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La mutation des marchés, de l’appareil productif et des produits

Document II-4 Affiche pour le fil Stick des TSR, années

B. La mutation des marchés, de l’appareil productif et des produits

1. Le maintien inégal des affaires intermédiaires spécialisées

Le succès de la texturation permet au trio moulinier d’entrer dans le cercle restreint des entreprises textiles régionales de plus de mille salariés, qui ne comptait avant la guerre que deux représentants : le filateur de fils discontinus de la Société anonyme de filature de schappe (SAF ou Schappe) et le veloutier JB Martin. Ces deux entreprises, aux productions sensiblement différentes, partagent néanmoins un trait commun de sociétés spécialisées, dominant un marché national restreint et faisant face à une concurrence essentiellement internationale. La SAF fait partie des premiers grands établissements textiles régionaux ayant émergé à la fin du XIXe siècle. Sa constitution remonte à 1885 par la fusion de la société Franc & Martelin de Saint- Rambert-en-Bugey (Ain) et des Ets Hoppenot de Troyes (Aube), deux entreprises de filatures

191 La baisse s’explique par l’omission des articles chaussants dont la production est sur le point d’être

de schappe192. La SAF, créée dans un contexte de crise liée à la dépression de 1873-1896, connaît des débuts délicats liée à une politique d’investissements excessive. Initialement contrôlée par trois familles fondatrices (Franc, Martelin et Hoppenot), l’entreprise passe au début des années 1890 sous le contrôle de banques suisses (Basler Bankverein et Crédit suisse) qui remplacent momentanément les fondateurs à la direction. La SAF, gérée par des managers jusqu’au milieu des années 1910, voit ses finances assainies et son développement s’étendre sur le marché national et à l’étranger avec l’implantation de filiales russes et italiennes. Un cartel européen, mis en place conjointement avec ses deux principales concurrentes193, assure sa position dominante. Postérieurement à la Première Guerre mondiale, la SAF se reconvertit progressivement dans les fibres artificielles avec l’appui technique du groupe Gillet et de la Rhodiaceta, tandis que les rênes de la direction reviennent entre les mains familiales. Malgré une politique de restructuration imposée par la crise de 1929, la Schappe constitue la première affaire implantée dans la région lyonnaise en termes d’effectifs et de chiffre d’affaires. Au terme du second conflit mondial, la Schappe abandonne totalement sa production de schappe naturelle devenue anecdotique194 et se spécialise dans la production de fils coupés artificiels puis synthétiques très fins titrant en moyenne au Nm 140195. Le matériel de filature de schappe classique s’avère adapté à cette reconversion, minimisant ainsi les investissements matériels. Seul le matériel de décreusage et de peignage, étapes inhérentes au traitement du cocon de ver à soie, est devenu obsolète. Il est remplacé par un outillage d’arrachage spécialement conçu par l’entreprise pour traiter les fils continus produits par la Rhodiaceta en rubans discontinus selon un procédé tow-to-top196 breveté. Cette modernisation ne peut cependant masquer la réalité industrielle d’une société qui tend à se replier sur des marchés spécialisés. La transition des années 1950 est marquée par des difficultés budgétaires résolues tardivement avec l’émergence

192 La schappe est une fibre de soie naturelle discontinue, produite à partir des déchets de soie (cocons

mal dévidés, percés ou endommagés) donnant un tissu de qualité moindre à la soie classique mais bien moins onéreux.

193 La Société industrielle pour la Schappe (SIS) basée à Bâle avec une importante présence industrielle

en France (à Briançon et Tenay) et la Sociéta per la Filatura dei Cascami di Seta (SFC) italienne, originaire de Novare (Piémont).

194 Le bulletin INSEE sur la soierie de 1950 mentionne ainsi 203 t de schappe produites en 1949 contre

1 072 en 1938.

195 Le numéro métrique (NM) est une unité de titrage utilisée pour les fibres discontinues sur la base

d’un ratio longueur/poids. Un NM 140 signifie que 140 mètres de fil pèse 1 gramme ; source : Mémotextile.

196 Le tow-to-top est un procédé de conversion de fibre continue en fibre discontinue. Les filaments sont

maintenus droits et parallèles puis coupés en fibres discontinues de longueur égales avant filature. Le procédé donne un fil plus résistant et moins défectueux que celui obtenu par un cardage classique.

des productions nylon. L’entreprise a par ailleurs connu une importante croissance capitalistique, de 60 millions d’anciens F avant-guerre à 270 à la Libération (par incorporation de réserves spéciales), jusqu’à 960 millions en 1956, tant pour suivre l’inflation qu’assurer les investissements de la société. Elle est ainsi au début des années 1950 la deuxième capitalisation boursière française dans l’industrie textile, derrière Dolfus-Mieg. Les familles fondatrices restent le principal actionnaire, avec une part minoritaire cependant (environ 25 % du capital) devançant le groupe Gillet (8 % du capital). Au début des années 1960, la SAF, contrainte de fermer plusieurs de ses sites historiques (Rozzano en Italie, Emmenbrücke en Suisse, Troyes en France) se rapproche de sa principale concurrence, la Société industrielle pour la Schappe (SIS). En 1962, les deux sociétés fusionnent au sein d’une holding mixte ayant pour raison sociale Schappe SA, siégeant à Genève (Suisse). Les actionnaires de la SIS, ayant un poids capitalistique légèrement plus lourd que la SAF, récupèrent 57,5 % des actions de la nouvelle entité, tandis que l’ancienne SAF devient une filiale de Schappe SA sous le nom de SA Schappe et détient les 42,5 % restants. Le conseil d’administration est réparti à moitié entre des membres des familles de la SAF et des actionnaires extérieurs de l’ancienne SIS. Cette fusion répond avant tout à un impératif d’optimisation industrielle : les implantations industrielles des deux sociétés étant exclusivement en France et en Suisse, une unité de gestion est créée dans chaque pays pour gérer indistinctement les usines des deux sociétés. Cette restructuration organisationnelle s’accompagne d’une restructuration industrielle. La SA Schappe dispose à sa création de cinq usines héritées de la SAF, dont quatre dans la région lyonnaise : deux sites à Saint-Rambert-en-Bugey (Ain), Pierre-Bénite, Amplepuis (Rhône) et un à La-Croix-aux-Mines (Vosges). 3 usines de l’ex-SIS sont également sous sa gestion à Tenay, Argis (Ain) et Soultzmatt (Haut-Rhin). Au cours de ses cinq premières années d’exploitation, la SA Schappe investit 29 millions de NF dans le renouvellement de son matériel, qui doit être regroupé à terme autour de trois usines-pôles : La Croix-aux-Mines pour les filés fins à usage industriel (Tergal et Trevira197 destinés pour moitié au marché français, l’autre moitié pour le marché espagnol), Saint-Rambert pour les fils tissages (polyester et viscose) et Tenay pour les fils bonneterie (articles chaussants jersey, full fashion et ameublement). L’usine de Pierre-Bénite est entretemps fermée et celle d’Argis doit suivre prochainement. Celle d’Amplepuis est confiée à une filiale créée ex nihilo, la SARL Schappe-Tex, siégeant à Paris au capital social de 3 millions de F et dirigée par un gestionnaire des familles de l’ex-SAF. Son chiffre d’affaires s’élève à 10,5 millions de F sur l’exercice fiscal 1967. La propriété reste cependant à SA

Schappe et est spécialisée dans la production de fil texturé. L’ensemble des filatures (Schappe- Tex exclue) produit un tonnage moyen mensuel de 300 t (dont environ 80 % de synthétiques, 15 % de viscose et 5 % de laine), assuré par 1 401 salariés dont 1 178 ouvriers, 173 ETAM et 50 cadres. Malgré cette optimisation soutenue, la santé financière de l’entreprise se dégrade avec la crise de 1964. En 1965, le chiffre d’affaires s’élève à 50,6 millions de NF, dont 9,9 à l’export. Il s’améliore légèrement l’année suivante (65,4 millions), avant de décrocher à nouveau en 1967 (53,5 millions). Le résultat avant impôts est déficitaire sur les trois derniers exercices et l’excédent de trésorerie ne semble se maintenir que grâce aux ventes immobilières. L’incapacité de retrouver un équilibre budgétaire pousse la Schappe AG à entamer une nouvelle restructuration organisationnelle. Le modèle de la holding, s’il a préservé les intérêts des actionnaires en maintenant les anciennes entités séparées, entre en contradiction avec la complexité de la direction industrielle. En décembre 1967, une offre de l’américain Burlington Industries aux actionnaires de Schappe AG proposant l’échange de leurs actions contre des obligations Burlington est acceptée ; 96 % du capital de Schappe AG passe ainsi sous le contrôle de la société américaine, changeant de fait la propriété de la SA Schappe. Le nouvel actionnaire maintient provisoirement l’existence de la holding qui devient Burlington-Schappe AG, la filiale française devenant Burlington-Schappe. En revanche, Schappe-Tex disparaît et l’usine d’Amplepuis est réattribuée à Burlington-Schappe. L’usine suisse semble repasser sous le giron de Burlington-Schappe AG, selon une logique d’harmonisation géographique. Les familles fondatrices, si elles sont réduites à la portion congrue dans l’actionnariat, gardent des représentants aux fonctions exécutives : Stéphane Hoppenot à la présidence-direction générale et Jacques Franc à une direction adjointe. L’arrivée de Burlington apporte une bouffée d’air frais à l’entreprise, qui renoue avec les bénéfices et la hausse de son chiffre. En 1972, la société affiche ainsi 161 millions de F de chiffre d’affaires HT et un résultat net de 3,3 millions. Dès 1970, le versement de dividendes (statutaires vu la régularité des sommes versées) est rétabli : 1,2 million en 1970 puis 1,1 en 1971 et 1972. L’entreprise n’a pas ailleurs pas procédé à une compression importante de son personnel, qui a même augmenté à 1 569 salariés, dont 1 248 ouvriers, 224 ETAM et 92 cadres. Si la réintégration de l’affaire d’Amplepuis (222 salariés) contribue à ces bons chiffres, les indicateurs restent néanmoins positifs. Le redéploiement le plus notable opéré par Burlington est la reconversion de l’usine d’Argis, finalement sauvée de la fermeture, vers le tricotage, activité habituelle de la maison-mère américaine198.

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