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CHAPITRE 4 : Résultats

4.2 Progresser dans la formation doctorale en SHS : possibilités et contraintes

4.3.1 Ce qui incite à persister

Rappelons que sous l’angle de la théorie de la structuration de Giddens, l’idée de « motivations » renvoie au moteur de l’action, à l’énergie déployée pour s’y engager et s’y maintenir, c’est-à-dire à l’élan motivationnel qui incite à persister dans la réalisation d’une action. Devant les multiples défis rencontrés tout au long de leur parcours de formation, les doctorant-e-s rendent compte de motivations liées à un sentiment de devoir, au plaisir du travail intellectuel, à une passion pour leur sujet de thèse ainsi qu’à l’énergie et au temps consentis jusque-là pour mener à bien les différents aspects du processus de formation doctorale.

Sentiment de devoir

Pour expliquer ce qui les incite à persister malgré les difficultés et les contraintes, des doctorant-e-s évoquent d’emblée un sentiment de devoir. D’un côté, il est question pour certains de ne pas se décevoir soi-même, d’être fier de ce qui aura été accompli, de la nécessité de respecter ses principes, mais aussi d’une bonne dose d’orgueil :

Je suis assez têtu. C’est mauvais dans plein de situations, puis je pense que dans cette situation-là, par contre, c’est une qualité d’être têtu. Le côté de ne pas vouloir lâcher… Je pense que j’ai trop d’orgueil, en fait! C’est vraiment ça : j’ai trop d’orgueil pour arrêter! (Doctorant 6, Sciences sociales)

De l’autre côté, il s’agit avant tout de ne pas décevoir un proche, de rendre ses parents fiers, de sentir qu’on a une « dette morale » envers un-e conjoint-e qui assure le principal revenu du couple depuis plusieurs années, de même que de se sentir redevable envers un directeur

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ou une directrice de thèse dont on apprécie le soutien ou encore de vouloir être à la hauteur d’un financement obtenu :

C’est trop avancé, je ne peux pas faire marche arrière. Puis c’est une promesse. Mes parents m’ont encouragée, puis ils rêvent de ça, ils attendent tout le temps! Mon père me pose la question : « ce sera quand la soutenance?! Ce sera quand la soutenance?! » Je sais que c’est quelque chose qui va le rendre heureux, donc c’est des choses qui comptent. Puis, pour son estime de soi, pour son image devant les gens, tu ne peux pas abandonner! (Doctorante 28, Lettres et Humanités)

La réaction de ma directrice, qui ne le prendrait pas, joue aussi. Même si j’ai la possibilité d’abandonner, ça aurait un impact très, très fort sur la relation de qualité que j’ai avec ma directrice… que je tiens à préserver. (Doctorant 12, Sciences de l’éducation)

C’est un facteur extrinsèque, mais c’est que j’ai eu des bourses, des subventions, et je veux les honorer. Je dirais que c’est une de mes principales motivations : de me dire que le gouvernement du Canada n’a pas investi en moi pour rien (Doctorant 14, Lettres et Humanités)

Plaisir et passion pour le sujet de recherche

D’autres doctorant-e-s affirment continuer à avancer malgré les difficultés en raison du plaisir que leur procure invariablement certains aspects du travail intellectuel ou du vif intérêt qu’ils portent à leur sujet de thèse :

J’ai tout fait mon terrain, puis là quand j’ai enfin eu le temps de m’assoir puis regarder mes données, c’était comme déballer des cadeaux de Noël! Je le voyais un peu comme ça! J’aime me plonger dans mes analyses puis… Ah wow! Je capote! J’aime ça. J’ai du fun à faire ça. Le plaisir est encore là. Mais là, je sens la pression de finir puis c’est plus difficile. C’est peut-être ça qui m’incite à continuer; l’aspect plaisir. (Doctorante 19, Sciences sociales)

Je suis passionné de mon sujet. Vraiment! C’est ma seconde épouse, c’est une partenaire! J’aime ça. (Doctorant 10, Droit)

Trop de chemin parcouru pour reculer

D’un point de vue plus pragmatique, plusieurs doctorant-e-s disent quant à eux persister en raison de l’investissement de temps, d’énergie et d’argent déjà consenti. Certains soulignent en outre qu’après tant d’années passées aux études doctorales, leurs compétences professionnelles et leur expertise se limitent maintenant au domaine de la recherche et de

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l’enseignement universitaire alors que d’autres parlent d’un processus ayant fortement façonné leur identité dont il serait difficile de s’extraire :

Si je ne le finis pas, j’aurais perdu 8 ans de ma vie! Et pour revenir à quoi? Parce que j’ai abandonné le [domaine professionnel] dans lequel je travaillais. Je suis pas mal déconnecté de ce domaine. Donc, je ne pourrais pas revenir en arrière. Je serais très inconfortable pour me réinsérer au monde professionnel, tu vois? Donc je me dis que c’est mieux de continuer à investir des forces, et des économies aussi, pour finir ça. Après, je pourrai décider quoi faire. (Doctorant 33, Sciences sociales)

Je ne peux pas retourner en arrière; c’est mon identité. Je suis tellement [là- dedans] que je ne peux plus enlever ça de mon identité. Si je ne réussis pas ça, sérieux, je ne sais pas ce que je ferais. Ça ne serait pas beau là! Bon, ça n’arrivera pas, mais suppose je me fais frapper [par une voiture] demain ou que j’ai un cancer du cerveau, je ne sais pas trop là…Je pense que, sérieux, ma priorité c’est vraiment de finir ça! Puis [dans une telle situation], je voudrais juste finir ça avant de mourir! (Doctorante 18, Sciences sociales)

Si, afin de mener leurs études à terme malgré les défis rencontrés, les doctorant-e-s rendent compte de stratégies de progression mises de l’avant plus ou moins consciemment, les directeurs et directrices ainsi que les administrateurs ont aussi une opinion arrêtée sur la question.