• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : Résultats

4.2 Progresser dans la formation doctorale en SHS : possibilités et contraintes

4.2.2 Facteurs individuels de progression dans la formation doctorale en SHS

4.2.2.4 Conciliation études doctorales-vie personnelle

Tous les participant-e-s soulignent le défi que représente, tout au long des études doctorales, la conciliation entre les exigences de la formation et les responsabilités ou les aléas de la vie personnelle. La majorité des doctorant-e-s raconte d’ailleurs s’être retrouvée, à un moment de son parcours, devant des dilemmes ayant mené à faire des sacrifices soit dans les études soit dans la vie personnelle. Ces dilemmes renvoient à l’investissement important d’énergie, de temps et d’argent que suppose l’expérience doctorale :

S’il y a quelque chose dans ma vie qui va moins bien, ou qui va mal, tant que je n’ai pas réussi à résoudre ça je pense que mon doctorat en pâtit en partie. En tout cas, il y a des trucs qui sont, dans ma vie personnelle, implicitement intriqués à

127

ma recherche. Donc le meilleur moyen de faire progresser ma recherche c’est que je sois capable de maintenir un équilibre [entre] ces autres éléments de ma vie. (Doctorant 6, Sciences sociales)

Sans exception, chacun-e des doctorant-e-s déplorent l’obligation qu’a la plupart d’entre eux de subvenir à ses besoins – et donc de travailler en parallèle à ses études – ce qui limite la possibilité de s’y investir à plein temps. Même si l’obtention d’une bourse de recherche, par exemple, peut minimiser les préoccupations financières, c’est généralement en fin de parcours – une fois la bourse épuisée –, qu’il devient primordial de se consacrer entièrement à la rédaction et que l’on se retrouve ainsi à « vivre de thèse et d’eau fraîche » (Doctorante 19, Lettres et Humanité) :

C’est qu’il y en a effectivement qui sont obligé de travailler. En dix ans, on a vu une diminution des boursiers… Même nous, comme chercheurs, avoir de l’argent… c’est hallucinant! C’est un combat incroyable! Alors c’est sûr que si tu n’as pas une bourse d’études, tu n’as pas le choix, il faut que tu travailles. (Directrice 5, Sciences de l’éducation)

Je ne pense pas qu’on puisse faire une thèse à temps partiel, en travaillant à temps plein et en pensant qu’on va finir sa thèse le soir et les fins de semaine. Il y en a qui le font, j’en connais plusieurs qui l’ont fait… Mais, ce que je pourrais dire aussi, c’est que souvent, la 4e année après la bourse… ou l’année où il n’y a plus

de bourse, mais où on n’a pas fini, ça devient une année critique. Parce que là, souvent il faut que les étudiants se remettent au travail. Ils n’ont pas fini. Et là il y a un moment, un point de tension, une rupture possible. (Administratrice 1)

Ce défi de consacrer suffisamment de temps à sa thèse tout en subvenant à ses besoins semble d’ailleurs être plus ou moins exacerbé par le type de soutien que l’étudiant-e reçoit de son entourage immédiat :

J’ai une étudiante au doctorat qui… moi je pense qu’elle ne finira plus. Elle a eu une rupture [amoureuse] très pénible pendant son doctorat. Son chum ne comprend pas ce que c’est écrire une thèse. Il n’a pas envie de s’ajuster. Elle est allée vivre chez sa mère. Je pense que sa mère comprend encore moins que son chum. (Directeur 7, Droit).

Tu sais, on est relativement indépendants aussi, fait que si jamais j’ai à travailler un soir, une fin de semaine, ou trois soirs, ou huit fins de semaine en ligne… parce que ça arrive quand on fait des demandes de bourse de postdoc, par exemple! Ce n’est pas un problème au niveau du couple. (Doctorant 12, Sciences de l’éducation)

128

Qui plus est, pour les doctorant-e-s issus de domaines où le marché de l’emploi offre des conditions alléchantes, il est d’autant plus tentant de mettre un terme à ses études dans les moments difficiles :

Dans mon domaine, le travail, ça paye bien! C’est pour ça que c’est souvent tentant [d’arrêter]! (Doctorant 22, Sciences de l’administration)

Par ailleurs, le degré d’investissement personnel et financier que nécessitent les études doctorales a mené plusieurs des doctorant-e-s rencontrés dans le cadre de la thèse à différer d’importants projets de vie. À l’instar de ce que les directeurs et directrices disent observer, certains doctorant-e-s évoquent à quel point il peut être confrontant et déstabilisant de se retrouver dans la trentaine, sans revenu fixe, alors que dans leur entourage, on s’installe tranquillement dans la vie, en s’achetant une maison, en consolidant une carrière ou encore on fondant une famille :

Je viens d’avoir 33 ans. Je ne peux pas passer ma vie [ici]! […] Ça prend un salaire à un moment donné! Il y a des dettes qui s’accumulent, tu aimerais ça avoir une famille... Plein de questions qui se posent tout le temps. Tu te sens…À un moment donné, tu regardes tout le monde… [Ils] font leurs vies, les enfants sont rendus à trois ans… Tu capotes, tu sais! Tu es en retard! (Doctorant 23, Sciences sociales)

Souvent, ils vont commencer leur thèse de doctorat alors qu’ils pourraient rester en pratique du droit. C’est déjà un sacrifice financier énorme. Souvent, ils sont à l’âge où ils se demandent s’ils sont avec « le bon » ou « la bonne » pour faire leur vie. Alors, c’est un sacrifice aussi sur la vie de couple : « Est-ce qu’on fait des enfants tout de suite ou pas tout de suite? Oui, mais tu ne gagneras pas une cenne pendant 4 ans » ou « Tu ne seras pas riche pendant 4 ans, est-ce qu’on fait ça maintenant? » S’ils [sont avec] quelqu’un qui est dans le même domaine qu’eux, ça fait un gros décalage. Parce que, là, il y a quelqu’un dans le couple qui gagne 100 000 $, puis l’autre qui va être sur sa bourse CRSH […]. (Directeur 7, Droit)

À l’égard de l’idée d’avoir ou non des enfants pendant les études doctorales, le dilemme semble d’autant plus déchirant pour les femmes. Des participantes issues de disciplines fondamentales ou de domaines à prédominance masculine ont témoigné de pressions implicites, dans leur milieu d’études, concernant la nécessité de reporter le plus tard possible le moment de fonder une famille ou encore d’une tradition selon laquelle les femmes se résignent à ne pas avoir d’enfants :

129

Déjà, quand tu regardes les femmes autour de toi, en philo… Il n’y a pas beaucoup de mères. S’il y en a, c’est qu’elles ont été mères très tard, donc après avoir eu un poste. […] On m’a recommandé d’avoir un enfant à partir de 35 ans. Tu sais, c’est lourd [comme recommandation]… Je me suis dit que je faisais le choix d’aller en philosophie, mais ça impliquait que je n’allais jamais avoir d’enfants. (Doctorante 11, Philosophie)

Traditionnellement, les filles arrêtent plus que les gars parce qu’elles ont des enfants… Parce qu’une femme en [domaine x] n’a pas d’enfants. Sinon tu ne continues pas. Mais, c’est nouveau. Ma prof, je pense que c’est la première qu’on a vue [avec des enfants]. (Doctorante 34, Lettres et Humanités)

Par ailleurs, plusieurs directeurs et directrices de thèse ont été témoins de situations où des doctorantes ont abandonné leurs études après l’arrivée d’un enfant. Certains directeurs et directrices ainsi que plusieurs doctorant-e-s perçoivent que, dans le cadre d’un parcours doctoral, la naissance d’un enfant est vécue différemment si l’on est un homme ou une femme :

Elles ont des enfants en cours de route, et puis là, elles n’y arrivent plus. Je n’ai pas vu ça du côté des gars. J’ai vu des gars pour qui c’est devenu plus compliqué parce qu’ils avaient des enfants, mais en général, pour les gars ça se traduit plutôt par une sorte de responsabilité : « Faut que je finisse pour avoir un travail… » […] C’est vraiment frappant. Pour les femmes, c’est : « je n’y arriverai pas » et pour les gars, c’est : « il faut que j’y arrive ». (Directeur 6, Lettres et Humanités) Une chose qui peut ralentir aussi, c’est que tu arrives proche de la trentaine et tu veux des enfants! Ça, j’en ai vu pas mal autour de moi. Quand c’est un gars, on dirait que c’est moins pire parce que c’est [la conjointe] qui s’en occupe! Mais quand tu es une fille, c’est beaucoup d’investissement… Moi, honnêtement, je ne pense pas que ça aurait été possible de rédiger ma thèse avec un bébé qui me réveille toute la nuit! (Doctorante16, Lettres et Humanités)

Dans le cas particulier des doctorant-e-s internationaux rencontrés dans le cadre de la présente recherche, le fait de se retrouver loin de leurs proches tend aussi à complexifier et alourdir le processus de formation :

J’ai une épouse, j’ai 3 enfants. Alors quand on a un projet, et quand on veut le faire très bien, s’expatrier… je ne pensais pas qu’on souffrait [autant] de l’absence de ses proches. Après un an, ça commence à peser. Il y a des moments devant mon ordinateur, je ne vois que mes enfants, je ne vois que ma femme et bien, ça peut-être 30-40 minutes comme ça; je les vois. (Doctorant 10, Droit)

130

Sous l’angle théorique privilégié, pour circonscrire et comprendre les enjeux que présentent les études doctorales en SHS, les facteurs individuels présentés précédemment ne peuvent être appréhendés sans considérer les facteurs structurels pouvant influencer un tel processus de formation.

4.2.3 Facteurs structurels de progression dans la formation doctorale en