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La concentration industrielle des entreprises, un

d’une industrie (1950-1974) Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie textile rhônalpine retrouve une

Chapitre 2 La concentration industrielle des entreprises, un

nivellement limité

Nous avons vu précédemment la poussée de productivité qui s’opère dans le textile régional durant les années 1950 et ses conséquences sur l’emploi et la concentration des entreprises. Cette concentration, d’abord spontanée et motivée par l’évolution des marchés, prend un tournant plus dirigiste avec la création du Comité interprofessionnel de rénovation des structure industrielles et commerciales de l’industrie textile (CIRIT) en 1965. Cet organisme, issu d’un compromis entre la direction des Textiles du ministère de l’Industrie et l’Union des industries textiles, est chargé de subventionner via une taxe parafiscale dédiée des programmes de modernisation et d’action promotionnelle soumis par les entreprises et les associations professionnelles de toutes tailles et toutes natures. Son objectif final est d’assainir les éléments les plus marginaux de la filière par indemnisation et de favoriser l’émergence d’entités de tailles plus importantes, dans un contexte où les grands lainiers du Nord (Prouvost-Masurel, Agache- Willot) et les cotonniers de l’Est (Boussac, Dollfus-Mieg), eux-mêmes dominants au sein de l’UIT, se renforcent considérablement par des politiques agressives de fusion-acquisition. Le rôle du CIRIT dans la planification économique gaulliste de l’industrie textile a d’ores et déjà été traité par un article de Rianne Mahon et Lyonn Mytelka144, ainsi que par les travaux de Geoffrey Underhill145, qui ont illustré son rôle dans le renforcement des grandes affaires nationales. Qu’en est-il cependant de son utilisation au sein du textile rhônalpin, par ces petites affaires familiales cohabitant avec une poignée d’entreprises intermédiaires ? Les dossiers de subventions constituent une source précieuse pour faire l’historique de ces entreprises qui ne laissent généralement aucune archive privée et échappent aux échantillonnages de la statistique industrielle. Les informations de ces dossiers sont complétées par les dossiers préparatoires conservés aux archives départementales du Rhône (ADR) dans le fonds UNITEX, néanmoins très inégaux selon les entreprises, et par des éléments issus de la bibliographie et de la littérature grise. Dans le moulinage, l’essor des productions nylon s’est accompagné du renforcement d’un

144 Rianne Mahon, Lynn Mytelka, « Industry, the state, and the new protectionism : textiles in Canada

and France», International Organization, vol. 37, n° 4, 1983, p. 551-581.

145 Geoffrey Underhill, Industrial Crisis and the Open Economy: Politics, Global Trade and the Textile,

trio d’entreprises jusqu’à former le podium des plus grands ensembles textiles régionaux (sous- partie A), tandis que l’évolution des affaires dans le reste de la profession tend vers le renouvellement matériel et une concentration d’optimisation (sous-partie B). Les plus petites affaires sont logiquement les plus vulnérables à ce phénomène ; cependant, des formes intermédiaires de concentration apparaissent afin de sauvegarder leur intégrité tout en leur assurant une pérennité industrielle par rationalisation (sous-partie C).

A. L’émergence d’une « triplice » d’entreprises

intermédiaires dans le moulinage

1. La société Moulinage et retorderie de Chavanoz, une filiale

autonome dans l’ombre de Rhône-Poulenc

Bien que dispersée et encore partiellement artisanale, l’industrie du moulinage voit s’organiser dans les années 1950, comme nous l’avons vu avec l’affaire Hélanca, un noyau d’entreprises intermédiaires : la société Moulinage et retorderie de Chavanoz (MRC), les Tissages de soieries réunis (TSR) et l’ardéchois Billion & Cie. En 1961, lorsque Rhône-Poulenc rachète la holding Celtex, qui rassemble les activités de textiles artificiels du groupe Gillet, la MRC est la filiale la plus importante de la nébuleuse détenue par le Comptoir des textiles artificiels (CTA) et figure au premier rang du moulinage français. L’entreprise est originellement fondée en 1919 par l’industriel Joseph Mouraret (1881-1944), fils d’un négociant en soie ardéchois, dans la commune de Chavanoz (Isère), située à environ 25 kilomètres à l’est de Lyon. Son activité moulinière détonne dans un hinterland textile nord- isérois traditionnellement dominé par les activités d’ennoblissement. La société traite initialement le fil de soie naturelle seul et démarre son activité avec une usine sise dans la même commune, reprise à une affaire non-identifiée. La MRC s’oriente dès les années 1920 vers le traitement des fils artificiels, une stratégie sans doute incitée par la proximité des grandes filatures de l’agglomération lyonnaise. Entre 1919 et 1926, l’entreprise connaît une première phase de développement basé sur un modèle décentralisé de sites spécialisés. La MRC acquiert deux nouveaux sites de production : une teinturerie à Hières-sur-Amby et deux ateliers à Saint- Baudille et Frontonas, trois communes iséroises qui forment un petit cluster dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour du siège de Chavanoz. Un deuxième appareil productif s’adjoint en 1928 à ce quadrilatère isérois, composé de trois sites à Saulce-sur-Rhône (Drôme),

Sauzet (Drôme) et Chomérac (Ardèche). L’ensemble est organisé au sein d’un « pôle Drôme- Ardèche », sans plus de détail sur sa structure organisationnelle146. La formation de ce pôle peut être associée à la proximité des fournisseurs de l’usine des Textiles artificiels du Sud-Est (TASE) à de La Voulte-sur-Rhône, détenue par le CTA, et de l’usine Rhodiaceta de Roussillon. À la suite de la crise de 1929, l’entreprise connaît ses premières pertes. Le groupe Gillet-Carnot intervient en 1934 en rachetant 56,4 % des actions de la MRC par l’intermédiaire du CTA, pour une valeur nominale de 2,3 millions de francs. L’entreprise comprend alors 560 salariés répartis dans ses deux pôles Isère et Drôme-Ardèche. Le réseau commercial inclut deux bureaux de vente à Lyon et Paris. La MRC est intégrée au sein de la holding Textil, qui précède Celtex dans la gestion des actifs textiles du groupe Gillet147. La structure très dispersée de la holding permet à la MRC de conserver une large autonomie dans sa direction industrielle et Joseph Mouraret reste à la présidence. Sous l’égide de sa nouvelle société-mère, la MRC achève sa reconversion dans les fils artificiels en se spécialisant dans les fils teints et les fils dits fantaisie148. Ce n’est qu’en 1939 que la société retrouve une santé financière satisfaisante. Au

cours de la Seconde Guerre mondiale, la MRC bénéficie des pénuries de laine et de coton, compensées par les ersatz artificiels, avec deux exercices 1941 et 1943 exceptionnels. Peu après la Libération, la société change de tête avec le décès de Joseph Mouraret, remplacé par son fils Alfred et voit sa tutelle transférée à la nouvelle holding Celtex. Jusqu’en 1948, l’entreprise connaît des exercices (ordinaires) satisfaisants avant de traverser une seconde période de difficultés liée au stress exercé par les besoins de la reconstruction sur les livraisons de fils artificiels et les fluctuations du marché de la mode. Malgré son importance, l’affaire est peu rentable pour Celtex en n’apportant environ que 3 % des revenus de la holding dans les années 1950. La société-mère poursuit pourtant d’importantes injections de capital dans sa filiale avec 418 millions de francs sur la période 1951-1960 pour seulement 125 millions de francs de dividendes reçus sur la même période. La part du capital du CTA ne cesse d’augmenter pour atteindre à la fusion de 1961 entre 95 et 99 % de la MRC149. Parallèlement aux injections de capitaux, la société se dote en 1951 d’une nouvelle usine au Monastier-sur-Gazeille (Haute- Loire), portant son appareil industriel à huit sites de moulinage-texturation et une teinturerie. À la suite de ces investissements, la MRC engage une seconde reconversion dans les tissus

146 ADR, 153 J 228, dossier CIRIT Moulinage et Retorderie de Chavanoz.

147 Joly, Les Gillet de Lyon…, op. cit, p. 133-134.

148 Les fils fantaisie regroupent un ensemble hétéroclite d’articles présentant des particularités de couleur

(mélangées, dégradées) et d’aspect (brillance, métallique, duvet, etc.).

synthétiques à partir de 1952 avec l’appui de la Rhodiaceta. Elle rejoint également les rangs de l’association Hélanca durant cette même période. Au niveau international, la société parvient également à négocier des licences d’exploitation auprès des firmes américaines DuPont et Joseph Bancroft & Sons, respectivement pour l’exploitation d’un procédé de texturation du Taslan150 par jet d’air comprimé et du Banlon151 par tassement en boîte chauffante. La production s’étend également à des matières plus originales comme les fibres de verre sous la marque Screenglass. La Société du verre textile de Chambéry (Savoie), filiale de Saint-Gobain dans laquelle la Rhodiaceta et le CTA disposent de participations minoritaires, est probablement son fournisseur principal. Elle produit également des fils traités par enduction d’une haute technicité comme le Chem-o-Sol152, un revêtement vinylique pour ses fils exploité par octroi de licence de la Chemical Products Corporation dont elle avance être le producteur européen exclusif. Son action s’étend même jusqu’aux moyens de production avec la mise au point d’une machine-outil dédiée au moulinage fausse-torsion, brevetée par la MRC mais produite par les Ateliers roannais de constructions textiles (ARCT) à partir du milieu des années 1950. Postérieurement à 1951, le réseau commercial s’étend avec un troisième bureau de vente à Saint-Étienne et il compte une soixantaine de représentants, dont environ la moitié en France153. Le reste des informations sur l’entreprise sont issues d’un historique ayant accompagné sa demande de subvention auprès du CIRIT en 1969154.

150 Le Taslan est un fil ayant subit un traitement breveté par DuPont, qui utilise un procédé de bouclage

sur des fibres artificielles et synthétiques pour donner un aspect rugueux et onduleux semblable à celui de la soie sauvage : source : Memotextile, dernière consultation le 11 novembre 2020.

151 Le Banlon est un traitement breveté par Joseph Bancroft & Sons donnant un fil gonflé, peu élastique

et brillant ; source : Memotextile.

152 Le Chem-o-Sol est un procédé breveté par la Chemical Products Corporation de plastisol de

polychlorure de vinyle (PVC) principalement utilisé en enduction.

153 Ces informations proviennent d’une brochure publicitaire non-datée mais postérieure à 1951 en

raison de la présence de l’usine du Monastier sur une carte synthétique ; source : BML, fonds Ecole de Tissage TL 30249, « Moulinage et retorderie de Chavanoz », exemplaire spécialement imprimé pour l’école de tissage et des industries textiles.

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