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L’ascension d’une affaire familiale, le succès du fil mousse de Billion & Cie

Document II-1 – Réseau industriel (en noir) et commercial (en blanc) de la MRC, années

2. L’ascension d’une affaire familiale, le succès du fil mousse de Billion & Cie

La puissance des appuis financiers de la MRC la conduit logiquement au leadership du moulinage national. Cependant, la petite révolution industrielle qu’est la mise au point des fils moulinés synthétiques provient d’une affaire locale et familiale, la société anonyme Billion & Cie, créée en juillet 1939 avec un capital de 850 000 F. Son président est Louis Billion, fils d’un courtier de soie lyonnais. En 1921, Louis Billion a créé avec son père une première société en commandite, Billion & Fils, une affaire modeste avec seulement 15 000 F de capital social. Cette première affaire de moulinage façonnier connaît une expansion discrète mais constante : sa première usine située à Privas est achetée en 1923. Cette petite structure de 1 200 m² développés emploie à son apogée dans les années 1960 une quarantaine de personnes, dont trois quarts de moulinières. En 1928, l’entreprise acquiert une deuxième usine au Teil (Ardèche) beaucoup plus importante (7 500 m² développés), employant entre 100 à 200 salariés dont 80 % de femmes, puis une troisième de 750 m² développés en 1929, également au Teil, louée par une société de moulinage en liquidation judiciaire. L’entreprise ne voit pas son développement entravé par la crise des années 1930 : une petite structure d’appoint est acquise en 1933 à Privas (8 à 10 salariés) et une plus importante en location à Viviers-sur-Rhône (Ardèche), employant

entre 50 et 100 personnes sur 5 000 m² développés161. Il s’agit donc d’un petit groupe local classique du moulinage ardéchois lors du changement de raison sociale et de forme juridique, qui totalise un actif/passif de 1,7 million de F. Les débuts de la nouvelle société, malgré le contexte délicat de l’Occupation, sont satisfaisants. Seul le premier exercice de 1939-1940 est déficitaire de 160 000 F. Les perturbations sont cantonnées à l’année 1940 où la production est temporairement arrêtée au Teil. L’année suivante, la société démarre une production protégée par un brevet de rayonne continue utilisant un procédé visant à confier un aspect et toucher semblable à celui des filés courts, commercialisé sous le nom « Douce Rayonne » et abandonné ultérieurement en 1947. En 1943, la société procède à une première et importante augmentation de capital à 2,5 millions de F. Billion & Cie est alors une entreprise à large dominance familiale : 1 628 des 1 700 actions sont détenues par des membres de la famille, dont 1 166 par Louis Billion. Après l’augmentation, il détient 1 766 des 2 550 actions du nouveau capital162.

La même année, l’entreprise enregistre son résultat le plus important de la guerre avec environ 605 000 F de bénéfices. À la fin du conflit, elle présente un bilan actif/passif de 15,8 millions de F et un bénéfice de 2,1 millions. En 1946, elle procède à la réévaluation des immobilisations portant son capital social à 4,3 millions de F par augmentation de la valeur nominale de l’action de 1 000 à 1 700 F163. L’entreprise continue de s’agrandir en louant trois nouvelles petites unités, deux à Albon-d’Ardèche (pour un total d’environ 30 à 45 salariés) et Saint-Julien-du- Gua (Ardèche, 14 salariés). Louis Billion dépose en 1947 un brevet pour un « procédé de traitement de fils à base de superpolyamides » basé sur l’utilisation combinée d’un détordage pour confier au fil un aspect gonflé semblable à la laine et d’une fixation des déformations causées par le moulinage en utilisant la thermoplasticité du nylon. Ce brevet parvient à la connaissance des TSR, qui exploitent un procédé jugé sensiblement identique obtenu de la société Herbelein. Ce premier brevet patenté en 1933 utilise le système dit de détorsion employé par Billion sur des fibres artificielles. Le moulineur ardéchois est assigné en justice une première fois pour contrefaçon sur ce brevet Herbelein, dû au fait que les TSR disposaient d’une licence d’exploitation exclusive octroyée en 1941. L’affaire est résolue par l’octroi à Herbelein et aux TSR d’une redevance sur sa production en échange d’une reconnaissante de validité du brevet. De nouvelles négociations s’ouvrent, un temps arrêtées par le décès de Louis Billion en juillet 1948. Celui-ci est remplacé à la direction générale par l’un de ses fils, Jacques, tandis

161 Billion, Billion & Cie, op. cit., p. 179-200.

162 Ibid., p. 60

que sa veuve née Guérin prend la présidence du conseil d’administration. Ce nouveau tandem obtient l’exclusivité du brevet à l’automne 1948 et lance la production de ce fil nommé « Hélanca Cheveux d’Ange », du nom des marques proposées respectivement par Herbelein et Billion. Les tractations avec la TSR et Herbelein reprennent en parallèle. Elles aboutissent à un accord reprenant les mêmes dispositions que celles adoptées lors du litige de 1941. Ultérieurement, en 1952, Billion concède à la TSR une sous-licence non-exclusive de son brevet contre une redevance annuelle symbolique de 10 000 francs. Le trio commence dès lors une surveillance des mouliniers utilisant le brevet sans accord tacite, qui finissent quasiment toutes intégrées à l’entente par arrangement à l’amiable. Ces accords passés avec les entreprises partenaires sont différenciés sur plusieurs critères. Une variable de production est mise en place selon un principe de contingentement164 ou d’allocation d’un nombre fixe de fuseaux à

destination du fil mousse. L’exportation est également soumise à un contingent. Dans le prolongement, une association Hélanca-France est constituée en 1954 et porte Jean Chastel, PDG de la TSR, à sa tête. Elle est remplacée deux ans plus tard par le Syndicat de défense et de promotion Hélanca-France, dont l’objet est « l’étude et la défense des intérêts des fabricants et de tous utilisateurs de fil breveté Hélanca et, en général, de tous fils moulinés ou transformés ». Son activité s’apparente à celle d’un syndicat patronal classique : propagande, contrôle qualité, étude de marché et surveillance des contrefaçons. Il se dote d’une revue trimestrielle Hélanca-Informations avec un tirage revendiqué de 10 000 exemplaires par numéro en 1961 et d’une cérémonie d’« Oscar Hélanca » présidée à deux reprises en 1957 et 1959 par d’anciens membres du gouvernement165. Un magasin-témoin situé au 8, rue Royale à

Paris est également ouvert en 1956 et confié à une société de gérance. L’association fait cependant l’objet d’une plainte administrative en 1957 par une petite entreprise de moulinage lyonnaise, Les Fils de Jean Manivet, pour entrave à la concurrence et entente sur les prix par l’intermédiaire d’un complexe système de primes et ristournes166. Comme nous l’avons vu

précédemment (cf. chapitre 1), l’affaire s’est résolue par une condamnation de Billion et la disparition de l’association Hélanca.

164 Basé sur le poids ou le pourcentage de ventes, au cas par cas selon les membres.

165 En 1957, la cérémonie est présidée par Raymond Boisdé, ancien secrétaire d’État à l’Agriculture des

gouvernements Laniel I et II (28 juin 1953-12 juin 1954). En 1959, c’est Max Fléchet, alors secrétaire d’État aux Affaires économiques du gouvernement Debré, qui lui succède. Fléchet est par ailleurs connu pour sa carrière dans la chapellerie de Chazelles-sur-Lyon, d’où il est originaire et où sa famille tient une entreprise familiale depuis trois générations ; source : Site du Sénat, notice « Fléchet Max »,

https://www.senat.fr/senateur/flechet_max000043.html (dernière consultation le 15 novembre 2020).

Malgré ce revers, Billion & Cie a néanmoins considérablement bénéficié du fil mousse à partir de 1952. Ce succès est d’autant plus important qu’il fait suite à la crise du moulinage de 1948-1952, que Billion a traversée dans un confort financier relatif, n’enregistrant aucune perte sur cette période, mais en recourant à des nombreuses recapitalisations sur souscriptions en 1947, 1950 et 1952 et d’une recapitalisation sur réserves en 1949. Le capital social a en conséquence gonflé à 72,4 millions de F en 1952. L’entreprise continue son expansion en reprenant en 1951 la société des Moulinages de la Drôme (MDLD), une affaire comptant deux usines, dont une seule à Pont-de-Barret (Drôme) employant une soixantaine de personnes conservée par le nouveau propriétaire. L’année suivante, la production de rayonne et de fibranne non rentable est arrêtée au profit du fil mousse nylon (y compris pour la filiale des MDLD), sauf l’usine de la Neuve-d’Albon qui continue ses ouvraisons en soie naturelle. La société connaît un de ses exercices les plus exceptionnels de son existence avec un bilan actif/passif de 820,7 millions de F et un bénéfice de 235,8 millions de F, soit plus du double que sur l’exercice 1952. Jusqu’en 1958, année de dépassement de l’offre en fil mousse, Billion & Cie poursuit un développement classique mais d’envergure. Elle participe en 1954 à la constitution d’un de ses façonniers exclusifs, Plantevin & Cie, où Louis Billion siège comme administrateur. La même année, elle constitue avec son nouveau façonnier et les MDLD une société immobilière, la Société de logement Drôme-Ardèche (SLDA), pour gérer une partie de son patrimoine locatif à destination des salariés. L’activité du groupe Hélanca arrive à son paroxysme et Billion est en mesure de faire valoir ses droits intellectuels jusqu’aux marchés étrangers, parvenant ainsi à imposer à de très grosses affaires américaines comme Burlington Mills une licence d’exploitation sur le nylon mousse. Inversement, Billion multiplie les obtentions de licence en anticipation de la croissance de l’offre en nylon mousse : Tergal et Rilsan auprès de la Rhodiaceta, Taslan auprès de Dupont, Banlon, Agilon, Chadolon167, etc. Elle obtient également auprès de la toute jeune société Rexor l’exclusivité du moulinage de ses fils métalloplastiques168. Malgré la pression toujours plus importante sur les fils synthétiques, Billion maintient un niveau d’activité satisfaisant et poursuit ses prises de participations avec deux investissements dans le fabricant de soieries Pidoux & Cie et dans la Textiles Modernos

167 Le Chadolon est un fil en nylon élastique à destination des marchés de la maille produit par la société

américaine Chadolon Hosiery Mills. À l’exception de quelques brochures publicitaires et dépôts de brevets, les sources ne témoignent pas d’une grande quantité d’informations à ce sujet.

168 Rexor est une société française créée à Paladru (Isère) en 1954 spécialisée dans la production de films

et fils plastiques. La société est encore en activité aujourd’hui après plusieurs rachats par Rhône-Poulenc en 1982, un repreneur indépendant en 1998 et Jindal Pony Films depuis 2003.

en 1957, une affaire colombienne siégeant à Medellin détenue conjointement avec deux affaires bonnetières françaises en 1958. L’entreprise participe à la constitution d’un troisième façonnier, exclusivement financé par les actionnaires de Billion : la Société ardéchoise de moulinage (SAM) située à Vals-les-Bains (Ardèche) qui exploite une usine au confluent de l’Ardèche et de la Volane. En 1959, malgré la crise de surproduction qui se profile, Billion enregistre son meilleur bénéfice à 359,2 millions de F. La crise la rattrape finalement en 1960 ; l’entreprise poursuit sa politique de diversification en lançant son premier produit polyester en Tergal pour son propre compte et celui de la Rhodiaceta et opère même un retour vers l’artificiel avec le lancement du Bilacetta. Les ouvraisons en soie naturelle sont en revanche abandonnées, peu de temps après l’activité historique de courtage arrêtée en 1957. L’entreprise cherche également à diversifier ses marchés, par la mise en place d’une représentation en Allemagne fédérale. L’exportation représente à cette époque 28 % du chiffre d’affaires169. La situation se rétablit en

1962 avec un bénéfice au niveau de celui de 1959. La crise de 1964 entraîne cependant les premières restructurations : la fermeture des usines en location à Albon et La Neuve, avec le licenciement d’une trentaine de personnes dont un gros contingent d’ouvrières. L’Hélanca conventionnel est abandonné au profit de variantes aux titres plus fins. La société se maintient dans le vert, mais le bénéfice de 354 245 F de 1965 est très loin des standards d’avant-crise. La situation s’améliore en 1966, année où le premier chiffre d’affaires disponible est communiqué : 82 millions de F, soit 99 % de celui de 1964. En 1967, l’association Hélanca disparaît mais Billion poursuit sa politique de promotion produit en participant à l’association de la marque Palypa170, constituée en 1967 conjointement avec les TSR, la MRC, la MNE et la FETT (comme façonnier), toutes figurant au top 5 des producteurs nationaux de fil mouliné polyester. Cette association, beaucoup moins offensive que l’Hélanca, est créée pour coordonner l’action de l’industrie française face à la concurrence, essentiellement allemande et anglaise et se cantonne à des actions classiques (promotion, recherche, étude de marché)171. Billion arrive finalement à un tournant au début des années 1970, en entrant dans le cercle restreint des entreprises de plus de mille salariés172 et des entreprises régionales dépassant les 100 millions de F de chiffre d’affaires.

169 Billion, Billion & Cie, op. cit. p. 86.

170 Dépôt de marque de fil polyester principalement utilisé dans l’habillement en mélange avec le Tergal.

171 Dossier CIRIT D198 Association Palypa.

172 Plus précisément, Billion & Cie emploie 820 salariés en 1972, auxquels il faut rajouter les 50 de

3. L’exception de l’intégration totale, les Tissages de soieries

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