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Modernisation et optimisation sur les segments de masse

Document II-5– Les vestiges de l’usine de la Schappe de Saint-Rambert en

2. Modernisation et optimisation sur les segments de masse

Les stratégies d’investissements des entreprises de l’habillement classique tendent, d’une part, vers la diversification des marchés, d’autre part, vers l’augmentation de la part à l’exportation. La modernisation du matériel et le regroupement des sites de production sont quasi-systématiques dans les exposés des affaires de bonne taille, regroupant plusieurs usines et quelques centaines de salariés. Dans le moulinage, on retrouve, derrière le trio de tête MRC/TSR/Billion, un ensemble d’entreprisesfamiliales importantes, fortes de plusieurs centaines de salariés et impliquées dans la représentation professionnelle. Ces affaires, industriellement matures, s’orientent dans les années 1960 vers des stratégies d’optimisation incitées par la crise. La première d’entre elles est la société des Filatures et moulinages de l’Ardèche (Fimola). Cette entreprise est initialement créée à Privas (Ardèche) en 1939 comme filiale de la société des Textiles Veugeurin, une maison de négoce issue de la défunte maison Veuve Guérin & Fils202. Initialement, elle est un simple façonnier pour le compte de Veugeurin avant d’entamer une politique d’acquisitions de petits moulinages ardéchois à partir de 1946. Cette politique culmine en 1956 avec l’achat d’un important site à Saint-Julien-en-Saint-Alban

201 AN, CIRIT D581 et R1172, JB Martin.

202 La maison Guérin & Fils est une vieille affaire de négoce fondée en 1716 qui présentait l’originalité

d’assurer également des activités bancaires et fut un important financier de la soierie et du moulinage

régional durant l’industrialisation du XIXe siècle. L’affaire fait faillite en 1932, victime des effets de la

crise de 1929. À ce sujet, nous renvoyons à Serge Chassagne, Veuve Guérin & Fils – Banque et soie,

(Ardèche) équipé de matériel moderne. L’extension se poursuit ultérieurement par l’agrandissement régulier des sites et un renouvellement matériel constant. Finalement, la Fimola absorbe Veugeurin en 1965 et devient une société anonyme. Avec six usines, toutes ardéchoises, 515 salariés et 31 millions de F de ventes, l’entreprise pointe au sixième rang national des affaires de moulinage. Sa production annuelle s’élève à 2 000 t en 1966, soit 4,7 % de l’ensemble de la filière, pour moitié en ventes propres et pour moitié en façons à destination de la Rhodiaceta et de la MRC, qui ne représente cependant que 10 % de son chiffre d’affaires. L’entreprise se distingue par son haut taux d’exportation, entre 55 et 60 % à la fin des années 1960, principalement à destination de l’Allemagne, l’Italie, le Portugal et l’Amérique du Sud. L’arsenal industriel s’avérant désormais trop dispersé, la Fimola entame une stratégie d’optimisation en regroupant ses fabrications au sein de l’usine de Saint-Julien, qui compte à elle seule pour la moitié des effectifs et les trois quarts de la production. Le programme de restructuration interne proposé au CIRIT en 1967 vise ainsi la fermeture immédiate de deux usines, d’une troisième en 1968 et d’un transfert partiel pour une quatrième203.

Ce besoin d’optimisation se retrouve également du côté du plus gros moulinier drômois, les Ets Louis Rochegude basés à Valence, une entreprise familiale constituée en 1908 figurant au début des années 1970 au cinquième rang du moulinage national après un développement soutenu depuis sa création. L’affaire est de taille similaire à la Fimola (477 salariés et 33 millions de F de chiffre d’affaires), mais elle est plus concentrée avec seulement trois sites de production à Valence, Romans-sur-Isère et Tain-L’Hermitage. L’appareil est cependant dominé, à l’instar de la Fimola, par l’usine de Romans, unité moderne construite en 1956 qui représente 60 % des effectifs. Rochegude opte donc en 1971 pour la fermeture de la vieille usine de Valence, inadaptée à l’installation de machines de texturation et le licenciement de 131 personnes afin de favoriser la modernisation des usines subsistantes dans les fils texturés et fantaisie à destination des marchés du voile. Ce programme fait l’objet d’un financement particulièrement ambitieux pour une entreprise de cette taille, puisqu’il représente un financement de 13 millions de F, dont 12 d’acquisition de matériel204.

Les mêmes opérations se retrouvent également pour l’entreprise Mayor, une affaire elle aussi familiale fondée en 1924 spécialisée dans le moulinage soie et synthétiques, forte de 239 salariés et de 37 millions de F en ventes en 1970. Sa structure reste similaire à la concurrence avec une usine principale au Grand-Lemps (Isère, 134 salariés), complétée par trois ateliers

203 AN, CIRIT D58 Fimola.

d’une vingtaine à une quarantaine de salariés à Aizac (Ardèche), Bouchat (Drôme) et Pont-du- Duzon (Ardèche). Le site de Bouchat, spécialisé dans les ouvraisons soie particulièrement déficitaires, fait ainsi l’objet d’une fermeture en 1971, suivi par celui d’Aizac l’année suivante, afin de favoriser le développement des texturés synthétiques205. Ces programmes de restructurations tendent à mettre fin à un modèle industriel jusqu’ici dominé par des entreprises en clusters, ayant assuré leur développement par la reprise d’unités indépendantes.

La seule entreprise qui semble échapper à ce phénomène est le moulinier façonnier Plantevin Aîné & Cie (à distinguer de Plantevin & Cie, façonnier de Billion), fondé en 1923 à Chirols (Ardèche). L’affaire familiale, quasi-exclusivement façonnière, est au début des années 1960 en perte de vitesse, victime d’un matériel vétuste et d’une direction vieillissante. La passation de témoin à une nouvelle génération de managers familiaux fortement qualifiés s’accompagne d’une diversification des marchés, l’entreprise étant excessivement tributaire de ses donneurs d’ordre de la place lyonnaise et d’un renouvellement de la totalité de son matériel ancien entre 1962 et 1966, financés indistinctement par une augmentation de capital, une amélioration de la capacité d’autofinancement et de l’endettement à moyen terme. Elle s’ouvre à l’exportation qui représente un tiers de son chiffre d’affaires et au fil industriel. Elle compte notamment dans sa clientèle le chimiste allemand Hoescht pour qui elle travaille à façon. Contrairement aux autres affaires moulinières de son rang, Plantevin Aîné s’avère être dans les années 1960 une entreprise en pleine expansion plus que de consolidation. Entre 1961 et 1971, son chiffre d’affaires passe ainsi de 1,6 million à 13,8 millions de F ; ses effectifs doublent de 160 à 240 salariés, répartis dans huit sites dont deux usines à Chirols et Prades d’une centaine de salariés chacune. Si Plantevin est, transformateurs-marchands inclus, la 19e affaire moulinière nationale, elle est en revanche au second rang pour les affaires purement façonnières. Contrairement aux autres entreprises, la demande de subvention ne concerne pas une restructuration interne, mais un programme d’acquisition matériel devant s’accompagner à terme de 60 créations d’emplois. Le rôle des six ateliers, qui comptent un petit tissage, s’oriente essentiellement vers l’échantillonnage et la production d’articles spéciaux, laissant le gros de la production aux unités principales206. Le cas de Plantevin illustre donc que, même dans un contexte de généralisation de la texturation et d’accroissement concurrentiel, des stratégies agressives d’expansion peuvent porter leurs fruits par un effort de diversification tant de marché que de produit.

205 AN, CIRIT D436 Mayor.

La concentration dans le tissage et ses dérivés prend des formes logiquement plus diversifiées avec des productions moins monolithiques que dans le moulinage. JB Martin mis à part, les principales affaires s’avèrent être principalement des rubaneries-passementeries. En tête figurent les Ets Giron Frères, une affaire vénérable fondée en 1820, toujours contrôlée par la famille Giron qui est également un important sous-traitant de JB Martin. En 1971, sa production de 9 millions de mètres linéaires d’étoffes et rubans en velours est essentiellement assurée par son usine historique de Saint-Étienne, développée sur 28 500 m² et concentrant 576 des 701 salariés ; deux unités spécialisées à Saint-Just-en-Chevalet et Sail-sous-Couzan (Loire) complètent son appareil. Déjà très concentrée, l’effort d’investissement de Giron passe prioritairement dans la modernisation matérielle et l’optimisation des coûts annexes de production via l’informatisation. Le chiffre d’affaires, qui frôle les 30 millions de F, est relativement modeste comparativement à la taille de l’entreprise, mais il est en croissance ; il est réalisé pour moitié à l’export et est amené à augmenter avec l’acquisition de matériel neuf207.

Au second rang se trouvent les Manufactures réunies de Saint-Chamond (MRSC), une entreprise spécialisée dans la passementerie, tresses et câbles, forte de 695 salariés et de 26 millions de F de ventes en 1968. C’est également une vieille affaire, issue de la fusion en 1898 d’une dizaine d’affaires familiales208 dont la propriété est désormais dispersée. La firme se distingue par la diversité de ses produits, organisée en quatre départements répartis dans huit sites industriels : fils câbles et électrotresses (45 % de l’activité), tresses, lacets, passementerie (31 %), tissus indémaillables (16 %), tubes et tuyaux incendie et butane/propane. Elle se distingue également par une politique extrêmement agressive d’expansion entamée à la suite d’une restructuration en 1955 qui voit notamment la société adopter sa dénomination actuelle. Elle procède à une première phase de concentration de son parc industriel existant en trois usines, puis s’engage dans une intense politique d’acquisition tout au long des années 1960 : achats de la société Dentellière du Nord en 1960, des Ets Viarin en 1961, des Ets Joannot en 1963, des Ets Pichon la même année, du département tresse des Ets Sitel-Covela en 1967/1968, des Ets Granotier en 1968 et des Ets Sotrela en 1969, ainsi que prises de participation dans les Ets Fulchiron, rubanier historique et dans deux grossistes parisiens, les Ets Mayer et la société Gersow. Ces acquisitions font l’objet d’opérations de riblonnage systématiques afin d’éviter la

207 AN, CIRIT D431 Giron Frères.

208 L’historique du rapport liste les sociétés Alamagny, Oriol & Cie (Saint-Chamond), Balas Frères

(Izieux), Irénée Brun & Cie (Saint-Chamond), Reymondon (Saint-Chamond), Balas Dubouchet (Saint- Chamond), Castel & Patissier Frères (Izieux), Joanny Dubouchet (Saint-Julien-en-Jerez), Macabéo (Saint-Martin-en-Coailleux), Bergé & Marcoux (Izieux), Paul Chaland (Saint-Chamond), L’Agantic- Manufacture lyonnaise de bonneterie de soie (Ganges) et les Ets Canat (Sumène).

surenchère de matériel ancien et la MRSC sollicite justement le concours du CIRIT pour l’absorption de la Sitel-Covela. Contrairement à Giron, l’appareil productif est très éclaté mais paradoxalement géographiquement rapproché, les huit sites se situant tous dans le canton de Saint-Chamond ; ils ont une spécialisation bien distincte et, à l’exception du site tuyauterie, sont relativement homogènes.

La rubanerie continue d’être surreprésentée dans les dossiers CIRIT des entreprises moyennes de la région. Parmi les autres affaires d’importances figure l’entreprise Louison & Cie de Saint-Étienne, un rubanier-tisseur ayant déposé trois dossiers dont l’historique témoigne des changements structurels importants liés à la concentration. Un premier dossier en 1970 mentionne une entreprise de 304 salariés pour 13 millions de F de chiffre d’affaires, faiblement exportatrice (15 %), disposant d’une usine-siège à Saint-Étienne depuis sa création en 1880, plus un site à Bas-en-Basset (Haute-Loire) acquis en 1921 et un autre à Jallieu (Isère) en 1949. Cet ensemble très dispersé pousse l’entreprise à fermer l’usine de Jallieu pour se recentrer sur une nouvelle usine à La Fouillouse (Loire), plus grande et plus proche du siège209. Trois ans

plus tard, une nouvelle demande de subvention pour acquisition de matériel montre une entreprise relocalisée à La Fouillouse, le site de Saint-Étienne entre-temps vendu, un début de diversification dans les tissus jersey pour faire face au tassement de ses marchés de rubanerie et galons classique ainsi qu’une importante compression de personnel à 146 salariés et un léger recul de volume de ventes à 12,5 millions de F210.

Dans les cas les plus extrêmes, la diversification aboutit au retrait des segments historiques de l’entreprise. Le rubanier historique Balaÿ & Cie de Saint-Étienne créé en 1869 se désengage ainsi à partir de 1961 de son activité historique, progressivement réduite à 10 % de son chiffre d’affaires de 13,3 millions HT en 1967, pour 178 salariés répartis dans deux usines à Saint-Étienne et Maclas (Loire). La branche est finalement cédée à Giron Frères pour se recentrer sur le tissage polyamide. La spécialisation se fait à l’avantage des deux entreprises grâce à l’opération de cession : Balaÿ achève sa reconversion dans le tissage, alors que Giron renforce son potentiel matériel de rubans velours et fantaisie. La restructuration externe s’accompagne d’une restructuration interne avec un raccourcissement des circuits administratifs, la centralisation des services annexes (comptabilité, stocks, ordonnancement)

209 AN, CIRIT D325 Louison.

dans un même local et le renforcement des services commerciaux à l’exportation, qui passent de 3 à 22 % du chiffre d’affaires entre 1963 et 1967211.

Les tissages classiques sont des affaires de taille plus modestes ; seule une poignée d’entre elles dépassent le seuil des 250 salariés. La plus importante est l’entreprise Dubois & Fils, un tissage fondé en 1848 détenu aux deux tiers par la famille fondatrice, à un tiers par une société suisse « amie de vieille date de la famille ». Dubois est orientée vers des tissus de grande consommation de qualité moyenne, spécialisée dans le polyester mélangé laine, qu’elle vend via une société de commercialisation détenue conjointement avec l’entreprise nordiste Leclerc- Dupire et la fibranne frisée. Elle travaille également à façon pour moitié de son activité sur des tissus de qualité courante. Si le siège est situé à Lyon, l’intégralité du parc industriel est localisée en Isère, avec quatre tissages, un atelier d’ourdissage-encollage et un moulinage pour ses propres besoins. Les ventes s’élèvent à 16 millions de F pour 384 salariés et la seule activité fabricante positionne l’entreprise au dixième rang de l’industrie soyeuse. Longtemps exportatrice avant-guerre, elle s’est depuis redéployée sur le marché national et ne vend plus que l’équivalent de 8 à 10 % de son chiffre d’affaires à l’étranger. La clientèle est remarquablement équilibrée entre le commerce de détail (39 % des ventes), les grossistes (21 %), les grands magasins (15 %) et les confectionneurs (25 %). Dubois, rattrapée par la baisse d’activité engendrée par la crise, choisit de spécialiser ses sites par regroupement de métiers et de procéder à la fermeture de l’un d’entre eux à La Côte-Saint-André (Isère), répondant ainsi à un impératif d’optimisation212.

Il est intéressant de constater que la modernisation matérielle n’échappe pas aux entreprises de tissage de niche, à l’instar de Prelle & Cie, la plus ancienne entreprise soyeuse en activité recensée dans les archives du CIRIT. Fondée en 1774, elle est exploitée en société anonyme au capital de 300 000 F en 1970, avec 50 salariés dans un atelier à Lyon Croix-Rousse. L’entreprise a pour activité historique la fabrication de tissus de décoration et d’ameublement haute-qualité destiné à des marchés de niches : palais nationaux, musées et patrimoine historique, avec une reconnaissance internationale. Le parc matériel comprend notamment neuf métiers à bras, dont la lenteur et la précision sont les seuls à pouvoir remplir les cahiers des charges de l’ameublement patrimonial, utilisés par quatre ouvriers spécialisés. Néanmoins, cette production représente une part minoritaire de l’activité de l’entreprise, qui s’est ouverte au début du siècle à la production de tissus d’habillement-ameublement haute-qualité sur

211 AN, CIRIT D85 et D749 Balay.

métiers modernes. Modernité relative, puisque cette production est assurée par 18 métiers à tisser pick-pick213 Verdol de 1927. La production de tissus historique et tissu moderne représente 45 km par an, 10 en soieries Jacquard et 35 en tissus lourds Jacquard, auxquels s’ajoutent 65 km de tissus unis réalisés à façon pour des articles à grande diffusion. La clientèle couvre essentiellement décorateurs et tapissiers, magasins spécialisés et musées pour les tissus anciens et reconstitutions. Le chiffre d’affaires s’élève à 2,7 millions de F en 1968, dont 882 000 à l’exportation, soit 32 % (216 000 F vers la CEE, 413 000 F vers l’AELE, 278 000 F aux États- Unis). L’entreprise dispose d’une assise financière solide après trois exercices bénéficiaires. Prelle se distingue par la surreprésentation des employés qui représentent 31 des 50 salariés, témoignant de l’importance de son réseau commercial, néanmoins affaibli par un incendie du siège des services parisiens en octobre 1969. L’entrepriserattrapée par la concurrence entreprend l’acquisition de deux métiers sans navette la même année à titre expérimental, possiblement suivis par six autres. L’avantage invoqué est de pouvoir actionner ces huit métiers par une seule ouvrière, contre une pour deux métiers anciens, utilisables en double équipe. Les gains de productivité permettent d’augmenter le prix de revient en s’affranchissant du recours aux façonniers. Parallèlement, Prelle prend le contrôle de l’entreprise parisienne de négoce Poirier Frères, dont les locaux relogent les services généraux dans la capital. Ces services généraux doivent également être modernisés, l’entreprise utilisant depuis 1961 un système informatique IBM confié à un sous-traitant; elle engage des frais d’actualisation de programme pour générer des économies à moyen-terme214.

Enfin, les mutations du marché de l’habillement-ameublement peuvent aboutir à des situations de stress sur des produits à diffusion limitée voire de niche, qui entraînent généralement une très forte concentration voire la fusion pure et simple. Un exemple de ces industries de franges concerne notamment la dentelle lyonnaise, au savoir-faire spécifique et à la représentation professionnelle propre mais cliente des maisons de soieries puis des filatures arty/synthétiques. Elle se distingue de la dentellerie de Calais et de Caudry par la largeur de ses produits, convenant aussi bien pour la robe que l’ameublement et permettant des volumes de production plus importants. Le secteur est dominé par une vieille affaire, Dognin & Cie, fondée en 1805, exploitée en société anonyme depuis 1924. En 1970, elle emploie 282 salariés, ce qui est la première entreprise dentellière régionale, dominée par la famille fondatrice Dognin-Isaac. Selon les statistiques de 1965 de la Chambre syndicale des dentelles, tulles et broderies de Lyon,

213 Le pick-pick est un métier à tisser permettant d’effectuer un navettage (alignement des navettes

chargées d’insérer le fil de chaîne entre les fils de trame) impair.

Dognin qui emploie 306 salariés à cette date représente 38,9 % des 785 salariés du secteur à elle seule, les autres entreprises fabricantes comme façonnières en comptant toutes moins de 50. Parallèlement à son activité historique de dentelle ameublement, lingerie et robe, Dognin s’est spécialisée depuis 1933 dans la fabrication de tulle élastique à grande largeur destinée à la production de gaines, culotte et soutiens-gorge, chaque activité représentant 50 % de la production. La dentelle connaît sa propre petite révolution industrielle dans les années 1950 avec la mise au point en Allemagne du procédé Rachel215, utilisés sur des métiers ad hoc, qui se répand au cours des années 1960 et entraîne une très forte pression concurrentielle. Dognin & Cie elle-même a renouvelé son parc matériel à partir de 1965 avec l’acquisition étalée d’une trentaine de métiers Rachel et tente de breveter son propre métier inspiré du Rachel mais appliquant une technique Leavers plus typique de la production lyonnaise216. Malgré ces

initiatives, l’entreprise est en déficit d’exploitation et enregistre entre 1966 et 1968 une baisse de son chiffre d’affaires HT de 20,3 à 14,5 millions de F, dont 30 % à l’exportation. Bien que l’exercice 1969 semble être en forte amélioration, Dognin organise une importante restructuration, « l’opération Dentelle de Lyon », en coordination avec trois autres entreprises, Bosse Platière & Cie, Marrel et Roussillon, qui sont de vieilles affaires familiales de dentelle et tulle employant moins de 50 salariés et en délicatesse financière. Malgré leur petite taille, Dognin rassemble avec ce trio 74 des 104 métiers à dentelle anciens Bobin Jacquard utilisés dans la production régionale. Ce matériel vénérable, désormais trop lent pour assurer un prix de revient convenable, est amené à être partiellement « riblonné » ; s’y ajoute une réduction des capacités de production devenues excédentaires suite aux évolutions de la mode. Dognin ferme son atelier de Caudry (Nord), se recentrant sur sa seule usine de Villeurbanne. Une société d’exploitation nouvelle doit être créée pour gérer une unité locataire de 30 métiers maintenus à pleine activité et des locaux fournis par Marrel. Le personnel visé de 70 salariés serait transféré depuis Dognin, tandis que Bosse Platière et Roussillon apporteraient leurs collections et réseaux commerciaux. Ces deux dernières doivent ensuite cesser leur activité, avec 31 licenciements à la clé chez Bosse Platière et 49 chez Roussillon. Si Dognin et Marrel poursuivent leur activité, elles licencient également 78 et 37 personnes217.

215 La dentelle Rachel est un procédé de fabrication ayant pour spécificité d’utiliser des motifs plats

brodés sur un fond en tulle, donnant un produit au coût de fabrication très bas mais d’une qualité moindre que la dentelle classique.

216 La dentelle Leavers est le premier procédé de fabrication mécanisée de la dentelle, reposant sur

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