avec diverses responsabilités en parallèle à leurs études.

En ce qui concerne l’influence du genre sur la progression dans le processus de formation doctorale, si certains chercheurs n’ont pas constaté de différence entre les taux de diplomation des femmes et des hommes (voir notamment Park, 2005a), il est généralement admis que les femmes tendent à mettre un terme à leurs études plus fréquemment que les hommes (Bowen & Rudenstine 1992; Nerad & Miller, 1997; Smallwood, 2004). Entre

Références

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