• Aucun résultat trouvé

La recherche d’un équilibre entre centralisation et indépendance

Document II-6 – Ouvrières de la société Brochier sur un métier à tisser le verre,

C. Des concentrations de compromis dans les petites affaires

1. La recherche d’un équilibre entre centralisation et indépendance

Les petites affaires régionales, face au phénomène de concentration qui s’opère dans les années 1960, font face à un dilemme : gagner en visibilité commerciale par la fusion-acquisition ou conserver une indépendance qui les exposent à une marginalisation au profit d’affaires plus importantes, plus optimisées. Des « troisièmes voies » de concentration émergent donc comme tentatives de compromis entre ces deux issues. L’association à but non lucratif, administrativement peu contraignante et flexible, constitue le premier type de structure intermédiaire. Un exemple d’association textile régionale à vocation commerciale est l’Association de coordination des tissages haute-nouveauté (ATHNO)226, un regroupement

associatif de sept tisseurs à façon du Rhône, de la Loire et de l’Isère, dont cinq usiniers et deux façonniers, tous spécialisés dans le tissage à destination de l’habillement de nouveauté et haute nouveauté, avec quelques marchés annexes sur le tissu cravate et l’ameublement. Le dossier CIRIT ne mentionne pas une date de création précise et indique juste qu’elle a été constituée « récemment » lors de la demande de subvention en 1966. Les statuts n’étant d’ailleurs pas encore déposés, ladite association n’a alors aucune existence légale. Elle comprend les Ets Cartet (Saint-Juste-d’Avray, Rhône), les Ets Monnet (Avenières, Isère), les Ets Donat & Cie (Corbelin, Isère), les Ets Mollon & Fils (Ronzier-en-Donzy, Loire), Galea & Fils (Rozier-en- Donzy, Loire), les Tissages soieries nouveautés (TSN, Lyon) et les Ets Chevallard & Fils

225 AN, CIRIT A855 et M1002 Tissages Ferrari.

(Lyon). Géographiquement, les membres de l’ATHNO forment un ensemble relativement ordonné, les deux pôles isérois et ligériens étant séparés d’une cinquantaine de kilomètres du centre lyonnais. Toutes les entreprises sont des SARL, sauf Monet qui est une SA. Elles sont également majoritairement contrôlées et dirigées par un membre de la famille fondatrice, à l’exception de Cartet et des TSN. Donat est un cas hybride, dirigée par son fondateur mais contrôlée à 70 % de son capital par un de ses clients, la maison de soieries lyonnaise Kandelaft. Le groupement se distingue par la présence de nombreux représentants patronaux : le dirigeant de Cartet, Desormaux, est vice-président de la Fédération de la soierie (FS) et président du Syndicat de tissages de soieries lyonnaises. Deux administrateurs du même syndicat, Mollon et Monnet (leurs prénoms ne sont pas précisés), occupent des fonctions exécutives dans les sociétés éponymes. Moussali des TSN est, quant à lui, administrateur de la chambre syndicale des tisseurs artisans. Chez Galea, l’un des deux frères dirigeants est également membre de la commission syndicale des tarifs d’articles façonnés. Plusieurs adhérents fonctionnent par tandem de frères à la direction, soit avec un directeur général et un directeur technicien (Mollon), soit un directeur unique assisté informellement par un frère travaillant directement dans l’entreprise comme gareur-mécanicien (Galea et Chevallard) Le dossier ne fait pas état de la chronologie des entreprises, à l’exception de Mollon qui est mentionnée comme une affaire créée en 1957 à partir d’une petite usine familiale à laquelle fut jointe l’usine voisine. En revanche, il détaille le schéma industriel des adhérents. Le tableau suivant en résume l’état matériel et effectif :

Société Métiers en simple équipe Métiers en double équipe Métiers totaux Effectifs (plus à domicile) Genre Cartet 0 63 63 74 Hommes Monnet 22 18 40 44 Femmes Donat & Cie 87 18 105 48 Femmes Mollon & Fils 27 0 27 65(38) Hommes Galea & Fils 24 16 40 24 (11) Hommes TSN 21 0 21 16 Femmes Chevallard & Fils 20 0 20 10 Femmes

Tableau II-3 – Moyens industriels des adhérents ATHNO en 1966

Source : Dossier CIRIT D10 Association de Coordination des Tissages Haute-Nouveauté

Un premier détail remarquable est la composition exclusivement masculine ou féminine du personnel. L’absence de mixité est probablement dûe aux conditions du travail en double ou triple équipes, les conventions collectives interdisant alors le travail de nuit pour les ouvrières. On constate également des disparités sensibles de salaire moyen. Une ouvrière débutante ou âgée gagne seulement 2,6 francs de l’heure chez Donat et peut espérer jusqu’à 3,5 francs dans la majorité des entreprises de l’ATHNO. Inversement, un tisseur débutant chez Mollon peut toucher 3,5 francs, avec un salaire moyen de 4 francs dans le reste des entreprises masculines. La seule exception est Chevallard, qui paie ses tisserandes de 3,25 à 4 F l’heure. Le parc matériel de l’association est constitué de machines-outils anciennes mais modernisées, plus quelques métiers acquis au cours des dernières années. Les fabricants sont essentiellement français (Saint-Colombe, FATEX et Diedrichs) ou suisses (Rüti). Un seul adhérent présente un parc matériel très récent : Mollon, dont les 27 métiers ont moins de dix ans. Ces sept sociétés s’entendent, tout en conservant l’autonomie de leur gestion, pour regrouper une partie de leurs moyens administratifs afin de limiter les pertes de temps, le rendement insuffisant des métiers et l’augmentation du prix de revient des façons, explicités dans les statuts de l’association. Les services proposés concernent exclusivement des frais fixes pour des opérations de nature commerciale. L’optimisation des prix passe ainsi par la création d’un service de coordination de la recherche et des ordres devant rationaliser l’alimentation du matériel. Le dispositif inclut un service d’inventaire, un service de calcul de prix de revient, une centralisation des

commandes de fournitures de tissage visant à maximiser l’alimentation du matériel et éviter la dispersion des ordres. Les méthodes de travail de chaque usine doivent être harmonisées afin de répondre à ce nouveau dispositif. Les adhérents acceptent également de créer trois services communs dédiés à l’amélioration technique, avec un service d’étude de perfectionnement aux méthodes de production et au matériel, un service d’étude de rentabilité des investissements et un service de perfectionnement pour personnel spécialisé, en liaison avec les centres d’apprentissage.

Une alternative à l’association est la création d’une société à responsabilité limitée, plus contraignante. L’Union textile du Royans (UTDR)227, fondée en 1965, en est un bon exemple.

Cette SARL au capital social initial de 20 000 F est créée à parts égales par quatre entreprises de tissage à façon implantées à Saint-Jean-en-Royans et Saint-Laurent-en-Royans (Drôme), deux communes voisines. Ces entreprises sont les Tissages du Royans, les Ets Albert-Brunet & Cie, les Ets Chollat-Namy et les Ets Marcel Ancessy, qui partagent plusieurs caractéristiques structurelles communes : des effectifs relativement homogènes (de 33 personnes pour les Ets Albert-Brunet & Cie à 55 personnes pour les Tissages du Royans), un parc industriel mêlant métiers à tisser ordinaires anciens et métiers automatiques d’acquisition récente, une généralisation du travail en double voire triple équipes et une situation financière oscillante au cours de la période 1964-1966. La création de l’UTDR est motivée par les difficultés rencontrées par la façon en 1965 et un besoin de visibilité. La nouvelle société représente ainsi 1,1 % du parc matériel soyeux total et 2,1 % de la production en 1966. Sa production est centrée sur l’habillement, regroupant de la petite-nouveauté et des tissus pour prêt-à-porter artificiels et synthétiques. L’UTDR se présente comme le « premier regroupement dans le tissage de soieries » financé par une cotisation de 2 % sur le chiffre d’affaires. Un détail intéressant est que l’UTDR est une solution adoptée en alternative à la fusion pure et simple des quatre entreprises, envisagée quelques mois avant sa création mais finalement mise en échec pour des raisons familiales. Ce cas illustre ainsi la réticence de ces affaires à consentir à une perte d’indépendance trop importante. Les fonctions de l’UTDR sont sensiblement identiques à celles de l’ATHNO. Elles incluent un service organisation visant à améliorer la productivité par une série de mesures d’harmonisation matérielle et humaine, une comptabilité analytique du prix de revient et une mise en commun des services administratifs et commerciaux. La société est également chargée de la répartition de 56 métiers automatiques, cédés par l’entreprise Gueneau consécutivement à la fermeture de son usine de Chabons-en-Isère. Cette restructuration a

vraisemblablement bénéficié aux entreprises participantes, le rapport mentionnant que la visibilité de l’UTDR a permis la neutralisation des temps morts en atelier par la répartition des commandes et la prise d’ordre par des « fabricants importants » qui ne seraient pas passés par des structures de tissage plus petites.

2. Les groupements d’intérêts économiques, un statut

Outline

Documents relatifs